Révolution, évolution, législation, discrimination : sexes et pouvoir font débat sur France-Culture.

Mieux vaut ne pas naître femme. Et si le mâle était une aberration évolutionniste ? « Sexe(s) et pouvoir » : la thématique vient de donner l’occasion à une vingtaine d’ intervenant.e.s de croiser leurs réflexions à l'université de la Sorbonne à Paris au travers de tables rondes, retransmises sur France-Culture.
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amphi sorbonne
Le grand amphitéatre de la Sorbonne, Paris (France).
©DR
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Dans le dernier numéro de son excellente revue « Papiers », France-Culture consacre un article à Jean-Louis Etienne sous le titre « Déployez vos rêves ! ». On a très envie de s’approprier cette injonction pour la souffler à toutes celles et tous ceux qui, loin de la guerre des sexes, sont convaincu.e.s que le jour viendra où l’égalité entre les femmes et les hommes sera devenue un non-sujet.

A France Culture, les responsables d’émissions comme « La Fabrique de l’Histoire », « Les chemins de la philosophie », « La Méthode scientifique » ou « Entendez-vous l’éco ?  », épaulés par Sorbonne Université, n’ont pas boudé leur plaisir, sous la houlette de Sandrine Treiner, quand il s’est agi de jouer la carte du décloisonnement et de la transdisciplinarité, pour assurer la programmation du deuxième Forum « L’année vue par les savoirs » voulu par la radio publique.

Le grand amphithéâtre de la Sorbonne lui a servi d’écrin. Temple des savoirs certes, mais avec une connotation édifiante puisque les débats ont pris place sous le regard des statues de 6 « grands hommes », parmi lesquels le Cardinal de Richelieu, heureusement compensé par les nombreuses femmes, anonymes toutefois, évoquant les grandes disciplines universitaires, qui figurent dans la monumentale fresque « le Bois sacré » de Puvis de Chavannes…

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Le Bois sacré par Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898). 1886-188 Grand amphithéâtre de la Sorbonne Paris
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Les révolutions ont-elles libéré les femmes ?

L’Histoire, on le sait, n’est pas avare de paradoxes. L’universitaire Michelle Perrot, auteure de « Mon histoire des femmes », se réfère d’entrée de jeu au 19ème siècle et aux révolutions qui ont créé des brèches dans lesquelles les femmes se sont infiltrées pour réclamer notamment le droit à l’éducation. Elle rappelle combien la sexualité, le mariage, la maternité recouvraient des réalités très différentes selon les classes sociales et combien les prêtres s’employaient à peser sur le comportement des femmes. L’occasion au passage de rendre hommage à Michel Foucault quand il engage, dans les années 70, chacun et chacune à une introspection sur la vérité de son sexe.

Venez apprendre comment nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave, comment, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel.
Choderlos de Laclos, "De l’éducation des femmes"

Les chantres de la Révolution Française se targuaient de proclamer l’émancipation universelle, d’avoir permis la dépénalisation de la prostitution ou l’accès des femmes au divorce et à l’héritage ; ils se sont aussi employés à les reléguer dans un rôle d’épouse et de mère confinée dans la sphère privée, comme l'avait déjà démontré Geneviève Fraisse dans "Muse de la Raison: Démocratie et exclusion des femmes en France" (ed Gallimard).  Thèse réaffirmé par la chercheuse Clyde Plumauville, rejointe par le professeur Jean-Christophe Abramovici, qui est convaincu que la Révolution Française n’était pas favorable aux femmes, mais a toutefois retrouvé dans la littérature des 17ème et 18ème siècles des écrits hautement libératoires. Et de citer « De l’éducation des femmes » (qui vient d’être réédité et brandi dans la polémique sur « le droit des femmes à être importunées »), ouvrage dû au militaire, inventeur et célèbre écrivain Choderlos de Laclos souvent confiné à tort dans la rubrique « libertinage ». Ou encore les propos pour une égalité radicale hommes/femmes défendue par le philosophe cartésien François Poulain de la Barre.

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Jean-Christophe Ambramovici
©MJS

Si la lutte contre le harcèlement sexuel est actuellement sous les feux de l’actualité et est considérée par d’aucun.e.s comme une nouvelle forme de progrès, Jean Christophe Abramovici souligne par ailleurs combien la libération des mœurs a aussi engendré de nouvelles formes de pornographie qui marquent en fait une vraie régression. Le quotidien français Libération, champion des titres suggestifs, écrivait récemment « le porno a chaud aux fesses » pour s’interroger sur le bien fondé d’une législation renforcée destinée à protéger les adolescents en la matière.

Droits des femmmes : accélérations et retours en arrière

Le rôle d’accélérateur d’émancipation joué par les guerres mondiales est soulevé par Bibia Pavard, Maîtresse de conférences à Paris II. D’Olympe de Gouges à Simone de Beauvoir, puis à l’après Mai 68, le mouvement a connu des retours en arrière. Et de citer les exclusions prononcées par le Parti communiste dans les années 1930 à l’endroit des défenseurs de la contraception, tandis que les syndicats invitaient toutefois leurs membres à « ne pas faire trop d’enfants ». Il se caractérise aussi par la démocratisation du discours sur la sexualité, la valorisation du plaisir réciproque, le rôle des médias en la matière et le relais assuré par les politiques publiques avec notamment la légalisation de la contraception évoquée en 1965 par François Mitterrand lors de la campagne présidentielle. Sans toutefois que les contraintes – intériorisées - ne se dissipent définitivement.

Edith Héard, Yves Coppens et Pierre-Henri Gouyon.
Edith Héard, Yves Coppens et Pierre-Henri Gouyon.
©MJS

Hommes et femmes : égalité devant l’évolution ?

Après les historien.ne.s réuni.e.s par France-Culture, unanimes à rappeler combien les sciences naturelles et la médecine, malgré les progrès accomplis, ont longtemps présenté, avec le discours de l’impartialité, le corps de la femme comme une catastrophe ou, au mieux, un réceptacle de constitution fragile, tandis que son esprit était sujet à l’hystérie selon Charcot, égrenant les bonnes raisons de protéger l’épouse ou la fille en l’enfermant au foyer, la parole est aux expert.e.s en génétique, paléontologie et biologie.
 
La femme : une éternelle malade.
Michelet

Les réflexions de Françoise Héritier, souvent citée par ses pairs, font autorité en la matière. Celles d’Yves Coppens s’égrènent ici avec la belle pédagogie qui caractérise cet éminent palé-anthropologue de carrure mondiale. Et d’expliciter à grandes « enjambées », depuis des millions et des milliers d’années, l’adaptation des êtres humains aux différents facteurs qui les entourent. Et de dire que la sélection sexuelle du travail n’est étayée par aucune preuve, y compris dans l’observation du contenu des tombes et des peintures sur les murs des cavernes. C’est avec un amusement partagé par le public nombreux réuni à la Sorbonne qu’il aborde en compagnie de la généticienne britannique Edith Heard et du biologiste français Pierre-Henri Gouyon la question de l’incidence de la nourriture, de l’activité physique, mais aussi de la nature des territoires sur l’évolution. «  Et si le mâle était une aberration évolutionniste ? »: le biologiste Pierre Henri Guyon, sourire malicieux, n’y va pas de main morte. Au passage, les scientifiques réunis ici évoquent le bimorphisme, ou non, dans les espèces animales, selon que les accouplements sont le fait du mâle ou de la femelle, que la monogamie ou la polygamie est de rigueur. Convaincus que la culture induit des schémas tout autant que la nature, ils affirment que toute différence génétique peut être changée si on pèse sur l’environnement.

Le désir doit-il se soumettre à la loi ?

L’invitation de France-Culture à un philosophe, Raphaël Enthoven, est complétée par celle à une historienne de la psychanalyse, Elisabeth Roudinesco, et à une femme politique, la sénatrice Laurence Rossignol, pour engager une réflexion d’autant plus opportune que l’actualité y soumet des cas bien concrets, ici et outre Atlantique. Ancienne ministre des Droits des femmes sous la présidence de François Hollande, qui a porté la loi pénalisant les clients des prostituées, elle souligne d’entrée de jeu que la loi ne peut s’appliquer, le cas échéant, qu’à l’accomplissement du désir quand il est contraire à l’ordre public, qu’il porte atteinte à la liberté d’autrui, qu’il recourt à la violence. Non à ce qui est de l’ordre de la sphère intime, du fantasme.

La liberté opprime. La loi affranchit.
Henri Lacordaire, dominicain, s’adressant aux ennemis de Dieu et du genre humain, depuis la chaire de Notre-Dame à Paris.

Légiférer sur la prostitution : entre efficacité réelle et vœu pieux générateur de bonne conscience, le sujet demeure très sensible, tant la liberté revendiquée pour les protagonistes se heurte aux arguments arguant que le « commerce » sexuel et les images « de charme » sont une forme moderne d’esclavagisme et de violence faite aux femmes. D’exploitation, pour le moins, de la misère et de la fragilité administrative de la plupart de celles et ceux qui arpentent les trottoirs de nos villes ou les sites de chat.

Laurence Rossignol et Raphaël Enthoven
Laurence Rossignol et Raphaël Enthoven.
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Au détour d’échanges sur la nécessité ou non de légiférer sur la GPA, sur l’intrusion des religions quant à l’approche de la sexualité tant dans le débat public que dans l’intimité des esprits, les « philosophes » ont manifesté une unanimité quant aux avancées en matière de capacité à porter plainte pour viol, à recevoir et traiter  les dépositions, de manière à ce que les victimes soient reconnues dans leur besoin d’obtenir réparation. Et à ce que des prédicateurs soient démasqués lorsqu’ils se révèlent être des imposteurs.

Quant à la volonté de lutter, par la loi, contre le harcèlement, elle a été jugée globalement inutile (le Code Pénal donne déjà tous les instruments nécessaires), ou pour le moins impraticable et susceptible de se confondre avec le « délit au facies ».

L’égalité des sexes fait-elle la richesse des nations ?

Il ne fallait pas moins de deux économistes, Réjane Sénac, directrice de recherche au CNRS et au CEVIPOF, Jean-François Amadieu, professeur de gestion à Paris I, d’une philosophe et sociologue, Dominique Méda,  inspectrice générale des affaires sociales, et de la directrice d’Orange en charge de la diversité, Line Pélissier, pour répondre aux questions de l’heure : à quand l’égalité salariale et l’accès paritaire à toutes les fonctions et responsabilités professionnelles ? Et que penser des quotas ? La situation s’est un peu améliorée en 20 ans, semble-t-il. Et les grandes entreprises du CAC 40 savent qu’elles sont attendues sur le sujet. Leurs efforts en matière de recrutement et de promotion interne, leur travail avec des écoles d’ingénieurs notamment pour favoriser la mixité dans les métiers, en attestent. La composition des conseils d’administration évolue positivement. Les chiffres restent têtus pourtant à examiner les rapports pour la France et sur surface mondiale cités par Dominique Méda, spécialiste des indicateurs de richesse des femmes et créatrice du Laboratoire de l’égalité.

La rentabilité se nourrit-elle des critères classiques associés à la performance et des discriminations, dont celle à l’égard des femmes ? Ou l’égalité Hommes/Femmes, sujet apparemment consensuel en soi, peut-elle générer plus d’efficacité, de prospérité ?

A retrouver sur ce sujet : > Sans inégalités salariales hommes-femmes, l'Etat empocherait 33,6 milliards d'euros par an

Etudes et méta-analyses ne sont pas exemptes de contradictions en matière de comportement des femmes et des hommes face à la productivité et au « leadership ». Les clichés en la matière sont jugés par les expert.e.s aussi dangereux que certaines attentes « politiques » qui visent à tordre le cou aux observations de la réalité. La prospérité reste souvent associée à la division entre les nations et le cynisme n’est pas mort, surtout en période de crise économique. Quant à la législation visant à lutter contre les discriminations, son efficacité est liée aux capacités ou non de nos sociétés à permettre aux parents de concilier vie professionnelle et familiale. Et elle se heurte à un champ bien plus complexe que celui de la seule différence sexuelle. Jean-François Amadieu, convaincu de la volonté du gouvernement à renforcer la chasse aux discriminations, a repéré 25 critères en France. Dont celui lié à l’apparence physique dans les embauches liées aux métiers commerciaux. Un élément difficilement cernable par la loi.

Olivier Assayas et Olivia Gesbert
Olivier Assayas et Olivia Gesbert
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En clôture le réalisateur et scénariste Olivier Assayas, tout juste revenu de Los Angeles, répondait à Olivia Gesbert, replaçant le débat au coeur de l’actualité et du monde du cinéma. Un monde où le processus artistique s’appuie sur le désir, l’attirance, l’émotion, mais où des prédateurs peuvent aussi jouer de la vulnérabilité.

France-Culture diffusera ce dialogue ce vendredi 16 février.

Vendredi 16 février : Journée spéciale à l’antenne de France Culture
9h05–10h La Fabrique de l’histoire par Emmanuel Laurentin : Les révolutions sexuelles sont-elles le moteur de l’Histoire ?
10h–11h Les chemins de la philo par Adèle Van Reeth : Le désir peut-il se soumettre à la loi ? 
14h–15h Entendez-vous l’éco par Maylis Besserie : L’égalité des sexes fait-elle la richesse des nations ?
16h–17h La méthode scientifique par Nicolas Martin : Hommes et femmes, égales devant l’évolution ?
Sur le site de France Culture, le dossier : 
www.franceculture.fr/dossiers/sexes-et-pouvoirs
Les fréquences de France Culture :
http://www.radiofrance.fr/boite-a-outils/frequences