Fil d'Ariane
Non, les sages-femmes ne sont pas là que pour les accouchements. Elles s'occupent aussi de suivi gynécologique, contraception, vaccination et bientôt IVG instrumentale : leurs compétences, qui se sont étendues depuis vingt ans, restent méconnues et peu reconnues.
La sage-femme Corina Finch, à gauche, examine Zol Jameson lors d'une visite prénatale le 31 août 2023, à Summertown, dans le Tennessee, aux Etat-Unis.
"Quand on pose la question, tout le monde sait que les sages-femmes sont présentes au moment d'une naissance. Mais tout le suivi gynécologique est dans l'ombre", regrette Isabelle Derrendinger, présidente du Conseil national de l'Ordre des sages-femmes. Des centres-villes aux déserts médicaux, "trop peu de femmes savent que dès lors qu'elles sont en bonne santé, elles peuvent venir nous voir" tout au long de leur vie, pour leurs examens de prévention comme le frottis, la prescription d'une contraception, y compris la pose d'un stérilet, poursuit-elle. Les sages-femmes ont pourtant ces compétences depuis 2009.
Pour favoriser l'accès aux soins, dans un contexte de désertification médicale, les pouvoirs publics ont amendé la loi à plusieurs reprises, permettant à cette profession de dépister et traiter certaines infections sexuellement transmissibles (IST), prescrire certains médicaments ou réaliser des IVG médicamenteuses. Un autre texte leur a donné, en août 2023, la possibilité de vacciner toute la population selon le calendrier vaccinal (sauf les personnes immuno-déprimées).
Depuis 2021, elles peuvent également dépister et traiter certaines IST chez les partenaires de leurs patientes. "Bien sûr, on ne traite pas les personnes atteintes d'hépatite, de VIH, qu'on réoriente vers un médecin. Mais on peut traiter le chlamydia (une infection sexuellement transmissible, ndlr) par exemple", explique Prisca Wetzel-David, présidente de l'Union nationale et syndicale des sages-femmes (UNSSF).
Dans son cabinet parisien, Prisca Wetzel-David reçoit "très régulièrement" des femmes qui tombent des nues, "informées par une amie, une collègue", après avoir "longtemps cherché un rendez-vous gynéco". Quelques-unes "viennent aussi parce que leurs mutuelles ne couvrent pas bien les dépassements d'honoraires des médecins".
Une amie m'a conseillé un homme sage-femme qui la suivait. J'ai eu rendez-vous dans la semaine. C'était génial. Trinh Nguyen-Dinh
Trinh Nguyen-Dinh, 32 ans et habitant en région parisienne, a "découvert cette possibilité" fin 2022. "Chez ma gynéco, toujours débordée, je prenais rendez-vous minimum six mois à l'avance, parfois plus. Un jour, j'en ai eu marre. Je n'avais vu personne depuis deux ans et une amie m'a conseillé un homme sage-femme qui la suivait. J'ai eu rendez-vous dans la semaine. C'était génial". Selon une étude Ifop réalisée en 2022 pour la plateforme Qare, une femme sur trois n'avait pas consulté de gynécologue depuis plus de deux ans, et 22% depuis trois ans.
Enceinte quelques mois plus tard, elle choisit d'être suivie par une sage-femme. "Les consultations sont longues, j'avais toujours cette sensation qu'elle avait le temps de répondre à mes questions, me rassurer. Je n'ai vu le gynécologue qu'au huitième mois, à la maternité", raconte-t-elle. Une autre sage-femme suit désormais l'allaitement à domicile.
Le suivi de grossesse de A à Z auprès d'une sage-femme en ville est de plus en plus répandu, il est possible dès lors qu'il n'y a pas de pathologie. Caroline Combot
"Ce suivi de grossesse de A à Z auprès d'une sage-femme en ville est de plus en plus répandu, il est possible dès lors qu'il n'y a pas de pathologie", souligne Caroline Combot, qui exerce à Belfort et préside l'ONSSF (Organisation nationale des syndicats de sages-femmes). Depuis l'automne 2023, les femmes enceintes peuvent même déclarer une sage-femme dite "référente", chargée de coordonner son parcours de grossesse : organiser l'aspect administratif, le lien avec les autres soignants impliqués...
Et le rôle des sages-femmes est encore appelé à grandir, notamment dans l'éducation sexuelle, la prévention des addictions ou le repérage des violences conjugales. Mais l'activité "augmente beaucoup plus vite que le nombre de professionnelles" et "nos délais s'allongent aussi", observe Prisca Wetzel-David, qui appelle à donner "plus d'attractivité au métier".
Un décret permet désormais aux sages-femmes – après formation – de pratiquer des IVG instrumentales en milieu hospitalier, seul endroit où ces IVG peuvent être pratiquées.
Prévue par une loi de mars 2022, la pratique de l'IVG instrumentale par les sages-femmes en milieu hospitalier a été autorisée après une expérimentation d'un peu plus d'un an. Mais après la publication de ce décret, voué à favoriser l'accès à l'IVG instrumentale, parfois difficile en raison du manque de praticiens, professionnelles et associations alertent sur les conditions d'exercice "trop restrictives" imposées aux sages-femmes. Des conditions qui "vont à l'encontre" des objectifs du texte.
Le décret conditionne en effet cette pratique "à la présence de quatre médecins", déplore le 20 décembre 2023 Isabelle Derrendinger. Rédigé ainsi, il "restreint l'accès à l'IVG, c'est une atteinte aux droits des femmes", juge-t-elle.
D'après ce décret, "l'organisation de l'établissement de santé" doit permettre "l'intervention, sur site et dans des délais compatibles avec les impératifs de sécurité des soins, d'un médecin compétent en matière d'interruptions volontaires de grossesse par méthode instrumentale, d'un gynécologue-obstétricien et d'un anesthésiste-réanimateur".
L'hôpital doit aussi garantir "la prise en charge, sur site ou par convention avec un autre établissement de santé, des embolisations artérielles", (interventions destinées à stopper des hémorragies). "Il faut donc aussi un radiologue interventionnel", une spécialité "très rare" dans certains territoires, souligne Isabelle Derrendinger, pointant le risque que "seuls les centres hospitaliers universitaires" puissent réunir les exigences requises.
Le ministère de la Santé a défendu dans Le Monde un "impératif de sécurité essentiel en cas d’incident nécessitant une intervention chirurgicale rapide".
Les femmes seront les premières victimes de ces entraves. Organisations professionnelles
Dans un communiqué commun, le Conseil national des sages-femmes (CNSF, société savante), le syndicat représentatif majoritaire, l'ONSSF, et la principale association étudiante (Anesf) critiquent comme le CNSOF des "garde-fous non prévus pour les autres professionnels médicaux". Les femmes seront "les premières victimes de ces entraves", avertissent-elles.
D'autres organisations dont le Planning familial, l'association nationale des centres d'IVG ou le collectif "Avortement en Europe" ont aussi réagi, déplorant des "attaques contre l'IVG instrumentale". "Les sages-femmes sont formées, compétentes" mais pourront pratiquer dans "bien peu de structures", alertent-elles, "appelant les militantes féministes à se mobiliser" en janvier.
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