Et si mettait de côté la récupération mercantile et autres promotions de fleuristes ou de salons d'esthétique de cette fête vendue comme celle des amoureux (et amoureuses) pour écouter (ou redécouvrir) une autre parole de femmes ? Paroles d'amour, d'amour toujours, à jamais, entre passion et rupture... Petit florilège épistolaire et littéraire.
N'en déplaise aux professionnels du sentiment (fleuristes, chocolatiers, bijoutiers...) qui font leur beurre à cette occasion, la fête de la St Valentin est aussi perçue, chez nombre de couples, presque comme un devoir, un passage plus ou moins obligé, ou carrément comme l'Himalaya du ringardisme.
Mais quel est donc l'arbitre qui a sifflé le début d'un match que l'on ne souhaite pas forcément disputer ?
Nous voici coincés.
Mufle si on oublie la fête, radin si on la minimise, sans-coeur si on la moque.
Et que dire de ces regards lourds de sens quand, le 14 février, le lendemain, à la cantine, vous écoutez les un.e.s et les autres évoquer ce qu'elles ou ils ont reçu de leur amoureux (se) et que vous vous surprenez à baisser la tête ou à changer de sujet quand vient votre tour ?
La fête de la Saint-Valentin peut être aussi le Khôl d'une certaine solitude. L'air de rien, il surligne un célibat pas forcément choisi ou assumé dans une société où règne l'injonction du vivre à deux sinon ... rien.
Enfin, les esprits chagrins (et savants) souligneront que cette fête de la Saint-Valentin commémore le supplice de
Valentin de Terni. Le malheureux,
fêté le 14 février, est désigné par le pape Alexandre VI en 1496 comme le " saint patron des amoureux" : merci Wikipédia !
Une question cependant.
L'amour a-t-il vraiment vraiment besoin d'un patron et a-t-on réellement besoin des religions, souvent perçues comme des "polices de la culotte", pour obéir aux injonctions de notre coeur ?
L'équipe de Terriennes, toujours soucieuse de faire la part des choses, a décidé de réconcilier pros et anti St-Valentin. Voici donc des déclarations de femmes amoureuses. Elles sont vibrantes, engagées. On entendrait palpiter leur pouls tandis que l'encre noircit fièvreusement le papier.
Comme nous sommes loin de l'improbable poésie des SMS !
George Sand à Alfred de Musset
Aurore Lucile Dupin, dit George Sand, n'a que faire des conventions sociales de son époque. La romancière est avant tout une femme aimante et ne s'interdit rien quand le sentiment commande. Y compris le scandale. Parmi ses nombreuses passions, dont celle avec Franz Lizt, la plus célèbre demeure celle qu’elle éprouva pour le poète Alfred de Musset. Quand il rencontre George Sand, il a un peu plus de vingt-deux ans, elle en a presque sept de plus.
lettre de 1835
"
Je suis très émue de vous dire que j'ai bien compris l'autre soir que vous aviez toujours une envie folle de me faire danser. Je garde le souvenir de votre baiser et je voudrais bien que ce soit là une preuve que je puisse être aimée par vous. Je suis prête à vous montrer mon affection toute désintéressée et sans calcul, et si vous voulez me voir aussi vous dévoiler sans artifice mon âme toute nue, venez me faire une visite. "
Edith Piaf à Louis Gérardin
Édith Piaf (1915-1963) était une grande amoureuse. La légende s'est emparée de son idylle avec le boxeur Marcel Cerdan, surnommé "le bombardier marocain".
Sa mort tragique en 1949 dans un accident d'avion survenu au-dessus de l'archipel des Açores la dévaste. Un temps. Elle rencontre ensuite un champion cycliste, Louis Gérardin, ex-champion du monde sur piste. Et tant pis si Louis est marié ! Edith va vivre avec lui pendant un an une aventure particulièrement sensuelle.
En témoigne cette lettre brûlante :
"Vendredi le 22 février 1952
à minuit 35
Encore 3 jours
Mon grand à moi,
Oh vivement vivement mardi mon amour, je n’en peux plus tu sais, que j’ai envie de t’embrasser mon amour, comme j’ai envie de me donner à toi entièrement, comme j’ai envie d’être sous toi, tes mains autour de ma gorge et de t’entendre me dire toutes les choses que j’aime entendre, oh oui j’ai envie d’être recouverte de toi, n’être plus rien, te sentir mon maître absolu, tu peux te vanter d’être aimé tu sais ! (...)
La seule chose agréable dans un hôtel tout près c’est que évidemment ça ira plus vite, il me tarde tellement d’être à toi tout à fait, crois-tu que ça vienne vraiment un jour ? Par moments je dois dire que je désespère, enfin, qui vivra verra !
(...) Cette nuit je n’ai pas dormi une seule minute, je devenais folle tant j’étais énervée, ce que j’ai pu penser à des choses, tu en rougirais c’est tout te dire !
(...) Je me demande si tu as tellement envie de me voir, tu ne m’en parles jamais, tu me fous des complexes, tu sais que par moments il me passe des drôles d’idées par la tête mais n’anticipons pas ! À vrai dire j’ai le cafard ce soir, je me sens bien seule et je me pose des tas de problèmes qu’il me faut résoudre et ce n’est pas très commode, enfin comme je te l’ai déjà écrit, n’anticipons pas.
Je ne sais si je vais dormir, mais je me sens bien triste, je me demande pourquoi est-ce difficile d’avoir un homme qu’on aime et je me sens très découragée ! Ne fais pas attention, si je ne te dis pas à toi mon état d’âme à qui veux-tu que je me confie ? J’aimerais bien t’avoir près de moi ce soir, j’en ai besoin.
Bonsoir mon amour.
Ton petit bout bien seul"
Marguerite Duras à Yann Andréa
Marguerite Duras fait la connaissance de Yann Andréa au milieu des années 70, lors d'une projection de son film
India Song. Elle est cette écrivaine célèbre. Il n'est qu'un simple étudiant. Durant cinq ans se noue une relation épistolaire. Il lui envoie des
lettres d’admiration et d’amour. En septembre 1980, il l'appelle au téléphone. Elle accepte de le recevoir à Trouville, où elle écrit. Ils ne se quitteront plus. Elle a 66 ans, il en a 28 et est homosexuel. Yann Andréa ( de son vrai nom Yann Lemée ) devient son confident, son chauffeur et son souffre-douleur. Il lui pardonne tout : ses crises d'ethylisme, sa violence. Il l'accompagnera durant 16 ans, jusqu'au bout du chemin de l'écrivaine, qui décèdera le 3 mars 1996.
"23 décembre 1980
Yann, C'est donc fini. Je t'aime encore. Je vais tout faire pour t'oublier. J'espère y parvenir. Je t'ai aimé follement. J'ai cru que tu m'aimais. Je l'ai cru. Le seul facteur positif, j'espère, me fera me détacher tout à fait de toi c'est celui-là, ce fait que j'ai construit l'histoire d'amour toute seule. Je crois que tu m'aimes toi aussi mais pas d'amour, je crois que tu ne peux pas contenir l'amour, il sort de toi, il s'écoule de toi comme d'un contenant percé. Ceux qui n'ont pas vécu avec toi ne peuvent pas le savoir.(...)
Tout serait possible, tout si tu étais capable d'aimer. Je dis bien : capable d'aimer comme on dirait capable de marcher. Le fait que tu ne parles jamais, ce qui m'a tellement frappée, vient de ça aussi, de ce manque à dire, d'avoir à dire. Peut-être est-ce un retard seulement, je l'espère. Tu n'es même pas méchant. Je suis beaucoup plus méchante que toi. Mais j'ai en moi, dans le même temps, l'amour, cette disposition particulière irremplaçable de l'amour. Tu ne l'as pas. Tu es déserté de ça. (...)
Tu m'as écrit pendant des années justement parce que j'échappais à cette indécence d'exister. Je t'aime Yann. C'est terrible. Mais je préfère encore être à t'aimer qu'à ne pas t'aimer. Je voudrais que tu saches ce que c'est. Quel été, quelle illusion, que c'était merveilleux, ça ne pouvait pas continuer, ce n'était pas possible, seules les erreurs peuvent prendre cette plénitude. Je ne sais pas quoi faire de la vie qui me reste à vivre, très peu d'années. Le crime c'était ça : de me faire croire qu'on pouvait encore m'aimer. En retour de ce crime il n'y a rien. S'il arrive que j'aie le courage de me tuer je te le ferai savoir. Le seul empêchement est encore mon enfant. Je t'aime
Marguerite."