Royaume-Uni : condamnation historique d'une mère pour avoir excisé sa fille

C'est une première au Royaume-Uni, où l'excision est illégale depuis 1985. Une Ougandaise de 37 ans a été condamnée à onze ans de prison pour avoir pratiqué une excision sur sa fille de trois ans. Le père de la victime, un Ghanéen de 43 ans, également poursuivi, échappe à l'incarcération. Un verdict qui fait date et qui rejoint d'autres actions similaires en Suisse et en France. 

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Une militante FEMEN interpellée lors d'une manifestation devant la Chambre des lords contre les mutilations génitales féminines, Londres, le 7 juillet 2017.
©AP Photo/Lefteris Pitarakis
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Les mutilations génitales sont "une pratique barbare et un crime grave, a déclaré la juge londonienne. Un crime visant les femmes, qui leur est infligé quand elles sont jeunes et vulnérables". Et pour qualifier les conséquences psychologiques pour la victime, la juge évoque "un fardeau important et qui dure toute la vie"... "Vous avez trahi la confiance qu'elle place en vous, sa protectrice", a-t-elle lancé à la mère de la fillette. Également poursuivi, le père de la victime, un Ghanéen de 43 ans, n’a pas été condamné.

L’excision, ablation rituelle du clitoris et des petites lèvres, est illégale depuis 1985 au Royaume-Uni. Depuis, la loi a été complétée afin de permettre les poursuites contre les personnes qui profitent de séjours à l’étranger pour commettre ces mutilations.

Excision en hausse au Royaume-Uni

En août 2017, les parents avaient amené leur petite fille en sang à l’hôpital. Ils prétendaient qu’elle était tombée d’un plan de travail de cuisine et s’était blessée sur le bord d’une porte de placard en métal. Une version réfutée par tous les experts appelés à témoigner au cours du procès.

Les médecins constatent que les blessures concordent davantage avec l’hypothèse d’une mutilation génitale. Un chirurgien conclut que l’enfant a été mutilée au scalpel, après avoir détecté trois blessures distinctes, et aucune ecchymose.

Après une perquisition au domicile londonien de la mère, les enquêteurs ont découvert qu’elle s’adonnait à des pratiques relevant de la sorcellerie. La raison pour laquelle la femme a imposé une excision à son enfant, contrairement à sa culture, n’est pas claire, mais la sorcellerie est une possibilité, selon la juge.

Outre sa condamnation pour excision, la mère de famille a été condamnée à deux ans de prison supplémentaires pour possession d’images indécentes et de "pornographie extrême". Le père de la fillette a été condamné à onze mois de prison, une peine qu’il a déjà effectuée, pour possession d’images indécentes et extrêmes.

Ce procès met en lumière le problème de l'excision au Royaume-Uni. Selon une récente enquête de la Local Government Association (LGA), une organisation britannique sans but lucratif, les chiffres sont alarmants. Entre 2017 et 2018, 1 960 jeunes filles ont été victimes, ou sont susceptibles d'avoir été victimes, d'une excision. L'année précédente, ce chiffre ne s'élevait "qu'à" 970 cas. 

Ce nombre, aussi inquiétant soit-il, n'est que la partie émergée de l'iceberg. Les experts craignent que les chiffres réels ne soient bien plus importants, l'excision étant toujours un acte pratiqué à l'abri des regards. Ce rapport indique également que d'autres formes d'abus sont en hausse : la sorcellerie, par exemple, a augmenté de 12%. 

En Suisse, aussi, la justice oeuvre

La condamnation d'une mère somalienne qui avait fait exciser ses fillettes au pays avant de gagner la Suisse a été confirmée fin février. La Somalienne, qui était soupçonnée d'avoir poussé à la mutilation des organes génitaux de ses deux filles, a été condamnée à une peine de huit mois de prison avec sursis par le tribunal de police à Boudry. 
 
"Je n'ai pas la prétention de faire changer les choses mais de faire en sorte que ce jugement apporte une pierre à l'édifice pour éliminer les souffrances de millions de fillettes", a déclaré la juge Nathalie Kocherhans. Ce jugement était très attendu, car il n'y avait pas encore de jurisprudence sur l'article 124 du Code pénal, qui existe depuis 2012.
Pour la juge, le fait que l'accusée n'était pas domiciliée en Suisse au moment des faits - elle vivait en Somalie - ne constitue pas un motif d'acquittement, comme l'avait plaidé la défense. "Il n'y a pas d'interprétation possible" du principe d'universalité, a-t-elle tenu à préciser, car même en simple transit en Suisse, l'accusée aurait pu se faire condamner.
 

Les deux fillettes, âgées de 12 et 11 ans actuellement, avaient entre sept et six ans et demi au moment des faits. L'aînée a subi une excision totale ou quasi-totale (infibulation, soit mutilation génitale de type III) et la cadette une ablation clitoridienne partielle, soit une excision du prépuce associée à une amputation partielle du clitoris (mutilation de type I).

La juge a reconnu les circonstances personnelles difficiles de la prévenue, qui vit séparée de son époux avec quatre enfants à charge. De plus, cette maman analphabète "avait peu de capacités d'aller à l'encontre de la culture" de son pays et de s'opposer à l'excision. La justice helvétique a néanmoins estimé qu'un tel acte était punissable, même s'il est commis à l'étranger, dès lors que son auteur se trouve en Suisse.

On estime que près de 15 000 filles et femmes sont concernées en Suisse, dont 6 000 à Genève. 

En Belgique et en France

En Belgique, selon la dernière étude menée par le Groupe pour l'Abolition des Mutilations Sexuelles (GAMS), quelque 17 273 femmes et filles sont déjà probablement excisées et 8 644 sont intactes, mais courent le risque de l'être, car originaires de pays où l'excision est d'usage. Des chiffres qui ont doublé en cinq ans, suite à l'arrivée de nouvelles populations en provenance de pays ou l'excision est pratiquée.

L’excision est interdite en Belgique depuis 2001. L’article 409 du Code pénal sanctionne d’une peine d’emprisonnement de 3 à 5 ans quiconque aura favorisé toute forme de MGF d’une personne de sexe féminin, avec ou sans consentement de cette dernière. Un acte posé à l’étranger peut également être punissable une fois la personne de retour en Belgique. "Très peu de plaintes ont été déposées, quasiment pas de dossier pénal ouvert par le Parquet, aucune poursuite judiciaire malgré des signalements d’enfants à risque d’excision, notamment au retour des vacances", regrette Fatoumata Sidibé, députée bruxelloise DéFI et présidente de DéFIFemmes, dans une carte blanche publiée sur internet. 

Lire aussi : Excision : alerte contre les étés meurtriers et la médicalisation

En France, après des procès médiatisés dans les années 1980-2005, aucune condamnation n’a été prononcée depuis 2012. Figure de proue de ces procès : l'avocate Linda Weil-Curiel, la présidente de la Commission pour l’abolition des mutilations sexuelles. Comme elle l'explique dans un article dans Le Figaro Madame, cette absence de cas judiciaires est "d'un côté bon signe. Et de l'autre, ça ne l’est pas car cela veut dire que ça n’est plus d’intérêt public. Les juges qui ont traité ces affaires-là dans les années 1980-1990 ne sont probablement plus en activité et donc la connaissance de ce sujet n’est plus transmise. Il n’y a plus le même intérêt de la part du personnel de justice et on considère que ça ne relève pas d’une cause nationale. Il y a eu des procès et on est passé à autre chose, maintenant la pression est retombée."

Pour Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne à l'origine de La Maison des Femmes à Saint-Denis en région parisienne, "C'est une bonne chose que la loi soit appliquée et que la justice fasse son travail. En France, nous avons des lois tout aussi coercitives."

Et ailleurs ? 

Dans le monde, une femme excisée sur cinq est égyptienne. Pourquoi ce pays avance-t-il si peu dans l'éradication de l'excision ? Large soutien à la pratique, médicalisation, répression des ONG, mauvaise utilisation des subventions... La moitié des Égyptiens pense que l'excision est un devoir religieux, même si le mufti, autorité sunnite d'al Azhar, a répété à plusieurs reprises que cette pratique était contraire à l'islam. En 2008, l'excision est devenue un crime et les peines encourues par les exciseurs et parents complices ont même été alourdies en 2017. En 2019, un demi-million d'Égyptiennes risquent de subir une mutilation de leurs organes génitaux. 

Les mutilations génitales féminines ne sont plus tolérées sur le continent africain, ainsi en ont décidé les membres de l'Union africaine ce 11 mars. Qu'on se le dise...