Fil d'Ariane
Comme des centaines de "mères-chercheuses" au Mexique, Rosario Rodriguez cherchait son fils, disparu depuis près de trois ans. Son cadavre a été retrouvé dans un fossé. Emotion et indignation face à l'inertie des autorités dans un pays où les disparus se comptent par dizaines de milliers.
Fernando Ramirez, 21 ans, a disparu en octobre 2019, sans que l'on sache s'il a été enlevé par des agents de l'Etat ou le crime organisé. Depuis, au sein d'un collectif de mères-chercheuses, Rosario Lilián Rodríguez Barraza le cherchait, au désespoir face à l'inertie des autorités. "La personne qui a enlevé mon fils est détenue à San Luis Río Colorado et le bureau du procureur de Mazatlán me dit qu'il n'y a rien à faire", dénonçait-elle encore mi-août 2022.
Dans une vidéo d'une minute, enregistrée par le projet #HastaEncontrarles, Rosario Lilián Rodríguez Barraza clamait son désarroi, une photo de Fernando à la main : "Je ne sais pas où il est. Je le cherche jour et nuit, rien d'autre. La seule chose que je sais, c'est qu'il a été enlevé par des hommes armés dans une voiture blanche". Et de dénoncer l'inaction des institutions : "J'attends une réponse, je cherche mon fils, je ne cherche pas de responsables".
Cette mère de 44 ans avait déjà reçu plusieurs menaces et tentatives d'intimidation visant à la dissader de poursuivre ses recherches. Selon le collectif Until Find Them, cité par le site du journal américain newsday. “Ils avaient déjà arrosé sa maison d’essence pour y mettre le feu et ont essayé de faire disparaître son autre fils."
C'est une femme appartenant à un groupe extrêmement vulnérable comme le sont les chercheuses de personnes disparues.
Le Parquet
Le 30 août 2022, Rosario Lilián Rodríguez Barraza a été enlevée par des hommes armés, alors qu'elle sortait d'une messe en hommage à son fils, à La Cruz de Elota, une ville du sud de l'Etat du Sinaloa, dans l'ouest du pays. Son cadavre a été retrouvé quelques heures plus tard près d'un pont, dans la localité d'Elota, d'après l'ONG Adónde van los Desaparecidos ("Où vont les disparus").
"Je déplore profondément l'assassinat de Rosario Rodriguez Barraza, combattante infatigable, comme tant d'autres femmes du Sinaloa, qui cherchent un être cher", a twitté le gouverneur de l'Etat, Rubén Rocha Moya.
Rocha Moya condena asesinato de Rosario Rodríguez Barraza, rastreadora en Elota https://t.co/f037fn7LA2
— Luz Noticias (@luznoticiasmx) August 31, 2022
"Il est prioritaire d'élucider la mort de madame Rosario" parce qu'il s'agit "d'une femme et de surcroît membre d'un groupe extrêmement vulnérable comme le sont les chercheuses de personnes disparues", déclare le parquet local.
Interpelé par une journaliste lors d'une conférence de presse, le 2 septembre 2022, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador a qualifié de "lamentable" l'assassinat d'une mère-chercheuse. Il a rendu hommage à ce Mexique "que personne ne reconnaît". "Il n'y a plus d'impunité et les coupables seront punis," a-t-il réitéré.
Este viernes, durante su conferencia de prensa, el presidente Andrés Manuel @lopezobrador_ habló sobre el asesinato de la madre buscadora Rosario Rodríguez en Sinaloa.https://t.co/NoECvj9ufd pic.twitter.com/KIKvTgBBju
— Excélsior (@Excelsior) September 3, 2022
Une promesse qui sonne creux pour les proches des disparus, qui n'y croient plus. Dans plusieurs villes du Mexique, ils ont manifesté lors de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées, le 30 août. Le lendemain, l'annonce de l'assassinat de Rosario Lilián Rodríguez Barraza a fait la Une des médias mexicains.
Bien por la portada de @lajornadaonline. La foto de la madre buscadora Rosario Rodríguez, que nos sirva de recordatorio que estos criminales no tienen escrúpulo alguno y son capaces de asesinar a cualquier persona inocente sin motivo ni razón, salvo su propia brutalidad y locura. pic.twitter.com/pmoTpoIiTo
— Rodrigo V. (@VonWolfs) September 1, 2022
Nombreux sont les féminicides, enlèvements, assassinats de journalistes et autres crimes qui restent impunis au Mexique, et le meurtre de Rosario Rodríguez Barraza est loin d'être une tragédie isolée. Depuis 2010, des dizaines de mères, et de pères, à la recherche de leurs enfants ont été tués pour avoir demandé que justice soit faite.
En 2010, rappelle le site Sinembargo, Marisela Escobedo était assassinée devant le palais du gouvernement de Chihuahua, où elle manifestait contre l'impunité dont bénéficiait le meurtrier de sa fille, Rubí – bien qu'il eût avoué le meurtre et signalé l'endroit où gisait le corps de la jeune femme, il avait été libéré pour manque de preuves. Deux ans après le meurtre de Marisela, son meurtrier présumé a été arrêté, mais l'assassin de sa fille, lui, court toujours. Une histoire relatée dans Les trois morts de Marisela Escobedo, un film réalisé par Carlos Pérez Osorio pour Netflix.
Miriam Elizabeth Rodríguez Martínez, elle, cherchait sa fille, Karen Alejandra Salinas, enlevée en 2012 à San Fernando, dans l'Etat de Tamaulipas, dans le nord du Mexique. Ses investigations l'ont menée jusqu'à l'endroit où était caché le corps de Karen, et même à l'identité de ses meurtriers, interpelés en 2014. Miriam Elizabeth Rodríguez Martínez a alors créé un collectif local de famille de disparus. Et puis le 10 mai 2017, jour de la fête des mères, des hommes armés ont fait irruption chez elle et assassinée.
En octobre 2020, María del Rosario Zavala était assassinée devant chez elle, dans l'Etat du Sinaloa. Quelques heures plus tôt, elle cherchait encore son fils Yatziri Misael Cardona Aguilar, 16 ans, disparu en décembre 2019, rappelle Adónde van los Desaparecidos. Le 12 mai 2014, Sandra Luz Hernández était tuée à Culiacán, la capitale du Sinaloa, plus de deux ans après la disparition de son fils Edgar García Hernández, 25 ans... Le collectif recense ainsi une douzaine de mères-chercheuses assassinées pour avoir voulu savoir, sans relâche, où était leur enfant disparu.
Le Mexique estime à plus de 100 000 le nombre de personnes disparues : "une tragédie humaine aux proportions énormes", avait dénoncé en mai le Haut commissariat des Nations unies pour les Droits de l'Homme. Ce triste bilan a commencé dès 1964, avec la "sale guerre " de l'Etat contre les guérillas des années 1960 et 1970. Dans les années 2000, le phénomène a pris de l'ampleur avec la violence liée au trafic de drogue. Aujourd'hui, les collectifs d'aide aux proches estiment que le nombre des disparus dépasse le bilan officiel, car beaucoup de familles ne portent pas plainte par peur ou par méfiance des autorités.
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