Rose Leke, Geneviève Almouzni : deux femmes percent le plafond de verre des sciences

L'une vient du Cameroun, l'autre est née en Algérie : les travaux de ces deux éminentes professeures ont traversé les frontières, dans un monde qui se féminise à petit pas, celui de la recherche scientifique. Rencontre avec Rose Leke et Geneviève Almouzni.

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Rose Leke et Geneviève Almouzni

Chacune dans leur domaine spécifique - le paludisme et l'ADN et cancer - ces deux éminentes scientifiques se sont imposées dans le monde de la recherche : rencontre avec Rose Leke et Geneviève Almouzni.

© Cécile Burban/Fondation L'Oréal
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Au départ, elles étaient 350 sélectionnées à travers les cinq continents. Puis 62 candidates en lice, et à la fin, elles ne sont plus que cinq lauréates. Cinq femmes de sciences récompensées, comme chaque année depuis vingt-six ans, par le Prix international Fondation L'Oréal-UNESCO, choisies pour leur rôle de modèles dans un secteur dont le plafond de verre commence tout doucement à s'effriter. 

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Et puisque, encore aujourd'hui, il est nécessaire de visibiliser les femmes dans les sciences, voici les noms de ces lauréates : Nieng Yan (présidente émérite de l’Académie médicale de recherche et d’application translationnelle de Shenzhen, directrice du laboratoire Shenzhen Bay, Chine), Alicia Kowaltowski (professeure de Biochimie, Université de São Paulo, Brésil), Nada Jabado (professeure, départements de pédiatrie et de génétique humaine, chaire de recherche du Canada de niveau 1 en oncologie pédiatrique, université McGill, Canada), et enfin Rose Leke et Geneviève Almouzni, que Terriennes a eu la joie de rencontrer.

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Jusqu'au Nobel ...

Cinq des 127 lauréates récompensées en vingt-six ans d'édition ont déjà reçu des prix Nobel scientifiques : Christiane Nüsslein-Volhard (prix Nobel de Physiologie ou de Médecine, 1995), Ada Yonath (prix Nobel de Chimie, 2009), Elizabeth H. Blackburn (prix Nobel de Physiologie ou de Médecine, 2009) et Emmanuelle Charpentier et Jennifer A. Doudna (prix Nobel de Chimie, 2020).

Rose Leke, paludisme et femmes enceintes

Ancienne cheffe du département Immunologie et Maladies Infectieuses à la Faculté de Médecine, ancienne directrice du Centre de Biotechnologies à l'université de Yaoundé 1 au Cameroun, Rose Leke est aujourd'hui récompensée pour ses recherches visant à améliorer l’étude du paludisme chez les femmes enceintes. Elle a aussi contribué à l’éradication de la polio et à permettre une meilleure vaccination en Afrique. Aujourd'hui, elle se mobilise afin de favoriser le parcours professionnel des jeunes scientifiques. 

Au cours de sa carrière, elle s’est intéressée au diagnostic du paludisme lors de la grossesse, ainsi qu'aux mécanismes d’immunisation chez la femme enceinte et le nourrisson, et au rôle de l’immunité maternelle dans la prévention des pathologies placentaires. 

Les travaux de son équipe ont permis de révéler le potentiel des vaccins à base de VAR2CSA chez la femme enceinte, laissant entrevoir de meilleurs soins pour la mère et l’enfant. En étudiant l’acquisition de l’immunité chez les nourrissons au cours de leur première année de vie, elle a permis la découverte d'informations précieuses sur les réponses immunitaires initiales et sur le rôle des anticorps maternels. Grâce à sa collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Alliance GAVI, elle a également participé au développement de nouveaux vaccins contre le paludisme, le RTS/S et le R21. 

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"Toi, tu dois aller loin !"

Petite, c'est grâce au soutien de ses parents qu'elle pourra poursuivre ses études. "Mon père était instituteur. Tous les soirs, quand je revenais de l'école, il me prenait avec lui, il me faisait répéter mes leçons. C'est lui qui m'a dit de m'intéresser aux sciences. A ce moment-là, vous savez, les femmes n'allaient pas à l'école", nous confie-t-elle. Sa mère, elle-aussi, la pousse à continuer, "ma mère me disait, moi je ne suis pas allée à l'école, mais toi tu dois aller loin. Alors, ils ont mis ça dans ma tête. Mon père voulait que je devienne médecin". 

Petite, elle souffre beaucoup de paludisme, c'est ce qui l'a motivée à s'intéresser de plus près à cette maladie. "Ma mère mettait à bouillir des feuilles, il faisait tellement chaud !, raconte-t-elle. J'avais la curiosité de savoir pourquoi il y avait cette maladie, qu'est-ce qui se passe ? C'est comme ça que je me suis lancée dans les sciences. Une fois étudiante à l'université au Canada, j'ai fait une thèse sur le paludisme chez la souris".

Rentrée au pays, elle écoute son mari, gynécologue obstétricien, qui lui pose beaucoup de questions concernant les femmes enceintes malades, c'est ainsi qu'elle va alors concentrer ses recherches sur paludisme et grossesse. 

Pour les femmes africaines, la place était à la maison. C'est comme ça. Si les gens avaient des enfants, garçons, filles, le garçon allait à l'école et la fille restait à la maison. Rose Leke

Mais comme on peut l'imaginer, son parcours de femme scientifique en Afrique a été tout sauf facile. "Pour les femmes africaines, la place était à la maison. C'est comme ça. Si les gens avaient des enfants, garçons, filles, le garçon allait à l'école et la fille restait à la maison", rappelle-t-elle. 

Femme mentor

"Vous sentez vous-même femme modèle aujourd'hui ?" À cette question, Rose Leke répond sans hésiter : "Vraiment je dis ça parce que je sais qu'il y a beaucoup de filles qui me le disent ! J'ai une association le Higher Women Consortium. On est 30 mentors. On accompagne 150 femmes." 

Et de conclure en délivrant ce message : "les filles doivent avoir confiance en elles-mêmes, ça, c'est très important, la confiance d'abord. Et quand il y a des obstacles, qu'elles n'arrêtent pas, qu'elles prennent ça comme des opportunités !"

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Geneviève Almouzni, pionnière de l'épigénétique

Directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à l'Institut Curie, membre de l’Académie des sciences, Geneviève Almouzni a été récompensée pour ses contributions décisives à la compréhension des mécanismes cellulaires responsables du cancer, dès l’intégration de l’ADN dans la cellule. 

Ses travaux se concentrent sur la compréhension de l’organisation du génome au sein du noyau cellulaire. Elle s’intéresse particulièrement à la manière dont la molécule d’ADN, longue de 2 mètres, se condense tout en restant fonctionnelle dans un noyau ne mesurant que quelques millièmes de millimètres. L’ADN s’enroule autour de blocs de protéines (les histones) pour former une structure complexe, la chromatine. 

Cette organisation permet à chaque cellule de lire le code génétique de manière spécifique, guidant son développement. Ce sont justement les mécanismes de cet empaquetage lors du cycle cellulaire normal et lors de perturbations, notamment causées par le cancer que la chercheuse étudie. Ses travaux ont permis d’avancer considérablement la détection des maladies et par conséquent d’améliorer le pronostic vital. 

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Un tout petit batracien...

Le déclic des sciences ? Comme elle nous l'a raconté, ce fut lors de ses promenades en famille, et plus particulièrement lors d'une rencontre avec un petit animal... "Quand on allait se promener avec mes parents, avec ma maman, on allait observer la nature. Et la nature me fascinait, et en particulier les grenouilles, parce que les œufs de grenouille, quand on les voit se développer, le tétard, la métamorphose, c'est quand même assez fascinant. Comprendre comment les êtres vivants se forment, c'était une fascination", confie-t-elle, "Je pense que cette curiosité a été un élément déclencheur".

Je ne me suis pas posé la question. Je me suis dit j'y vais et puis voilà. J'ai avancé en marchant. Geneviève Almouzni

"Est-ce qu'avoir une carrière scientifique en tant que femme a été plus difficile ? Je crois que simplement je ne me suis pas posé la question, je me suis dit j'y vais et puis voilà. J'ai avancé en marchant", explique la scientifique. Tout en précisant qu'elle a malgré tout personnellement éprouvé le manque de soutien apporté aux mères : "Un point sans doute qui était à mon époque un peu plus compliqué, c'était la partie maternité. J'étais aux Etats-Unis avec un bébé et c'est vrai que l'organisation était compliquée."

La chercheuse est convaincue que l’amélioration des services de garde d’enfants, l’extension du congé de paternité et l’engagement accru des hommes en tant que parents contribueraient significativement à l’épanouissement professionnel des femmes scientifiques : "J'ose espérer que de nos jours les femmes n'auront pas à avoir à jongler de manière aussi compliquée, mais il y a encore du chemin à faire et puis ça doit se partager avec les hommes". 

"Osez les filles !"

Alors que la vague Metoo continue de déferler partout dans le monde, n'épargnant aucun milieu, si elle-même explique n'avoir pas souffert de sexisme "ou alors je n'ai pas voulu voir, je voulais avancer, ça ne m'a jamais freinée". En questionnant autour d'elle, elle a pu recueillir des témoignages d'étudiantes ayant souffert de réflexions sexistes : "Je pense qu'il y a eu des choses qui ont pu se passer et que les gens ont accepté sans nécessairement oser en parler. Dans notre institut, on a maintenant des sessions sur le harcèlement sexuel et les violences avec des forums dans lesquels les jeunes chercheurs peuvent échanger. C'est important qu'on puisse en parler et qu'on puisse ensuite faire quelque chose. C'est vrai que là il y a encore du chemin à faire mais c'est en route".

Aujourd'hui, Geneviève assume - sans vraiment y mettre les mots - son rôle de femme "modèle", et appelle les fillettes et jeunes filles à oser, et surtout à "ne pas hésiter à demander de l’aide". 

Un violentomètre dans les sciences

En 2023, la Fondation L’Oréal et IPSOS2 ont publié une enquête internationale sans précédent auprès du milieu de la recherche dans 117 pays. Dans cette enquête, 1 femme scientifique sur 2 révèle avoir été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail. C’est pourquoi la Fondation L’Oréal et l’équipe G-RIRE de l’Université de Genève ont proposé une adaptation du violentomètre pour le monde de la recherche. Cet outil devrait permettre aux victimes et aux témoins de qualifier et évaluer les situations de violence à partir d’une échelle la plus objective possible. Vert, orange, ou rouge : des repères pour identifier les situations inconfortables ou dangereuses dans le cadre du travail et trouver des personnes pour en parler.

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