Rio 2016 : en Inde et en Mongolie, des lutteuses combattent aussi pour les femmes

C'est le combat commun des lutteuses en Mongolie et en Inde. Avant de venir défendre leurs couleurs sur les tapis de Rio, avec pour certaines de réelles chances de médailles, elles ont dû briser l'interdit social d'un sport considéré comme exclusivement masculin.
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Les lutteuses Vinesh Phogat et Soronzonboldyn Battsetseg
Les lutteuses Vinesh Phogat et Soronzonboldyn Battsetseg : la jeune Indienne de 21 à gauche sur la photo, et la vedette de Mongolie à droite
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Elles ne s’affronteront pas : l’une joue dans la catégorie de « lutte libre » des moins de 63 kilos, l’autre dans celle des moins de 51 kilos. Mais sous des horizons différents, elles mènent un même combat pour l’émancipation des femmes, et permettre aux filles de adonner à leur sport favori, quel qu ‘il soit, où qu’elles soient.. L’Indienne Vinesh Phogat a 21 ans et son compte twitter regorge d’appels à l’élévation de la condition des femmes, comme ce post du 31 juillet 2016, à quelques jours des Jeux olympiques de Rio, dédié "à toutes les fortes femmes".
 

« Je suis une femme forte. Tout ce qui me donne des coups, je l’ai affronté moi seule. J'ai pleuré pour dormir. Je mes suis ramassée et j’ai essuyé mes larmes. J'ai dépassé beaucoup de choses destinées à me briser.Je suis plus forte de jour en jour. Et je dois remercier Dieu pour ça. » est-il écrit sur cette pancarte, fièrement brandie par la jeune championne de 21 ans.  Et on voit dans la vidéo ci-dessous, prise lors d'un combat, qu'il vaut effectivement mieux ne pas tenter de s'opposer à la jeune personne...
 

Soronzonboldyn Battsetseg a cinq ans de plus que sa consoeur indienne, a grandi elle aussi en Asie, en Mongolie pays de l’Ex Union soviétique, indépendant depuis 1992), et est surnommée chez elle « fleur indestructible ». "C'est plus facile pour un homme de devenir lutteur en Mongolie. Les femmes sont obligées d'être mentalement beaucoup plus fortes", constate-t-elle sobrement.

Cette fille de nomades a défié la steppe mongole en combattant avec des garçons de son âge. Puis a vu sa vie basculer en arrachant le bronze en moins de 63 kilos aux JO de Londres, en 2012.

Tumendembereliin Sukhbaatar, l'un des entraîneurs - tous masculins - du centre d'entraînement de la région d'Oulan-Bator, en convient en se souvenant de ses débuts en 2000 : "Les hommes pensaient que le tapis était un lieu sacré et que les femmes ne devaient pas y être autorisées parce qu'elles étaient impures." Pourtant en Mongolie, les femmes ne se'n laissent pas compter, héritage mêlé des temps soviétiques et de traditions locales. Le magnifique Urga du cinéaste russe Nikita Mikhalkov, portrait d'une famille mongole, s'ouvre par une course poursuite à cheval entre un prétendant et sa promise. Cette compétition d'égale à égal marque aussi les relations ultérieures entre époux.
  

L’une et l’autre sont multimédaillées et jouissent aujourd'hui d'une popularité nationale sans égale, mais aucune des deux n'oublie combien elle a été conspuée avant d'atteindre ces glorieux sommets.

La menace des oreilles en chou-fleur


Tout, pour ces femmes, s'est donc joué à force de courage et de persévérance. Il leur aura fallu affronter les résistances, fermer les yeux, se boucher les oreilles. Et refuser de se rendre.

Ce fut le cas de Vinesh, sa cousine Babita et sa coéquipière Sakshi Malik, qui ont grandi à Haryana et sont toutes les trois aux Jeux de Rio. Cette ville voisine de New Delhi est régie par de rigoureux conseils de village, au sein desquels les hommes s'assurent que les femmes ne défient en rien les valeurs traditionnelles.

Le mariage hors caste ou hors religion y est passible de punitions, jusqu'aux crimes d'honneur. Et les avortements sélectifs ont valu à la ville le pire ratio du pays en terme de genre, avec 877 femmes pour 1.000 hommes, contre 940 dans tout le pays, selon le dernier recensement de 2011.

Lorsque Sakshi s'est éprise de lutte vers l'âge de 12 ans, les villageois ont copieusement admonesté ses parents, arguant qu'elle finirait les oreilles en chou-fleur et deviendrait rien moins qu'impossible à marier car indésirable. "Je ne comprenais pas pourquoi les gens disaient de telles bassesses alors que j'étais encore si jeune", explique-t-elle. "Ca m'a fait douter."

Difficile de ne pas vaciller face à des mentalités fortes de certitudes séculaires. Comme en Mongolie, où une princesse du 13e siècle a refusé d'épouser un homme incapable de la battre au combat. Le mythe est considéré comme à l'origine de l'interdit qui frappe les lutteuses. L'histoire, rapportée en Occident par Marco Polo, a notamment inspiré Turandot, l'opéra de Puccini.

Après l'ostracisme, le firmament de la célébrité


Comment, alors, secouer une société si convaincue d'elle-même ? Le regard des Indiens a commencé à changer après la breloque en or de Geeta, l'aînée de la lignée des Phogat, aux jeux du Commonwealth 2010. Elle est devenue par la même occasion la première Indienne à se qualifier pour les JO, en 2012 à Londres.

Sakshi, quant à elle, est devenue une célébrité locale après sa médaille d'argent aux jeux du Commonwealth 2014. "C'est vraiment bizarre de voir combien les gens peuvent s'intéresser à moi maintenant que je suis devenue célèbre", se réjouit Sakshi en parlant des villageois désormais avides de selfies avec elle.

Quand je rentre à la maison, les gens m'accueillent comme si j'étais le président
Soronzonboldyn Battsetseg

Idem en Mongolie où le sourire de Battsetseg orne désormais les panneaux publicitaires d'Oulan-Bator depuis sa troisième place à Londres, la première médaille olympique du pays depuis 1980. "Quand je rentre à la maison, les gens m'accueillent comme si j'étais le président."

Elle sait pourtant qu'elle ne sera jamais autorisée à participer aux célébrations traditionnelles du Naadam. Si elle peut s'aligner sur l'équitation et le tir à l'arc dans ces joutes, la lutte lui reste encore interdite.

On ne porte jamais de saris ou de trucs de filles !
Vinesh Phogat

La victoire de ces femmes est finalement peut-être ailleurs, dans cette vie improbable qu'elles ont su s'offrir alors que les attendait le carcan serré des obligations des femmes soumises. "Ma vie est très spéciale par rapport à celle de mes amies. Certaines ont fait un peu d'études avant de retourner aux travaux ménagers. Celles qui sont mariées s'occupent de leur mari et de leurs enfants", constate Sakshi.

Quant à Vinesh, sa fierté sera sans limite vendredi soir lorsqu'elle portera la tenue traditionnelle indienne. "C'est bon d'aller à la cérémonie d'ouverture, de voir notre drapeau voler haut et de s'amuser en sari", s'enthousiasme celle dont les ongles roses tranchent avec sa robuste musculature.  "Parce que d'ordinaire, on ne porte jamais de saris ou de trucs de filles !"