Fil d'Ariane
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"Le silence ne nous protégera pas. Nous ne nous tairons plus". Et c'est peut-être depuis la scène des Oscars qu'Alice Diop aura de nouveau l'occasion de briser le silence pour porter haut et fort la voix des femmes noires. Son film Saint Omer est sélectionné pour représenter la France dans l'illustre compétition hollywoodienne.
Saint-Omer d'Alice Diop représentera la France aux Oscars pic.twitter.com/J18fG1KeI9
— Boris Bastide (@BorisBastide) September 23, 2022
Un film dans lequel elle rend hommage aux femmes noires, comme elle l'expliquait déjà sur la scène de la 79e Mostra de Venise lors de la cérémonie de clôture mi-septembre. La cinéaste française avait profité de se retrouver en pleine lumière, pour recevoir ses deux prix le grand prix du jury (Lion d’argent) et le prix du premier film (Lion du futur) pour citer, la voix empreinte d'émotion, la poétesse américaine et militante Audre Lorde (Sister outsider, Editions Mamamelis, 2018).
Jusqu'ici spécialisée dans le documentaire, la réalisatrice choisit cette fois de s'exprimer à travers la fiction. Saint Omer (2022) s’inspire d'une histoire vraie : le procès d’un infanticide, l’affaire Fabienne Kabou."J’ai utilisé un fait divers d'apparence sordide pour aller questionner quelque chose de beaucoup plus vaste : le rapport que toutes les femmes et tous les hommes ont avec la maternité", confiait-elle.
Alice Diop Lion d’Argent, Grand Prix du Jury de la Mostra de Venise cite Audre Lorde: « Femmes noires, notre silence ne nous protègera pas ».
— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) September 10, 2022
Et ajoute un propos de son cru « Nous ne nous tairons plus. » pic.twitter.com/ztqgG1o7nT
Née en 1979 de parents sénégalais, Alice Diop a grandi à Aulnay-sous-Bois en banlieue parisienne avant de se lancer dans des études d'histoire puis de sociologie, qui l'ont conduite à l'atelier documentaire de la prestigieuse école de cinéma Fémis.
Son film Vers la tendresse (2017) est lauréat dans la catégorie du meilleur court métrage aux Césars 2017. Lors de la remise de son prix, Alice Diop le dédie aux victimes de violences policières, citant Zyed et Bouna, Théo et Adama Traoré.
À (re)lire : Quand Alice Diop nous entraîne "vers la tendresse" au masculin
Elle revient en 2021 avec Nous (2021), un documentaire qui dresse un portrait oblique de la France au miroir de la banlieue parisienne, en suivant le tracé du RER B. Il remporte le prix du meilleur film de la section Encounters à la Berlinale en 2021. En 2022, elle passe à la fiction avec Saint Omer (2022), pour lequel elle vient de recevoir deux prix à la Mostra de Venise. Le film sort le 23 novembre dans les salles françaises.
Dans la fiction, Rama, romancière d’une trentaine d’années, assiste, en 2016, au procès de Laurence Coly à la Cour d'assises de Saint-Omer. La jeune mère est accusée d'avoir tué sa fillette Ada, âgée de 15 mois, en l'abandonnant sur une plage de Berck dans le nord de la France, à marée montante. L'accusée, née en à Dakar en 1977, est alors étudiante. Elle écope d'une peine de 20 ans de prison mais fait appel. Un an plus tard, sa peine est réduite à 15 ans de prison. La justice a retenu la maladie mentale comme circonstance atténuante.
Le film se concentre sur le déroulé du procès, en 2016, auquel Alice Diop a réellement assisté dans la réalité. "J'ai été obsédée par cette histoire dès le départ (...) j'ai vraiment été très bouleversée, sidérée, traversée par beaucoup de choses assez intimes sur mon rapport à la maternité."
"Toutes les femmes présentes au procès ont été percutées par quelque chose de très, très intime", affirme-t-elle.
Effectivement, ce ne sont pas des figures de femmes noires qu'on a l'habitude de voir (...) mais c'est aussi là où nous sommes et, en fait, c'est là où je suis.Alice Diop, réalisatrice.
L'accusée, "est une femme d'une énorme complexité (...) ce n'est pas une femme qui suscite forcément la compassion, c'est une femme extrêmement puissante, mais qui est aussi monstrueuse, qui est aussi pathologiquement folle, qui a des travers, qui a des zones d'ombre, qui n'est pas univoque", explique-t-elle.
"Cela a été un vrai plaisir de créatrice que de donner à voir (...) la complexité d'une femme comme Laurence et de déciller les imaginaires sur ce qu'est une femme noire", ajoute la réalisatrice.
"Une femme noire, ça peut être une intellectuelle (...) effectivement, ce ne sont pas des figures qu'on a l'habitude de voir, ce n'est pas là où nous attend, mais c'est aussi là où nous sommes et, en fait, c'est là où je suis".
Un combat féministe que la réalisatrice prolonge au-delà de son art. En tant que membre du collectif 50/50, elle milite pour l'égalité hommes/femmes dans l'industrie cinématographique.