Fil d'Ariane
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- Retour sur la disparition de Oksana Chatchko, ou l...
Leur nudité peinte de logos, slogans, et autres dessins était lancée contre tous les symboles de la domination masculine, à commencer par la prostitution et la pornographie, jusqu'à atteindre une notoriété planétaire à l'occasion de l'Euro 2012 (il se déroulait en Ukraine), ce championnat de foot européen qui vit exploser les bordels destinés aux supporters. A l'extérieur, le mouvement commença à essaimer. Des antennes furent installées dans plusieurs pays de tous les continents, des actions menées à travers le monde
Ailleurs, on vit des Togolaises, des Cambodgiennes, des Péruviennes ou encore des Chiliennes s'en inspirer et manifester bustes dénudés, ornés de mots d'ordres contre les atteintes aux droits des femmes, mais aussi pour conserver leurs habitations, obtenir plus de démocratie pour tous, ou encore plus de moyens pour lutter contre le cancer du sein.
A retrouver sur ces sujets dans Terriennes :
> Au Chili, en ce mois de mai 2018, une vague féministe des étudiantes contre les violences machistes
> Pérou : seins nus pour défendre le droit à l'avortement
> Cambodge : les combattantes de Boeung Kak
> Les Guerrilla Girls à l’assaut d’un art « sexiste et dominé par les hommes blancs »
> Sonia Merazga, “artiviste“ à l'assaut des préjugés sur le voile
> Quand les seins chantent contre le cancer et la censure
Mais cette reconnaissance internationale sonna aussi comme le début de la fin. Arrêtées, torturées dans leur pays natal, elles s'exilèrent, et dans l'exil en France, la dernière arrivée, Inna Shevchenko, qui venait d'une autre ville ukrainienne (Kherson au sud du pays), leur vola la vedette, imposa son pouvoir, et avec la complicité de féministes françaises (au premier rang desquelles la journaliste/essayiste Caroline Fourest) fit prendre un virage idéologique au mouvement, en choisissant l'islam pour cible prioritaire, un travers dénoncé par d'autres militantes.
A retrouver dans Terriennes sur les Femen :
> Les Femen entre adoration et répulsion
> Rififi chez les Femen : Amina Sboui/Tyler claque la porte pour cause d'islamophobie du mouvement
> Qui était Oksana Chatchko ? Derrière l'ex-Femen, une artiste et une muse
Contrairement aux fondatrices historiques, Inna Shevchenko, dernière arrivée, n'avait pas été malmenée en Ukraine, elle n'était pas artiste mais journaliste, issue d'une famille de militaires, et elle était dotée d'un sens certain de la communication et du commandement martial. Qualités qu'elle mit en pratique avec talent à son arrivée en France, prenant la tête de Femen international. Jusqu'à inspirer la Marianne choisie en 2014 par le président François Hollande...
Dans son livre "Femen, histoire d'une trahison", le photographe Olivier Goujon qui fut l'un des premiers à s'attacher aux défis des Femen raconte cette dépossession, ce recentrage occidental à l'inverse des références des fondatrices :
"Femen, histoire d'une trahison", extrait
"Si les filles ont étudié les modes d'action des Black Panthers, elles en ont évacué toute forme de violence. Elles ont aussi connaissance de la lutte de féministes allemandes et des suffragettes anglaises. Sacha ou Anna connaissent l'histoire du MLF, elles savent que certaines actions du mouvement français ont utilisé la nudité du corps des femmes, et notamment qu'on brûlait des soutiens-gorges à paris en 1968. Oxana (ou Oksana, ndlr) s'est intéressée aux ethnies africaines qui font appel aux au corps dénudé de la femme comme ultime posture de revendication : en 1930 au Nigeria, contre les impôts anglais ; en 1952, en Côte d'Ivoire, contre les colons français dans les villages du Nord ; ou en 2013, au Burkina Faso, contre Blaise Compaoré, des femmes se sont dénudées jusqu'à la ceinture pour exprimer leur souci de liberté et de justice."
De toutes, à l'évidence, Oksana Chatchko était la plus politique, la plus ouverte au monde (elle est d'ailleurs le personnage principal du documentaire suisse "Je suis Femen"). Elle ne pouvait se résoudre à voir les Femen se rétrécir, se replier. Elle avait choisi de se consacrer à la peinture, dans un atelier désormais à elle. Cela n'a pas suffi à lui faire oublier les trahisons de ce monde. Elle s'est pendue le lundi 23 juillet 2018...
Suivez Sylvie Braibant sur Twitter : @braibant1