Room 4 Resistance : le clubbing anti-discrimination

Depuis 2014, le collectif d'artistes berlinois "Room 4 Resistance" propose des soirées "différentes" aux femmes, aux  personnes trans et aux queers de la capitale allemande. Reportage à Berlin.
 
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R4R
Soirée Room 4 Resistance au Trauma Bar und Kino, Berlin, décembre 2018 (Photo : Mariah Tiffany)
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Un "safer space", soit un "espace (plus) sûr", c'est le slogan du collectif  "R4R" depuis qu'il a lancé ses soirées berlinoises. Des fêtes ouvertes à tous, mais ciblant en particulier une population que les initiateurs trouvaient mal servie par l'offre pourtant pléthorique de la capitale allemande. Il s'agit ici d'offrir aux femmes, aux queers, aux  personnes trans ou aux personnes de couleur un lieu où ils n'auront pas à craindre de faire face à un comportement discriminatoire ou agressif, un espace de liberté pour être ce qu'ils veulent/sont ; et peut-être encore créer des contacts et des passerelles entre ces communautés. 

La soirée de ceux qui ne se sentent en sécurité nulle part

Luz, DJ et fondatrice de R4R, se définit comme « non-binaire » et propose d'utiliser le pronom non genré "iel" pour la désigner. Iel, donc, est installée à Berlin depuis plus de dix ans. L’idée de ce nouvel espace lui est venue de sa propre pratique du monde de la nuit. "Mon expérience dans les espaces hétéronormatifs n'était pas bonne. C'était, sinon du harcèlement, des gens qui ne font pas attention aux autres, ne se respectent pas. En clair, vous allez danser et vous n’êtes pas à l’aise... Avec Room 4 Resistance, nous avons voulu identifier quels genres de personnes avaient le plus besoin de protection et leur offrir une soirée. Et ces personnes, c'est bien sûr, ceux qui ne se sentent totalement en sécurité nulle part :  les femmes, les personnes trans, les queers, les personnes de couleur, etc. »
Pour le collectif, la distinction commence dès l'entrée :
« On parle avec les gens de la sécurité et on leur demande de renverser les priorités. Si une personne trans se présente, elle doit se sentir accueillie. Tout ça pour que les personnes habituellement discriminées se sentent les bienvenues peut-être même privilégiées, pour une fois. A contrario, les gens à qui on va poser des questions seront certainement les hommes blancs. On leur demande s'ils ont conscience de l'espace dans lequel ils se rendent et quel est le projet qui y est construit…"

Le dj est une femme

Ainsi est apparu l’un des lieux festifs les plus originaux de la scène berlinoise. Les clubs et soirées gay y sont nombreux, mais très masculins. A Room 4 Resistance peuvent se retrouver tous ceux qui sont encore plus à la marge, mais aussi des hétéros qui apprécient l'ambiance détendue, bon enfant, bigarrée... Dans ce temple de la non-discrimination, les organisateurs sont présents, reconnaissables et on peut leur faire part de ses inquiétudes ou réclamations. Les mots d'ordre  sont affichés : "pas de discrimination liée à l'âge" ou "liée à l'apparence corporelle" ("body-shaming"). Et surtout, les surprises musicales sont fréquentes, les rythmes plus aventureux… Les DJ sont souvent des femmes, ou des personnes trans, ou des queers car il s'agit aussi de leur redonner du pouvoir dans un secteur encore largement contrôlé par les hommes. Un vrai engagement féministe, mais pas seulement.
Luz
Luz, DJ et fondatrice du collectif Room 4 Resistance (Photo Rita Braz)
 Pour Luz, tout un travail reste à faire dans le monde de la musique : "Il y a plus de femmes visibles et c'est très bien, mais ce n'est pas assez, car la représentation, c'est juste un début. Nous avons besoin de plus de femmes, de personnes trans et de personnes de couleur à des positions de pouvoir. Qui sont les propriétaires de clubs, les managers de labels, les ingénieurs du son ? C’est à tous les niveaux qu’on doit avoir un changement. Et ce n’est pas encore le cas."

Misogynie et mansplaining 

"Et en tant que femme DJ, on est toujours confronté à une sorte de misogynie, à du "mansplaining" - NDLR : situation où un homme (en anglais « man ») explique (en anglais « explain »)  à une femme quelque chose qu'elle sait déjà-. Et encore, je suis blanche, donc je suis privilégiée. D'ailleurs je ne veux pas seulement parler des femmes. Je pense qu’il est plus intéressant de parler d’intersectionnalité, car c’est encore plus difficile pour les personnes trans, de couleur, etc…"
Sous des dehors festifs, les fêtes de ce genre soulignent l'importance sociale et politique des clubs au XXIème siècle, au moins pour les plus jeunes. R4R ne fait que pousser un peu plus loin en s'engageant pour les femmes et les minorités de genre, mais aussi, par exemple, en menant une politique active d'accueil des migrants LGBT.
Après des années au célèbre club ://AboutBlank, où le collectif pouvait disposer d'un beau jardin pour des fêtes en journée, il s'est déplacé ces derniers mois dans un nouveau lieu : le Trauma Bar und Kino - il y a donc un cinéma attaché au lieu. Ce qui ravit la DJ fondatrice qui est diplômée de l'école de cinéma de l'I.N.S.A.S. à Bruxelles. En effet, Luz est belge, native de Tournai. Après avoir voulu être photographe, puis cinéaste, après des petits boulots à la RTBF, iel (elle) a finalement rencontré le monde de la nuit et de la musique électronique, qui lui a semblé plus riche d'opportunités. "Le cinéma me passionnait, mais j’ai vite réalisé que ça serait très dur d’avoir de l’argent pour faire des films et je ne voulais pas passer ma vie à demander un argent que je n’aurais jamais, parce que je voulais faire des choses très politiques. Faire un film, c’est un long processus et pour moi il y avait une urgence à agir." Luz trouve aussi une sorte de famille, plus alternative, plus sensible, comme iel, et dès la fin de l'I.N.S.A.S. part s'installer dans la capitale allemande, cette Mecque où iel va faire son chemin. 

Cercle d'amis

Quand l'opportunité d'organiser des soirées à son goût est apparue, Luz a rassemblé son cercle d'amis pour l'aider et le collectif est né. Aujourd'hui, il rassemble 7 personnes et 8 djs "résidents" tels que la Française rRoxymore, la Tunisienne Deena Abdelwahed, ou encore la Kazakhe Nazira. Avec une telle diversité, Room4 Resistance est aussi un lieu de découverte musicale important, particulièrement à Berlin où la techno domine. Dans son nouveau lieu, il invite des VJs, des video-jockey qui projetent des animations visuelles sur les murs ou sur écran, en direct pendant la soirée, prépare une première exposition et lance les premières dark-rooms pour femmes et aussi pour les personnes trans, non-binary et inter…. Le collectif commence à être connu internationalement et se retrouve invité à des "showcases" à Paris, Amsterdam, Beyrouth,... qui comprennent de la musique bien sûr, mais aussi des débats et des ateliers de Djing -l'art et la technique du DJ-pour femmes. Et pour les personnes trans, non-binary et inter, donc… Luz tient beaucoup à cette ouverture  et à l'intersectionalité. "Nous ne souhaitons pas nous exporter. Nous espérons juste donner l'idée aux gens de se réunir dans d’autres villes pour qu'ils mènent leurs propres actions"

https://room4resistance.net/

Cet article a été amendé le 29/03/19 pour corriger l'orthographe de l'école de cinéma I.N.S.A.S. et la date de création du collectif (bien 2014). Les termes "trans" ou "transexuel.le" ont été remplacés par  le terme"personne trans", plus inclusif.