Fil d'Ariane
Lutte contre les violences conjugales, égalité femmes-hommes, femmes présidentes, Afghanes effacées, droit à l'avortement : entre avancées et reculs, quels sont les évènements qui ont marqué 2024 pour la moitié de l'humanité, (et l'autre aussi) ?
Le procès des viols de Mazan fera date dans l'histoire des mentalités face aux violences sexuelles. En France et ailleurs dans le monde, Gisèle Pelicot, épouse et victime de l'accusé, est devenue l'incarnation de ce fléau. Comme ici lors de la manifestation du 23 novembre à Paris contre les violences faites aux femmes.
Je parle, je parle, mais je ne vous entends pas. Où êtes-vous ? Que dites- vous ? (…) Pour se croire, encore faut-il être cru. (…) Ayons le courage de dire tout haut ce que nous savons tout bas. Judith Godrèche
Sur la scène de la 49e cérémonie des César, le 23 février, Judith Godrèche a tenu un discours dans lequel elle a accusé le cinéma français de servir de couverture à "un trafic illicite de jeunes filles". C'est ovationnée debout par les représentants d'un 7e art accusé d'avoir pendant des années couvert les violences que l'actrice est venue dénoncer le "niveau d'impunité, de déni et de privilège" du milieu.
L'actrice a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des violences sexuelles et physiques pendant son adolescence, que ces derniers nient. Tout au long de l'année, Judith Godrèche a participé à de nombreuses actions pour défendre la voix des femmes victimes de violence, dans les médias, les rassemblements féministes. Elle a aussi été auditionnée dans le cadre d'une commission parlementaire sur ce sujet.
Judith Godrèche distribue des tracts en hommage à Gisèle Pelicot lors du rassemblement du 23 novembre 2024 à Paris, à l'occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre.
>Judith Godrèche veut "rêver à une possible révolution"
Une victoire pour les défenseur.e.s du droit à l'avortement en France. Ici lors de la retransmission en direct de la session du congrès au cours de laquelle les législateurs français ont approuvé un projet de loi qui inscrit le droit des femmes à l'avortement dans la Constitution française, sur la place du Trocadéro à Paris, le lundi 4 mars 2024.
La France devient le premier pays au monde à garantir la liberté de recourir à l'avortement dans sa Constitution. Historique, cette réforme largement adoptée le lundi 4 mars 2024, a pu être gagnée au terme d'une longue bataille parlementaire. "Nous serons les premiers au monde à le faire", se réjouit Yaël Braun-Pivet, la Présidente de l'Assemblée nationale. "C'est un symbole important" pour les associations féministes. "Inscrire l'avortement dans la Constitution c'est envoyer un message d'espoir aux féministes du monde entier. Car en France et à travers le monde, le droit à l'avortement est encore gravement menacé", souligne le Planning Familial.
La cérémonie officielle du scellement dans la Constitution a eu lieu symboliquement le 8 mars, journée internationale des droits des femmes Place Vendôme en présence du président Macron et de nombreux.ses invité.e.s. - politiques et de la société civile. Le moment fort a été l'hymne national (ré)interprété par Catherine Ringer, ex-Rita Mitsouko. "Aux armes citoyens - et citoyennes", a lancé la chanteuse au micro, créant la surprise de la foule rassemblée dans le froid sous le soleil parisien, et provoquant les applaudissements des militantes féministes.
>La France, premier pays à inscrire l'IVG dans sa Constitution
La présidente mexicaine Claudia Sheinbaum s'adresse aux forces armées au Campo Marte à Mexico, le jeudi 3 octobre 2024.
Avec plus de 58% des voix, celle qui fut la maire de Mexico devient la première femme à être élue à la tête du Mexique, un pays de 127 millions d’habitants, un symbole fort dans un pays où les féminicides sont un fléau national.
Si Claudia Sheinbaum, 61 ans, se dit féministe et célèbre "le temps des femmes", les collectifs féministes se montrent plus que sceptiques. "Ce n’est pas parce qu’on a une présidente que celle-ci placera les droits des femmes au centre de ses politiques. Une femme à la tête du pays n’est pas synonyme d’un agenda féministe", s'inquiète la militante Wendy Figueroa, directrice des refuges pour femmes.
> Claudia Sheinbaum, président : le temps des femmes au Mexique ?
L'Ukrainienne Alina Hrushyna-Akobiia et la Polonaise Anhelina Lysak s'affrontent en huitième de finale de la lutte libre féminine des 57 kg au Champ-de-Mars Arena, lors des Jeux olympiques d'été de 2024, le jeudi 8 août 2024, à Paris, en France.
Les Jeux de la XXXIIIᵉ olympiade, célébrés du 26 juillet au 11 août 2024 à Paris en France, sont les premiers jeux paritaires de l'histoire. Une victoire pour celles qui ont dû batailler pour que le sport féminin gagne sa juste place.
On a considéré pendant très longtemps qu'une femme ne pouvait pas pratiquer les mêmes sports que les hommes. Marion Philippe, historienne du sport
"Oui, cela a été long, tout simplement parce qu'il a fallu un certain temps avant que l'on se rende compte que le corps féminin était en capacité de pratiquer du sport et aussi de faire des enfants. Puisque finalement, dans l'imaginaire collectif, et c'est encore hélas le cas aujourd'hui, le corps féminin n'a qu'une seule vocation, celui de faire des enfants. Très longtemps, on a considéré que trop contraindre le corps féminin pouvait entraîner une incapacité à faire des enfants", commente Marion Philippe, historienne du sport. "Ce mécanisme qui voulait que les femmes soient laissées de côté à cause de leur corps, qui est vu comme plus fragile, a progressivement engendré un certain nombre de stéréotypes, à la fois sur le corps, mais aussi sur les mentalités. Cela fait qu'on a considéré pendant très longtemps qu'une femme ne pouvait pas pratiquer les mêmes sports que les hommes", ajoute-t-elle.
Parmi les images fortes de ces JO en France, impossible d'oublier la prestation de Aya Nakamura, lors de la cérémonie d'ouverture. "Accompagnée de six danseuses, elle a surgi de l’Institut de France pour rejoindre la Garde républicaine, éberluer le monde et clouer le bec aux racistes. Comme quoi, y a parfois moyen, Aya.", lit-on sur le site des inrocks.com. "Le medley, composé de ses chansons Pookie et Djadja, et de For me… formidable d’Aznavour, combiné à la chorégraphie de la star de la pop française accompagnée de six danseuses et de l’Orchestre de la Garde républicaine, nous a donné des frissons ; frissons d’une artiste qui répond de la plus belle des manières aux attaques qu’elle subit de l’extrême droite ; frissons de trois minutes qui suspendent les antagonismes écartelant la société française et réconcilient avec intelligence tradition et modernité, tout en portant fièrement la diversité et l’inclusion en étendard".
>JO et parité : un si long marathon
Les femmes partisanes du candidat républicain à la présidence, Donald Trump, montrent leur soutien alors qu'il arrive pour prendre la parole lors d'un rassemblement de campagne au J.S. Dorton Arena, lundi 4 novembre 2024, à Raleigh, en Caroline du Nord
Kamala Harris ciblait en particulier les femmes. Sa victoire, pensait-elle, se trouvait dans les mains des Américaines. Erreur. Beaucoup de ses concitoyennes ont voté Trump. "Pourquoi nous, les femmes, aurions pour seul souci l’avortement? Vous pensez qu’on ne regarde pas nos factures? Qu’on ignore les problèmes de logement? Que l’on ne redoute pas d’être agressée dans les villes où de plus en plus de migrants errent de façon incontrôlée ?", confie Donna, pro-Trump, à notre envoyé spécial Richard Werly lors d'un reportage en Floride au lendemain de la victoire du candidat républicain face à la candidate démocrate.
"Kamala Harris parle de nous les femmes alors qu’elle n’a pas d’enfants et qu’elle doit une bonne partie de sa carrière à sa liaison avec l’ancien maire de San Francisco. Vous pensez que c’est crédible? Vous croyez qu’elle n’a pas couché pour en arriver là ?" s’énerve Jane, une autre militante pro-Trump.
>Retrouvez les chroniques de Richard Werly aux États-Unis dans Blick
Et les hommes ? Toutes les enquêtes, celles d’avant scrutin et celles publiées à l'issu du vote, montrent combien le discours viril de celui qui, il y a quelques années, voulait en 2016 "empoigner les femmes par la chatte" a séduit les électeurs masculins et pas que.
Le 30 décembre, Donald Trump a été condamné en appel à payer 5 millions de dollars à l’ancienne chroniqueuse de presse Elizabeth Jean Carroll qu’il avait agressée sexuellement dans les années 1990, et diffamée lorsqu’elle avait révélé les faits plus de vingt ans après les faits. Le président américain élu sera investi le 30 janvier 2025.
>Ces Américaines ne sont pas aux bottes des mecs, mais elles ont voté Trump
La présidente élue de Namibie, Netumbo Nandi-Ndaitwah, du parti SWAPO au pouvoir, lors d'une conférence de presse à Windhoek, en Namibie, le jeudi 5 décembre 2024, après l'officialisation des résultats de l'élection.
Netumbo Nandi-Ndaitwah affirme elle-même avoir "brisé le plafond de verre". A 72 ans, elle a été élue à la présidence début décembre 2024 dès le premier tour avec 57,31% des suffrages. La Namibie est classée 8ème au Global Gender Gap Index 2024 du Forum économique mondial. Mais la nouvelle cheffe d'Etat n'a pas particulièrement la réputation d'une championne des droits des femmes, elle reste partisane d'une législation stricte en matière d'avortement.
>En Namibie, une première femme présidente, mais peu d'attente pour les droits des femmes
Manizha Talash, née à Kaboul, a fui l'Afghanistan en août 2021 après la prise de pouvoir des Talibans. Agée de 21 ans, elle est membre de l'équipe olympique des "Réfugiés". Ici, elle porte une cape sur laquelle on peut lire "Libérez les femmes afghanes" lors d'une compétition de breakdance place de la Concorde lors des Jeux olympiques d'été de 2024, le vendredi 9 août 2024, à Paris, en France.
Les Afghanes seront-elles les grandes oubliées de cette année 2024 ? Depuis le retour au pouvoir des talibans, les femmes sont progressivement effacées de l'espace public. Désormais, les Afghanes ne peuvent plus étudier au-delà du primaire, ni sortir dans les parcs ou les salles de sports, ni prendre un taxi sans un proche masculin. Une nouvelle mesure interdit aux femmes de suivre des études d'infirmières, ce qui va fortement impacter la santé des femmes dans ce pays.
Une nouvelle loi du régime taliban oblige les femmes afghanes "à se couvrir le visage et le corps", et demande "à ce que leur voix ne soit pas entendue". Cette loi leur interdit de chanter ou déclamer de la poésie en public.
Sur les réseaux, assorti du mot dièse "No to taliban" (Non aux talibans), des Afghanes ont décidé de se rebeller en chantant. Dans une vidéo, qui aurait été filmée en Afghanistan même, une femme chante vêtue de noir des pieds à la tête, un long voile couvrant son visage. "Vous m'avez réduite au silence pour les années à venir", lance-t-elle, "vous m'avez emprisonnée chez moi pour le seul crime d'être une femme".
>L'Afghanistan : "un régime féminicide"
C'est le procès d'un supplice qui a duré près de dix ans. Une femme, Gisèle Pelicot, a été violée, alors qu'elle était inconsciente, droguée par son mari, par des dizaines d'hommes, recrutés sur internet. 92 viols en moins de 10 ans, commis par une cinquantaine d'hommes - peut-être jusqu'à 80 -. Voilà la teneur du procès qui s'est tenu pendant presque trois mois à Avignon, dans le sud de la France, qui a suscité un véritable électrochoc jusqu'au dela des frontières de France. Plus d'une centaine de médias ont suivi le procès. Gisèle Pelicot, en refusant le huis clos, a décidé d'affronter ses agresseurs, des "Monsieurs tout le monde". Des dizaines de vidéos montrant les viols qu'elle a subis sont diffusées lors des audiences.
Gisèle Pelicot fait la Une de nombreux journaux hors de France, comme ici dans la presse britannique, présentant les réactions au verdict du procès pour les viols de Mazan, le vendredi 20 décembre 2024.
Le verdict est tombé le 19 décembre : tous coupables, aucun acquittement. Dominique Pelicot, 72 ans, qui a reconnu avoir drogué son ex-épouse aux anxiolytiques, pour la violer et la livrer à des dizaines d'inconnus qu'il recrutait sur internet écope de la peine maximale, vingt ans de prison, dont deux tiers incompressibles. Il a décidé de ne pas faire appel de ce jugement, contrairement à d'autres condamnés.
Aujourd'hui, Gisèle Pélicot est devenue l'incarnation de la lutte contre les violences sexuelles en France mais aussi partout dans le monde ; son visage s'affiche dans les manifestations ou sur les murs sous forme de fresques.
>Le procès des viols sous soumission chimique : "sacrifiée sur l'autel du vice"
> Revoir notre émission spéciale Violences faites aux femmes du 25 novembre 2024