Pour être ordonnée par l’Eglise évangélique réformée arabe, un vote a été nécessaire. A Tripoli, bastion de l'islam sunnite, d'où sont partis des partisans de l'Etat islamique, Rola Sleiman a recueilli 23 voix, une large majorité, en sa faveur (une seule voix contre). Officiant dans son église depuis plusieurs années, où elle ne pouvait ni administrer de sacrements, ni présider à des communions ou des baptèmes car n’étant pas consacrée, l'élue s'est avouée surprise : « Je pensais bien que le vote passerait, mais je ne pensais pas que ce serait avec autant de voix. Quel étonnement ! Ce qui m'est arrivée c'est comme allumer une bougie dans une salle obscur et donner de l'espoir aux gens ».
Ce qui fait la différence entre un homme et une femme face à Dieu, c'est le degré de sa croyance et de piété, pas son sexe
Rola Sleiman, pasteure
Décembre 2013. Comme chaque dimanche, Rola Sleiman se rend à l’église évangélique presbytérienne (protestante) de Tripoli, dans le nord du Liban, afin de célébrer la messe hebdomadaire. Ce matin de décembre, c’est au son de la chanson Heal The World de Michael Jackson qu’elle affronte le trafic de Tripoli pour rejoindre sa paroisse. Depuis 2008, la jeune femme de 38 ans est à la tête de la petite paroisse. Elle est d’ailleurs la première femme au Liban - et la première dans tout le Moyen-Orient -, à avoir été nommée pasteure.
“Je pense que la clé du succès de ma nomination est le fait que j’ai toujours été très proche des paroissiens. Je les visitais et j’allais prier pour eux. Ils ont appris à me connaitre. La question du genre n’a donc jamais été un problème pour eux”, explique Rola, titulaire d’une licence en théologie.

Madame la pasteure peut tout faire, sauf…
“Je ne voulais pas laisser l’église sans pasteur. J’avais donc accepté d’occuper ces fonctions par intérim. J’effectuais toutes les tâches d’un pasteur. Les paroissiens ont donc eux-mêmes proposé que je sois nommée en tant que tel. J’ai déposé une demande d’accréditation pastorale auprès du Synode, le conseil ecclésiastique local. Ils étaient un peu surpris de ma demande, mais étaient également très fiers qu’une femme leur fasse une telle requête”, raconte-t-elle.
Mis à part les sacrements, qu’elle ne pouvait alors célébrer qu’en présence d’un prêtre ordonné, Rola s’occupait de toutes les tâches reliées à sa paroisse. “Au début certaines personnes ont soulevé le fait qu’elle est une femme, mais nous avons décidé de lui donner une chance. Les gens l’adorent parce qu’elle est honnête et aime les gens”, affirme fièrement Jack, un membre de la paroisse.
Prêcher en territoire incertain
Depuis le début de la guerre en Syrie, Tripoli est régulièrement le théâtre de violences sectaires entre les communautés musulmanes chiites soutenant le régime de Bachar al Assad et les sunnites, favorables à la rébellion. “J’ai peur de venir à l’église maintenant. On ne sait jamais ce qui peut se passer à Tripoli”, déplore une paroissienne d’origine palestinienne en dégustant un café en compagnie d’autres paroissiens après la messe.

L'art de la mosaïque
Malgré son succès, Rola envisageait sa demande d’ordination pour devenir prêtre, uniquement dans le consensus. « Je ne cherche pas mon succès personnel. Je ne suis pas encore certaine que tous les membres de la paroisse et de notre communauté au Liban soient d’accord pour que je sois ordonnée prêtre. S’il y a la moindre chance que cela crée une division au sein de notre église, je préfère ne pas le faire », concluait-t-elle en ce Noël 2013. Optimiste et accommodante, envers et contre tous, toujours et avec raison...
