». C’est l’étonnante réponse que la médaillée de bronze de Rio, Margaret Nyairera Wambi a adressée aux journalistes après sa performance au 800 m femmes, le 20 août 2016. Avec la médaillée d’or sud-africaine Caster Semenya, elles ont refusé de s’étendre sur les questions d’intersexualité et sur les médicaments destinés à réduire leurs taux de testostérone. C’est que les deux femmes sont au cœur d’un débat mêlant identité sexuelle, hormones, performances physiques et équité.
Ses concurrentes ne se privent pas de remarques sexistes, à l’image de l’Italienne Elisa Cusma Piccione qui déclare : « Pour moi, ce n’est pas une femme ».
A partir de ce moment, c'est la descente aux enfers pour la sportive. « Caster Semenya a dû subir un réel procès pour cause de virilisation. Le Comité Olympique International appelle ça le « doute visuel » : si elle ne correspond pas aux critères traditionnels de la féminité – poitrine marquée, hanches larges - on remet en cause son sexe. C’est très humiliant et discriminant » explique à Terriennes la sociologue spécialiste de la problématique femmes et sport, Catherine Louveau .
Pendant 11 mois, Caster Semenya est privée de compétitions. 11 mois pour « tester sa féminité » par tous les moyens, allant d’examens sanguins et chromosomiques jusqu’aux tests gynécologiques. Tout ça sur demande de la Fédération Internationale d’Athlétisme : la I.A.A.F.
Résultats : la Sud-africaine est
intersexuée. Comme entre 0,1 et 0,4% de la population mondiale, ses attributs sexuels ne correspondent pas au sexe que l’on pourrait définir en étudiant sa génétique. Elle est également considérée par la I.A.A.F. comme une « athlète atteinte d’hyperandrogénie ». C’est à dire qu’elle secrète plus d’androgène que la moyenne, ce qui entraîne une hausse de son niveau de testostérone. L’hormone étant à l’origine d’une augmentation de la masse musculaire et donc suspectée d’influencer la performance.
Les tests de féminité : comment être reconnue femme ?
Depuis les années 1960, le C.I.O. fait passer aux sportives toutes sortes de tests de féminité. Le Comité prétend ainsi être capable de définir ce qu’est une femme. Sur quels critères peut-il bien statuer ? Les gènes ? Les organes génitaux ? L’éducation ? Ou encore la psychologie ? Personne ne le sait réellement et sa méthodologie ne cesse d’évoluer.
Dans les années 1960, les athlètes ont l’obligation de se soumettre à des tests gynécologiques. La femme est nue, face à deux gynécologues. En 1968, cette pratique est remplacée par des tests chromosomiques. Le Comité international olympique (CIO) les abandonne en 2000, jugés trop coûteux, stigmatisants, et surtout sans base scientifique. Pendant dix ans, le CIO laisse à la responsabilité des fédérations d’établir leurs critères et leurs méthodes. En 2011, pour un nouvel indice est entré en jeux : le taux de testostérone.
Prendre des médicaments... alors qu'on est en pleine santé
L’I.A.A.F, bénéficiant du soutien du Comité Olympique International, décide alors de réglementer la participation aux épreuves des athlètes intersexuées en mai 2011. Concrètement, le texte se traduit par une interdiction pour les femmes ayant un taux de testostérone supérieur à 10 nanomoles par litre, de participer aux compétitions féminines.
Dès lors, les athlètes ont plusieurs « choix » : prendre un traitement, subir une opération ou prouver qu’elles ne retirent aucun bénéfice de leur taux de testostérone supérieur à la moyenne. Elles sont donc contraintes de s’infliger des «
mutilation contraires à l’éthique et non nécessaires médicalement » juge Richard Holt, professeur en
endocrinologie à l'université de Southampton, et interrogé par Terriennes.
Mesurer le taux de testostérone, une méthode très discutée
Mais tester le taux de testostérone d’un athlète est considéré par beaucoup de spécialistes de la santé et du sport comme étant une aberration.
Tout d’abord parce que la corrélation entre le taux de testostérone d’un athlète et sa performance physique n’a jamais été scientifiquement prouvé. «
Les études réalisées par Peter Sonksen et ses collègues montrent clairement que les hommes avec un taux de testostérone très bas performent aussi bien leurs concurrents à haut niveau. Dans le cas des femmes atteintes du syndrome d’insensibilité aux androgènes, elles sont incapables d’utiliser la testostérone qu’elles produisent. Le fait qu’elles soient sur représentées dans les compétitions permet de penser que la testostérone n’est pas nécessaire pour performer. » explique Richard Holt.
Deuxièmement, définir un taux de testostérone « normal » pour satisfaire un idéal d’équité dans la compétition serait aussi absurde que de déterminer une limite de taille. « La testostérone est une des variantes interindividuelles possibles, parmi beaucoup d’autres. Le morphotype d’Usain Bolt n’a jamais été critiqué et pourtant il l’avantage beaucoup. Et c’est le cas de tous les grands sportifs : pour atteindre un tel niveau, il faut être doté d’avantages physiques ou biologiques » estime Catherine Louveau.
Enfin, cette pratique pose problème car elle n’est appliquée qu’aux femmes. La composition hormonale des athlètes masculins n’est sujette à aucune réglementation, aucune valeur ne fait office de maximum. Et pourtant, selon une étude de l’endocrinologue Britannique Peter Sonksen menée sur 650 olympiens, 6% des hommes ont un niveau de testostérone que l’on pourrait qualifier de féminin.
Suspension de la réglementation et contestation des professionnels
Il faut attendre juillet 2015 pour que la réglementation concernant le taux de testostérone des athlètes soit modifiée, grâce au cas de Dutee Chand. La sprinteuse indienne, offusquée de ne pas avoir été autorisée à participer aux Jeux du Commonwealth de 2014 en raison de son hyperandrogénie avait saisi le Tribunal Arbitral du Sport (T.A.S.).
Le T.A.S. statue en sa faveur en juillet 2015 et le règlement de l’I.A.A.F. sur l’hyperandrogénie est suspendu pour deux ans. Une victoire pour ces femmes trop souvent stigmatisées lors de compétitions où le corps doit répondre aux normes de la féminité.
Mais le combat n’est pas encore terminé : l’I.I.A.F. présentera dans les prochains mois un nouveau règlement pour les athlètes qui ne rentrent pas dans la distinction binaire classique hommes – femmes. Et au delà des textes, c'est aux mentalités qu'il va falloir s'attaquer selon Catherine Louveau: « C’est incroyable, les sportives doivent donner à voir des signes de la féminité dominante. Alors que dans les années 1960, 1970, beaucoup d’athlètes avaient les cheveux courts pour des raisons pratiques, la plupart des compétitrices ont aujourd’hui des cheveux longs, du maquillage, les ongles faits … C’est devenu une obligation si elles désirent être médiatisées » .