Fil d'Ariane
Et Romy Schneider est devenue "Romy". Une amie intime dans le coeur du public. Le temps a pourtant passé depuis sa disparition, en mai 1982.
Rien n'y fait.
La star suscite une passion toujours intacte.
Pour s'en convaincre, il suffit de voir l'agitation médiatique qu'a provoqué "Trois jours à Quiberon", ce biopic où est représentée l'actrice sans cesse sur le fil du rasoir, chaloupant entre gorgées d'alcool et orgie de tranquillisants.
Malaise, scandale, applaudissements.
En France, contrairement à l'Allemagne, où le film a été honoré de plusieurs prix, le biopic a rencontré un succés mitigé. A peine plus de 45000 personnes ont fait le déplacement la première semaine d'exploitation.
réels. Ces derniers sont "arrangés" pour les besoins d'une continuité dramatique.
A imposer ce qui est authentique, rigoureusement exact, la fiction se décolore. A trop construire le vraisemblable, la vérité n'en est plus une.
Perdant-perdant.
Le mariage réalité/imagination finit donc souvent en divorce.
Et tout le monde s'étrangle de colère.
Rien de tel avec cette biographie parue en Allemagne il y a vingt ans et qui fut alors un best-seller.
"Romy Schneider intime" (l'Archipel édition), enfin traduite en français, ne s'appuie que sur des faits avérés et indiscutables.
Son auteure, Alice Schwarzer, a rencontré plusieurs fois la star à Cologne.
La journaliste n'a pas cambriolé son coeur.
Elle l'a enregistré.
Seule exigence de l'actrice : ne pas "la trahir".
Un mot omniprésent dans sa vie. "Son plus gros souci explique Alice Schwarzer, était d'être comprise. Regarde-moi, ce n'est pas le cliché, ce n'est pas Sissi qui te parle, c'est MOI ! semblait-elle me dire. Romy Schneider m'a fait confiance. Très vite, elle n'a plus parlé à la journaliste que j'étais mais à la femme. C'était embarrassant et aussi une grande responsabilité. Qu'est ce que je peux publier ? Que dois-je dire ? Cela m'a beaucoup touchée, cette crainte d'être trahie. Et j'ai écrit ce livre une dizaine d'années après sa mort".
Comment expliquer cette confession de la part d'une actrice souvent méfiante et régulièrement villipendée par la presse allemande ?
C'est que Alice Schwarzer est une grande figure du féminisme outre-Rhin. Proche de Simone de Beauvoir, elle a lancé avec succès en 1977 le magazine féministe Emma, qui reste aujourd'hui encore une référence. Et qui consacre sa Une de septembre 2018 à... Romy Schneider pour cette fameuse "rencontre" avec Alice Schwarzer...
Romy lui a donc parlé.
Librement.
Romy Schneider était au coeur de ce conflit si moderne pour les femmes entre une passion pour sa profession et une passion pour ce qu’elle appelait l’amour
Alice Schwarzer
Alice Schwarzer raconte le premier contact puis sa rencontre avec Romy Schneider dans les années 1970. C’était à l’occasion du manifeste des 343, le texte français qui avait mis sur la table la légalisation du droit à l’avortement. La journaliste voulait faire la même chose en Allemagne, et la comédienne avait souscrit immédiatement. Puis en 1976, au lancement de Emma, il lui apparaissait évident que Romy Schneider « incarnait tous les femmes en Allemagne depuis la guerre », par les rôles qu’elle avait joués, devait être au coeur du premier numéro de ce magazine. Parce qu’aussi, « elle était au coeur de ce conflit si moderne pour les femmes et qui vient de loin, entre une passion pour sa profession et une passion pour ce qu’elle appelait l’amour. Elle n’a jamais réussi à vivre les deux en même temps ».
Retrouvez Alice Schwarzer dans Terriennes :
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résidence de Adolf Hitler. Sa mère Magda, actrice adulée, est en effet une intime du Fürher.
Sa vie durant, Romy restera persuadée que les deux ont eu une relation amoureuse. Elle fera part de ses soupçons à Alice Schwarzer, la journaliste-biographe qui accueillera ces propos avec un certain scepticisme : "je lui ait dit que c'était très peu probable. On sait que Hitler n'avait pas d'affaire sexuelle avec les femmes".
La future star, malgré tout, continue d'être invitée lors des anniversaires des huit enfants de Martin Bormann, dauphin de Hitler, un des hommes les plus puissants du Troisième Reich.
"Les parents de Romy étaient plus que de simples sympathisants nazis : ils étaient de vils courtisans et même plus tard, ne se sont guère posés de questions. (...) Il est certain que Magda n'a dû sa carrière fulgurante (...) qu'à la bienveillance dont elle jouissait en haut lieu. Sous le nazisme, il n'y avait pas d'autre moyen de faire carrière au cinéma" écrit Alice Schwarzer." Et c'est peut-être l'une des raisons pour laquelle, sa vie durant, Romy Schneider interprétera des rôles de victimes du nazisme (Le train, Le vieux fusil, La passsante du Sans-souci..).
De plus, et cela n'est pas anodin, ses deux enfants porteront un prénom hébraïque (David et Sarah) et son premier mari, Harry Meyen, acteur et metteur en scène, a survécu aux camps de concentration.
Est-ce pour apaiser une gêne, sinon une honte, d'être issue de cette famille-là ?
Le livre évoque les années très dures, quoique formatrices, au pensionnat Goldenstein. La gamine y entre à 10 ans. Cette "fille de parents divorcés", "un peu garçon manqué, sauvageonne et excentrique" y connaît une certaine solitude parmi les soeurs parfois féroces qui gèrent l'internat.
Elle couche ses espoirs d'adolescente sur Peggy, surnom qu'elle donne à son journal intime.
En 1951, à treize ans, elle écrit : " La musique, le théâtre, le cinéma, les voyages, l'art. Oui ! Ce sont mes attributs, mes éléments. Ces cinq mots font bouillir mon sang de passionnée de théâtre". Quelques temps plus tard, enflammée : " Etre aimée par beaucoup d'hommes ! Des hommes gentils et beaux. Je n'en veux pas d'autres - juste des gentils ! De beaux hommes !"
A quinze ans, on lui propose de faire des essais pour "Lilas blancs" (Hans Deppe, 1953). Elle confie à Peggy, son journal, le 16 juillet 1953 : "Si je pouvais, je sauterais de joie jusqu'au plafond !" .
Romy est choisie.
Elle interprète la fille de sa propre mère, Magda Schneider.
Succès foudroyant.
Avec Sissi, Romy est devenue le produit d'exportation numéro un de l'industrie cinématographique allemande
Alice Schwarzer
Voici la très jeune femme propulsée, d'un coup, au firmament. Sans jamais avoir pris aucun cours d'art dramatique et donc sans vrai recul sur ce métier difficile, déstabilisant et
dangereux. S'ensuivront des réalisations gentilles, lisses et bon enfant, et, à partir de 1955, la série des "Sissi" où Romy incarne l'impératrice d'Autriche Élisabeth de Wittelsbach.
Succès mondial.
Alice Schwarzer note : "Romy était le produit d'exportation numéro un de l'industrie cinématographique allemande".
Sissi, le rêve-symbole pour toute une génération de citoyens allemands et autrichiens qui veulent tourner les pages sombres de leur récente histoire.
Ces productions sucrées et d'une mièvrerie affirmée agissent comme un remontant efficace.
L'argent rentre à flot au sein de cette famille recomposée. Son père a quitté le domicile conjugal il y a longtemps.
Magda sa mère et son beau-père gèrent sa carrière.
Efficacement.
L'image de Sissi-Romy image est utilisée par ce beau-père libidineux qui trouve là une publicité inespérée pour muscler ses affaires. Et cela fonctionne. Partout où Romy se déplace, sa venue déclenche un attroupement. Flashs, autographes, poignées de mains, révérences parfois, Romy se laisse porter.
C'est une jeune fille docile et bien élevée. Une princesse qui se maquille en technicolor. Avec aisance, elle nage la brasse dans cet océan de sourires qui, bientôt, vont peser comme des grimaces.
Jusqu'à l'arrivée de Delon, "terreur des bourgeois".
Il entre avec fracas dans cette vie aussi chronométrée qu'épuisante (à 19 ans, elle tourne 4 films par an, sans parler de toutes ses "obligations" de représentation...).
Du jour au lendemain, à l'automne 1958, elle part pour Paris. La barbe, assez de Barbie ! Marre d'être considérée "comme un patrimoine national". Ce départ, la presse allemande ne le lui pardonnera jamais vraiment. Elle est désormais "l'émigrée". Romy explique alors, franche et directe : "En Allemagne, on me crache dessus, en France on m'a accueillie à bras ouverts".
Delon est là.
Pour le meilleur et pour le pire, "le félin du cinéma français" va partager la vie de cette biche encore toute imprégnée de "bonne" éducation. Mais il en choisira une autre pour faire son premier enfant.
Delons est las.
Romy a pris la liberté d'aimer aussi les femmes.
Alice Schwarzer
L'intérêt de l'ouvrage de Alice Schwarzer est de ne pas faire le catalogue des amis, amants, maris avec son lot d'anecdotes croustillantes. La journaliste nous dévoile plutôt les coulisses de ces amours-désamours sous l'angle féministe, telle une introspection, sans jamais omettre de contextualiser les événements.
Apparaît une Romy moderne, perfectionniste et d'une grande élégance morale, y compris avec les hommes qui ont manqué de délicatesse à son endroit.
Et ils furent nombreux.
Une femme doit rester une femme.
Romy Schneider
Les amours se succèdent. Romy se montre difficile, exigeante.
Quand on lui parle de l'égalité des droits, elle répond en 1965 : "Tout cela est très bien à condition de ne pas se transformer par là en mec. Une femme doit rester une femme. Par amour je me soumettrai, je me plierai aux exigences de l'homme, à condition que cela ne dégénère pas en tyrannie".
Beaucoup d'hommes sortent avec cette étoile. Ils la laissent filer.
Promesses non tenues, trahisons répétées, argent évaporé, Romy Schneider n'est pas épargnée. Son travail, toujours, est la charpente qui la tient droite, debout, en dépit des multiples vicissitudes de sa vie privée.
Pour Orson Welles, qu'on ne peut soupçonner de flagornerie, elle est "la meilleure actrice de sa génération". Otto Préminger, lui, affirme : "Elle possède un rayonnement et une aptitude à changer de personnage invraisemblables".
Parmi tous les metteurs en scène avec lesquels elle a travaillé, Luchino Visconti fait office de révélateur.
La biographie s'attarde sur les rapports entre l'actrice et le maître-enchanteur.
En 1961, avec "Dommage qu'elle soit une putain" (John Ford), elle met Paris à ses genoux. Elle est aux côtés d'Alain Delon. La pièce sera jouée plus de 150 fois à guichets fermés.
Mais à quel prix !
Visconti exige et obtient qu'elle se surpasse, qu'elle se transcende, qu'elle explose.
Le metteur en scène va chercher au fond d'elle des choses qu'elle ne soupçonnait pas. Littéralement, il l'accouche d'elle-même. Un vrai gisement qu'elle s'efforce de domestiquer.
Le succès est immédiat.
La presse est ahurie par la performance. "Elle était l'impudeur déchaînée et en même temps l'incarnation de la pureté la plus touchante" lit-on dès le lendemain dans une critique. Romy Schneider va désormais rester en haut de l'affiche. Mais, uniquement au cinéma.
L'ouvrage évoque un aspect inédit de l'actrice, sa bisexualité et, aussi, plus inattendu, un flirt avec Simone Signoret. Alice Schwarzer explique : "Romy c'est l'incarnation de la femme. Avec tous les fantasmes. C'est LA femme. Révoltée aussi. Elle a toujours été à la recherche d'être aimé, d'être comprise. Oui, elle a eu un flirt avec Simone Signoret, au moment du tournage de César et Rosalie (Claude Sautet, 1972). Et elle m'a dit que c'est par amour pour Simone Signoret qu'elle n'a pas répondu aux avances de Montand lors du tournage. Elle m'a parlé de sa bisexualité. C'était plutôt des relations cachées. Sur ce point là, aussi, c'est une femme très moderne. Elle a pris la liberté d'aimer aussi les femmes. Une certaine presse se scandalise de cela et cela me dérange.." évoque la biographe.
Mais Alice Schwarzer tient aussitôt à préciser : "Attention, ce n'est pas une pauvre petite victime. C'était une personnalité très très forte. Son problème est que si elle avait certes cette forte personnalité, elle n'avait, et cela est "très "féminin", aucune confiance en elle. Le seul terrain où elle était sûre d'elle, c'était la séduction."
Selon l'auteure, Romy ne peut pas vivre sans homme, "mais elle ne peut pas, écrit-elle, vivre avec eux. Ce qui ne tient pas seulement aux hommes, mais aussi à sa conception de l'amour et de la féminité".
Pour le public, cette séduction est donc demeurée intacte. La disparition tragique de son fils et sa mort à l'âge de 43 ans, ont construit le mythe.
La journaliste rappelle que Romy Schneider ne s'est pas donné la mort comme on peut le lire encore si souvent. "Il est inconcevable qu'une Romy Schneider parte sans lettre d'adieu dramatique" écrit-elle.
La douleur inhumaine d'avoir perdu son enfant, l'alcool, les cures d'amaigrissement ont eu raison de son coeur et ont éteint son endurance légendaire. Alice Schwarzer parle "d'une overdose de médicaments et d'overdose de féminité".
A jamais, elle reste "Romy".
Elle aurait eu 80 ans ce mois de septembre 2018.