Nous l'avions rencontrée à l'hiver 2013, nous la retrouvons presque quatre ans plus tard, au détour d'une décision historique : deux Libanaises ont été ordonnées pasteures par l’Eglise évangélique réformée arabe, confession très minoritaire au Liban, en février et mars 2017. Rola Sleiman et Najla Kassab deviennent ainsi officiellement les premières femmes pasteures du Moyen-Orient. L’une à Beyrouth, l’autre à Tripoli, toutes deux appelées par leur communauté pour remplacer les pasteurs partis vers des contrées plus paisibles.
Pour être ordonnée par l’Eglise évangélique réformée arabe, un vote a été nécessaire. A Tripoli, bastion de l'islam sunnite, d'où sont partis des partisans de l'Etat islamique, Rola Sleiman a recueilli 23 voix, une large majorité, en sa faveur (une seule voix contre). Officiant dans son église depuis plusieurs années, où elle ne pouvait ni administrer de sacrements, ni présider à des communions ou des baptèmes car n’étant pas consacrée, l'élue s'est avouée surprise : « Je pensais bien que le vote passerait, mais je ne pensais pas que ce serait avec autant de voix. Quel étonnement ! Ce qui m'est arrivée c'est comme allumer une bougie dans une salle obscur et donner de l'espoir aux gens ».
Ce qui fait la différence entre un homme et une femme face à Dieu, c'est le degré de sa croyance et de piété, pas son sexe
Rola Sleiman, pasteure
Madame la pasteure peut tout faire, sauf…
C’est pourtant par pur hasard, à la suite du départ de son prédécesseur, que Rola a décidé de prendre les reines de l’église voilà cinq ans.
“Je ne voulais pas laisser l’église sans pasteur. J’avais donc accepté d’occuper ces fonctions par intérim. J’effectuais toutes les tâches d’un pasteur. Les paroissiens ont donc eux-mêmes proposé que je sois nommée en tant que tel. J’ai déposé une demande d’accréditation pastorale auprès du Synode, le conseil ecclésiastique local. Ils étaient un peu surpris de ma demande, mais étaient également très fiers qu’une femme leur fasse une telle requête”, raconte-t-elle.
Mis à part les sacrements, qu’elle ne pouvait alors célébrer qu’en présence d’un prêtre ordonné, Rola s’occupait de toutes les tâches reliées à sa paroisse. “Au début certaines personnes ont soulevé le fait qu’elle est une femme, mais nous avons décidé de lui donner une chance. Les gens l’adorent parce qu’elle est honnête et aime les gens”, affirme fièrement Jack, un membre de la paroisse.
Prêcher en territoire incertain
Au son de l’orgue, Rola arpente l’allée entre les rangées de bancs et salue les fidèles qui font leur entrée. Aujourd’hui, ils sont une vingtaine à avoir fait le déplacement. Un bon nombre selon Rola compte-tenu des nombreux affrontements qui secouent la ville depuis quelques semaines. La paroisse, qui ne regroupe que 33 familles, a en effet de plus en plus de mal à convaincre ses membres de venir célébrer la messe dans la petite église de Tripoli. “Nous n’avons pas pu tenir la messe la semaine passée. Des manifestants lançaient des cocktails Molotov du toit de notre église. Les gens ont peur de venir à Tripoli. Nous sommes donc de moins en moins à assister à la messe”, raconte-t-elle.
Depuis le début de la guerre en Syrie, Tripoli est régulièrement le théâtre de violences sectaires entre les communautés musulmanes chiites soutenant le régime de Bachar al Assad et les sunnites, favorables à la rébellion. “J’ai peur de venir à l’église maintenant. On ne sait jamais ce qui peut se passer à Tripoli”, déplore une paroissienne d’origine palestinienne en dégustant un café en compagnie d’autres paroissiens après la messe.
L'art de la mosaïque
C’est d’ailleurs sur le thème de la réconciliation que Rola a décidé de tenir son sermon. “Nous vivons dans la division et la haine. Tripoli est pourtant une merveilleuse mosaïque culturelle”, dit-elle.
Malgré son succès, Rola envisageait sa demande d’ordination pour devenir prêtre, uniquement dans le consensus. « Je ne cherche pas mon succès personnel. Je ne suis pas encore certaine que tous les membres de la paroisse et de notre communauté au Liban soient d’accord pour que je sois ordonnée prêtre. S’il y a la moindre chance que cela crée une division au sein de notre église, je préfère ne pas le faire », concluait-t-elle en ce Noël 2013. Optimiste et accommodante, envers et contre tous, toujours et avec raison...