Ruth Bader Ginsburg : la juge féministe qui a changé la vie des Américaines

Un petit bout de femme devenu icône vivante du féminisme américain, érigée en modèle bien au-dela des frontières des Etats-Unis. Décédée à l'âge de 87 ans, la juge Ruth Bader Ginsburg, plus connue sous ses initiales RBG, marque de son empreinte l'histoire de la Cour Suprême. Un biopic inspiré de sa vie, Une femme d'exception, avait été précédé par l'excellent Notorious RBG, un documentaire riche en archives retraçant son parcours.

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rbg en 2018
La juge à la Cour suprême des Etats-Unis, Ruth Bader Ginsburg lors d'une conférence au Musée de la ville de New York, le 15 décembre 2018.
©AP Photo/Rebecca Gibian
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Ruth Bader Ginsburg est un phénomène.

Quand elle apparaît dans les locaux impressionnants de la Cour Suprême à Washington, après qu’a tonné le « Oyez, Oyez, Oyez » de l’huissier chargé d’ouvrir la session, les initié.e.s savent, en fonction du col qu’elle aura choisi pour agrémenter sa toge noire, si elle partage ou non le vote majoritaire qui sera prononcé.

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En bas, de gauche à droite Stephen Breyer, Clarence Thomas, John G. Roberts, Ruth Bader Ginsburg, Samuel Alito Jr.. Debout, de gauche à droite Neil Gorsuch, Sonia Sotomayor, Elena Kagan et Brett M. Kavanaugh, le 30 novembre 2018, Washington, (Etats-Unis).
©AP Photo/J. Scott Applewhite
mug rbg
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Et quand elle entre dans l’amphithéâtre d’une université américaine, la salle est debout, bondée. Les rires y fusent très vite, garçons et filles confondu.e.s, dans une atmosphère plus qu’attentive, tant l’humour pince-sans-rire de Madame la Juge ajoute à sa sagesse et à son immense compétence.

RBG est une icône.

Elle a son sosie dans le show télévisé très populaire Saturday Night Live. Sa petite silhouette frêle va jusqu’à orner mugs, T-shirts et tatouages, ou à inspirer à des dessinateurs de BD des personnages de super-héroïnes.

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Fin décembre 2018 est sorti sur les écrans Une femme d’exception, un biopic hollywoodien, dans lequel l’actrice Felicity Jones incarne la célèbre juge .


Quant à son surnom de notorious RBG, il lui a été attribué en 2013 par une étudiante, en référence au célèbre rappeur Notorious BIG dont elle est l’antidote. La juge progressiste, habituée à emporter les Arrêts de la Cour Suprême, vient alors de s’indigner ouvertement  de la suppression, par une majorité de ses Honorables Pairs, d’une partie du Voting Rights Act, une loi qui assure le scrutin des minorités ethniques. Et les jeunes femmes de son pays n’ont pas voulu manquer l’occasion de lui confectionner un slogan sur mesure : Can’t spell truth without  Ruth (On ne peut pas dire la vérité sans Ruth).

Une super Diva face à Trump

Ses prises de parole, mais aussi les séances trois fois par semaine à la salle de sport, où elle s’adonne à des pompes qui font pâlir ses amies, attestent de sa forme et de ses entières capacités.

Ses détracteurs la traitent de "sorcière", de "zombie", d’"anti-américaine" ? Le président Trump la vomit, tweet à l’appui, depuis que, en pleine campagne électorale, elle l’a traité d’"imposteur". Peu importe. Ses fans voient en elle, une femme qui a changé le destin des Américaines. Voire l’incarnation moderne de la statue de la Liberté. Pas moins.
Quelques mois avant la sortie du biopic, deux réalisatrices Julie Cohen et Betsy West signaient RBG un documentaire rythmé et riche, retraçant toutes les étapes de sa vie, avec un sens de la contextualisation et de l’efficacité qui fait que le public des salles où il est projeté se lève, après 1 h30 de projection, gonflé à bloc. Le film a déjà rapporté 14 millions de dollars au box office américain.
 

Archives, photos familiales et officielles, dessins humoristiques, interviews de personnalités en vue et de proches, reportages : le cheminement personnel et la carrière de RBG font fi de tous les obstacles, et illustrent les conquêtes et les bonheurs qu’a eu à vivre notre héroïne. Depuis sa naissance au sein d’une famille juive originaire d’Odessa, où son père avait été interdit d’enseignement dans les écoles russes, en passant par la formation qu’elle suit dans plusieurs universités prestigieuses, dont Cornell, puis Harvard et Columbia. De l’avis de toutes et tous,  elle y est portée par sa passion "dévorante" pour le droit.
 

Comment justifiez-vous de prendre la place d'un homme compétent ? 
Question du doyen de l’Ecole de Droit de Harvard

Madame la Juge rappelle ici combien les filles y étaient plus que minoritaires (9 pour 500 garçons dans sa promotion, en 1957), elle évoque la défiance que lui ont témoignée les responsables de la prestigieuse Law Review avant de lui en ouvrir les colonnes (elle faisait pourtant partie des 25 étudiants les plus brillants auxquels ce privilège était réservé), les démarches qu’elle a eu à mener pour accéder à la bibliothèque de Harvard, jusque là interdite aux femmes, comme le racontait déjà Virginia Woolf dans un de ses romans.

RBG rappelle aussi qu’aucun cabinet d’avocats new-yorkais à l’époque ne voulait "se résoudre" à engager une femme au sortir de l’université.

Faire date, créer la jurisprudence

De sa voix ténue et ferme à la fois, un léger sourire aux lèvres, Madame la Juge aime à citer Sarah Grimké, qui fut une militante abolitionniste de la première heure, au point d’inspirer l’auteur de La Case de l’Oncle Tom, et qui quitta sa Caroline du Sud pour défendre tous azimuts la nécessité d’accorder le droit de vote aux femmes (On doit à Michel Grandjean de l‘Université de Genève d’avoir traduit et fait sortir de l’ombre, Sarah Grimké, ndlr).

Je ne réclame aucune faveur pour les personnes de mon sexe. Tout ce que je demande à nos frères, c’est qu’ils veuillent bien retirer leurs pieds de notre nuque.
Ruth Bader Ginsburg

La montée en puissance du maccarthysme qui propulse les juristes dans de nombreux dossiers de défense de la liberté d’expression, alors que règne "la peur rouge", puis les manifestations liées à la dénonciation des inégalités hommes/femmes dans les années 1960-1970 seront plus qu’inspirantes pour RBG : documents et témoignages de victimes contextualisent les cas de discriminations qu’elle plaidera avec succès devant les instances concernées et qu’elle inscrira dans la jurisprudence.
Des dossiers qui touchent à la vie quotidienne d’Américaines, mais aussi d’Américains, puisqu’il est question de Sharon Frontiero, privée de la même allocation de logement que celle attribuée à ses collègues, d’un homme veuf au foyer, Stephen Wiesenfeld, exclu de l’allocation maternelle, ou encore de jeunes femmes pour lesquelles, en sa qualité de juge cette fois, en 1996, elle obtiendra que s’ouvrent enfin les portes du vénérable - et farouchement masculin - Institut Militaire de Virginie, le VIM, qui avait vu passer G.C. Marshall et G. Patton.

Que ce soit d’abord comme avocate, puis comme juge à la Cour d’Appel (où elle est nommée par le président Carter en 1980), et enfin à la Cour Suprême, RBG témoigne d’une capacité de travail hors normes, d’une compétence qui impressionne jusqu’à ses opposants et d’une méthode imparable. D’un sens de la stratégie hors pair aussi. Le documentaire en fait la démonstration à plusieurs reprises et notamment à l’occasion de son audition devant la commission sénatoriale chargée de valider  sa nomination par le président Clinton.
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La juge Ruth Bader Ginsburg prête serment sur la Bible lors de sa nomination officielle, par le président Bill Clinton, à la Cour Suprême des Etats-Unis, le 10 août 1993, à Washington. 
©AP Photo/Marcy Nighswande
Il s’agit, en effet, de montrer, preuves à l’appui, aux autres juges, masculins pour une écrasante majorité, ce que vivent des citoyens de seconde zone et en quoi "la discrimination pénalise presque toujours inévitablement les femmes". De s’appuyer sur la Constitution, et notamment sur son 14ème Amendement, pour attester que "les hommes et les femmes doivent être égaux devant la loi car ils et elles sont égaux en dignité".  
 
Les juges pensaient que les discriminations sexistes n’existaient pas.
Ruth Bader Ginsburg

La juge s’emploie, à chaque occasion, à mettre toute la lumière sur les arguments adverses, pour mieux les battre en brèche ensuite et convaincre ses pairs que nous devons tous et toutes nous employer à échapper aux tentations simplistes du jugement, des clichés.

RBG déploie enfin un art consommé des relations humaines de l’écoute et du respect, de manière à se trouver des alliés, sans jamais perdre en exigence et en opiniâtreté. Il est important de toujours expliquer, répéter, dit-elle : "les juges pensaient que les discriminations sexistes n’existaient pas".

Un magnétisme tranquille

Les Américaines qui avaient connu le temps où la permission maritale était exigée pour ouvrir un compte bancaire ou obtenir un prêt savaient gré à Madame la Juge d’avoir co-fondé dès 1972, l’association Women’s Right Project. Puis d’avoir apporté sa voix au débat relatif au droit à l’avortement.

La jeune génération les avait rejointes lorsque la future notorious RBG avait oeuvré en 2009 pour faire promulguer le Lilly Ledbetter Fair Pay Act sur l’égalité salariale. Il s’agissait de la première loi signée par Obama.

Aujourd’hui la ferveur de son public étudiant se poursuit sur internet, à chaque fois que la juge se fend d’un "avis dissident", la dame a même son hashtag #RBG. Un soutien d’autant plus vital qu’on a pu voir, notamment à l’occasion des toutes récentes élections de mi-mandat aux Etats-Unis, à quel point les réseaux sociaux y ont véhiculé des propos haineux, racistes, antisémites à l’égard de candidates noires, juives, musulmanes.
 

Cerise sur le gâteau : RBG a eu une vie amoureuse et conjugale parfaitement réussie. Son mari, Marty, était un homme solide, brillant, pétri d’humour et extrêmement fier de l’intelligence de sa compagne de toujours. Son plus grand fan et son complice en tout.

Madame la Juge a tenu sa promesse, celle d'exercer aussi longtemps que possible le "mandat à vie" que lui a conféré le président Bill Clinton en 1993 au sein de la Cour Suprême, soit la plus haute instance de la Justice Américaine. Souffrant d'un cancer, elle s'éteint le 19 septembre 2020, à l'âge de 87 ans. 

RBG érigée en modèle, aux côtés de Simone Veil au CRIF 

En France, le modèle RBG est jugé aussi inspirant que celui de Simone Veil, souvent mis à l’honneur. Exemple fin novembre en France, le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) a voulu mettre en avant cette juge d’exception américaine, en même temps qu’il décidait de relancer la Commission Femmes dans la cité au sein de ses groupes de réflexion,  (Une commission présidée par Nathalie Cohen-Beizermann, cheffe d’entreprise et seule femme au sein du Comité exécutif du CRIF, et par l’avocate Vanessa Elkaim-Rimmer, vice-présidente, ndlr). Une plate-forme destinée à inciter plus de femmes à participer aux instances dirigeantes des organisations et associations de leur communauté.
Des formations à la prise de parole et au management pourraient être proposées à ses membres. Des élues ou des candidates aux élections, des femmes de la société civile devraient être auditionnées, associées, sensibilisées aux travaux.
Question ? Cette Commission pourra-t-elle aborder des questions aussi sensibles que celle du guet (consentement au divorce religieux suspendu à la seule décision du mari selon la "loi" juive orthodoxe) ?

En ces temps "trumpiens", où chaque possible signe de faiblesse des adversaires du patron de la Maison Blanche est scruté à la loupe par ses troupes, l'absence lundi 7 janvier 2019 de Madame Ruth Bader Ginsburg, absence inédite en vingt-cinq ans de loyaux et rudes services à la Cour suprême, ne pouvait pas passer inaperçue. La juge se remet d'une intervention chirurgicale menée pour retirer deux excroissances cancéreuses de son poumon gauche, ce qui l'a empêchée d'être sur le banc d'audience. Pas de quoi cependant faire faillir la stature de la "petite"grande dame. Un an et demi plus tard, elle annonce être soignée pour une rechute de cancer, mais ne compte pas quitter ses fonctions.