Fil d'Ariane
Convaincue d'aller le plus loin possible dans la course à la présidentielle, Sandrine Rousseau n'est finalement pas celle que les sympathisants du mouvement écologiste ont choisi pour les représenter. Pourtant, elle avait créé la surprise en finissant deuxième lors du premier tour de la primaire écologiste, faisant mentir tous les pronostics qui la plaçaient loin derrière les deux têtes de proue masculines du mouvement, Eric Piolle et Yannick Jadot. C'est finalement ce dernier qui, avec 50,1% des suffrages recueillis, sera le candidat en lice pour l'Elysée.
#PrimaireEcologiste - les résultats du second tour
— Kamel Djellal (@KamelDjellal2) September 28, 2021
122675 inscrites et inscrits
85,41% de participation (104 772 votantes et votants)
2464 votes blancs
Yannick Jadot est désigné candidat des écologistes pour l’élection présidentielle 2022. pic.twitter.com/idZdR7kDgG
Revenu d'insertion à 850 euros par mois, réforme de la fiscalité en la rendant plus égalitaire en taxant les plus riches, "écologie radicale" avec notamment l’augmentation du prix du carbone et la sortie des pesticides: pour sa campagne, l'ancienne secrétaire nationale adjointe du parti écologiste français se positionne d'emblée à gauche toute et "l'assume totalement".
Je suis fière de porter ce projet radical avec vous. Tous nos vécus et toutes nos déterminations sont à l’œuvre aujourd’hui pour rassembler et gagner en 2022.
— Sandrine Rousseau (@sandrousseau) September 15, 2021
Nous devons y croire.
On se retrouve dimanche soir. #OuiLesTempsChangent pic.twitter.com/YWpJXyye0x
Un discours combatif qui lui a déjà valu de se retrouver au coeur de plusieurs polémiques, comme les médias et réseaux sociaux savent si bien les alimenter comme s'en nourrir.
Dans un discours prononcé le 20 août dernier aux journées d’été d’EELV, elle affirme que notre système économique, social et sociétal est fondé sur un triptyque de "prendre, utiliser et jeter le corps des femmes, des plus précaires et des racisés". S'en est suivi un déferlement de moqueries et d'insultes sur les réseaux sociaux.
Face à ses détracteurs, elle reste inflexible : "On est dans une société de prédation, quand on viole une femme, on prend son corps et on le jette (...) On n'a plus le droit aujourd'hui de prendre, d'utiliser et de jeter" réitère-t-elle dans la matinale de France Inter au lendemain de sa qualification au second tour de la primaire écologiste. La candidate en profite aussi pour saluer à nouveau le combat de "Ces femmes qui se sont opposées depuis des années à des projets inutiles, coûteux et dangereux, ont obtenu des résultats". Réponse au tollé provoqué fin août par un entretien à Charlie Hebdo dans lequel elle évoquait le rôle des "sorcières", "Je préfère des femmes qui jettent des sorts plutôt que des hommes qui construisent des EPR".
Si une femme qui jette des sorts arrive à charger mon téléphone, je suis d'accord
— Xuira (@berkgers) August 26, 2021
(Sandrine Rousseau interviewée dans Charlie Hebdo) pic.twitter.com/FQaPoGpEd8
Une autre déclaration -qualifiée par beaucoup de dérapage- a également fait "le buzz" en cette rentrée, une "maladresse", comme elle l'a reconnue ensuite elle-même. Se disant favorable à l'arrivée en France des réfugiés afghans, elle avait ajouté "que si de potentiels terroristes se trouvaient parmi eux, cela nous permet aussi de les surveiller". Le parti EELV a même dû se fendre d'un communiqué précisant qu’il n’était "pas question de prendre à la légère la présence en France de personnes dangereuses pour notre pays". Une "aubaine" pour les réseaux d'extrême droite qui sévissent sur le net, certains d'entre-eux ont créé un compte Twitter parodique, "Sandrine Ruisseau".
Au-delà de ces secousses médiatiques, Sandrine Rousseau se targue de vouloir convaincre sur le fond. Pour elle, "l'écoféminisme" est un concept politique qui s'élève, contre "le système de violence et d'assignation des femmes s'appliquant aussi sur la nature ou encore les classes populaires". "L'écoféminisme prend sa source dans les luttes environnementales, et notamment contre le nucléaire. (...) Il faut retrouver le sens de notre nature, le ré-enchantement de cette nature", a-t-elle ajouté sur les ondes lundi 20 septembre.
.@sandrousseau : "Celles et ceux qui sont surpris [par ma présence au second tour] sont celles et ceux qui n'ont pas compris ce qui est en train de se passer dans la société : c'est un mouvement de fond" #le79inter pic.twitter.com/mQleEoZc1m
— France Inter (@franceinter) September 20, 2021
Sandrine Rousseau est née sous une (bonne) étoile féministe, le 8 mars 1972 à Maisons-Alfort dans le Val-de-Marne près de Paris, même si la Journée internationale des droits des femmes n'a été officialisée par les Nations Unies que cinq ans plus tard, certain-e-s y verront peut-être une prédestination à se battre pour les droits des femmes, qui sait ... Ce qui est certain, c'est que le militantisme coule dans veines. Ses parents, contrôleurs des impôts, sont engagés et militent à gauche. Sa mère notamment est très impliquée dans la lutte syndicale au sein de la CFDT.
Petite fille, elle vit entre Paris et La Rochelle. Plus tard, elle entame des études universitaires à Poitiers puis part dans le nord de la France et rejoint l'université de Lille. Elle y obtiendra un doctorat en économie industrielle, avec les félicitations du jury. Elle signe une thèse qui aborde les rapports sociaux à l’environnement et leur impact sur les processus d’accumulation.
Après divers engagements au sein d'un mouvement de jeunes écologistes alternatifs, d'une revue écologiste ou encore d'un syndicat étudiant, ce n'est qu'à l'âge de 37 ans qu'elle fait concrètement ses premiers pas en politique. Europe écologie vient la chercher pour figurer en cinquième position sur la liste Hauts-de-France des élections européennes. Si dans un premier temps, elle refuse, elle finit par céder aux sirènes de la défense de l'environnement. En 2010, elle devient conseillère régionale et vice-présidente de la région Hauts-de-France, chargée de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle entre ensuite au bureau exécutif d'EELV et devient numéro 2.
2015 restera l'année de son premier échec en politique. Tête de liste EELV pour les élections régionales au sein d'une gauche quelque peu en miettes, elle ne franchit pas la barre des 5% nécessaire au remboursement des frais de campagne.
A la ville, Sandrine Rousseau est enseignante-chercheuse en sciences économiques et mène ses travaux dans les domaines de l'économie de l'environnement, des emplois domestiques et de la responsabilité sociétale des entreprises. Elle est aussi depuis 2008, vice-présidente de l'université de Lille chargée de la vie universitaire. Sur le volet égalité femmes-hommes, elle est l'une des initiatrices du projet Université avec un grand Elles qui met en lumière les femmes qui ont fait l'université de Lille, rebaptisant du nom de ces femmes plusieurs amphithéatres de la fac.
Outre ses activités de militante, cette mère de trois enfants est co-auteure de plusieurs ouvrages et essais économiques, elle signe aussi deux romans policiers Épluchures à la lilloise. Un bien étrange inspecteur mène l'enquête (2007) et Qu'est-ce qui fait pleurer les flics ? (Editions Villeneuve-d'Ascq- Ravet-Anceau, 2007 et 2009).
En 2016, Sandrine Rousseau fait partie des quatre élues du parti écologiste, avec Isabelle Attard, Elen Debost et Annie Lahmer, qui accusent dans la presse l'ancien député de Paris Denis Baupin d'agressions et de harcèlement sexuels.
Les faits remontent à 2011, Sandrine Rousseau raconte comment il l'avait plaquée contre un mur, lui avait agrippé la poitrine et tenté de l’embrasser. Cette plainte intervenue un an avant la vague mondiale "Me too" fait grand bruit en France. Le grand public découvre Sandrine Rousseau par ses larmes sur le plateau d'"On n'est pas couché" sur France 2.
L'affaire, prescrite, a été classée sans suite mais en avril 2019, Denis Baupin intente un procès en diffamation contre ses accusatrices. Celui-ci perd son pari et se fait condamner pour procédure abusive, il doit verser à Sandrine Rousseau, comme aux autres prévenues, 500 euros de dommages et intérêts.
Aujourd'hui, elle dit rester marquée par la "violence" qui s'est déchargée contre sa parole, y compris au sein d'EELV: "Des gens refusaient de me dire bonjour. Il y a quelque chose d'indescriptible qui se coalise contre vous, vous marginalise: je n'étais plus une femme politique, ni une économiste, mais simplement une victime".
Sandrine Rousseau se met alors en retrait de la vie politique, mais ne se tait pas pour autant, au contraire. En 2017, elle publie Parler chez Flammarion. "Les chiffres sont effrayants : seule une victime de violences sexuelles sur dix porte plainte, seul un agresseur sur cent sera condamné par la justice. Cette impunité est un fléau qui ronge notre société et se nourrit du silence des femmes et surtout de leurs peurs", écrit-elle. "Parler permet de faire en sorte que les auteurs de ces violences sentent enfin le vent tourner", ajoute-t-elle "Parlons, sans haine et sans hargne, mais parlons".
Un livre qu'elle dédie à sa mère et à ses deux grand-mères, et à toutes les femmes qui ont parlé et à celles "qui le feront demain".
Et justement, c'est pour aider les femmes victimes de violences à prendre la parole et surtout pour être entendues qu'elle crée l'association Parler (rebaptisée En Parler en 2021, ndlr), qui organise des repas pour libérer la parole entre femmes victimes de violences sexuelles. Une initiative qui "m'a beaucoup aidée et aidé beaucoup de femmes", confie-t-elle, fière que l'association ait essaimé dans 10 villes en France.
Cette association a permis d'importer en France l'exposition artistique Que portais-tu ce jour-là ?, qui rassemble les vêtements que portaient des femmes victimes de viol, au moment de leur agression. Chaque année, l'association soutient le Point Noir, code de détresse pour signaler des violences conjugales.
C'est d'ailleurs son combat pour les droits des femmes qui va motiver son retour en politique. "Si je me présente à cette primaire pour la présidentielle, c'est pour une raison assez simple, c'est que mon humiliation a des limites", lance-t-elle le 5 septembre dernier lors du premier débat de la primaire écologiste, diffusé sur franceinfo., avant d'évoquer le moment où "Emmanuel Macron a balayé d'un revers de main le mouvement de milliers de femmes dont je faisais partie, qui luttaient contre les violences sexistes, en nommant à la tête dela police un ministre lui-même accusé de viol".
"C'est une personne qui est capable de mettre l'intimidation au-dessus des lois", assure Sandrine Rousseau concernant les propos de Gérald Darmanin sur France Inter. Elle se "réserve de donner des suites judiciaires."
— franceinfo (@franceinfo) September 9, 2021
Suivez le live https://t.co/cEwi3c61QM pic.twitter.com/oNpRV92mR1
"Il y a des citoyens et des citoyennes françaises qui ne subissent pas la même chose selon leur couleur de peau, selon leur sexe, s'ils sont valides ou en situation de handicap, c'est inadmissible. Ces discriminations-là aujourd'hui au 21ème siècle sont inadmissibles, ce n'est pas une option dans un projet politique, c'est véritablement au coeur de la transformation écologique", lance-t-elle lors de cette intervention. "Il n'y a pas de transformation d'ampleur sans transformation de la structure du pouvoir, qui est aujourd'hui dominée par les hommes et cela fait partie du problème", explique-t-elle.
"L'écologie, ce n'est pas des hommes blancs à vélo dans les villes", déclare la candidate. Celle-ci prône une écologie "nécessairement radicale, sociale et écoféministe", l'inscrivant dans le sillage du mouvement écoféministe, un concept imaginé par l'écrivaine et militante française Françoise d'Eaubonne dans les années 70 qui a essaimé ensuite surtout aux Etats-Unis.
Cette nouvelle ambition lui vaut à la fois critiques et soutiens dans son propre camp. Auprès de l'AFP, un cadre EELV ricane: "Elle fait des pieds et des mains pour être tête de liste, la stratégie est contestée au niveau local, ça se passe mal, on doit tous se cotiser pour rembourser, elle disparaît de la vie politique et plusieurs années après elle revient pour dire 'Je veux être présidente de la République'".
Alexis Braud, lieutenant de Yannick Jadot, l'autre finaliste de la primaire écologiste, lui, voit dans cette "amie", "quelqu'un de très déterminé, de très fort". Lui-même a témoigné en faveur de Sandrine Rousseau lors du procès intenté par Denis Baupin. Elle est aussi, selon lui, "une intellectuelle qui a réellement la pensée globale qui convient à l'écologie".
"Elle est motivée et motivante. Elle a assez de courage pour aller au bout des choses", affirme de son côté Stéphanie Bocquet, conseillère municipale à Lille et l'un de ses soutiens de la première heure.
Dans une tribune publiée le 11 septembre dans Le Journal du dimanche, près de 360 personnalités et élus lui ont exprimé publiquement leur soutien . "Sandrine Rousseau incarne cette opportunité d'une transformation profonde et radicale de notre République", estimait la tribune signée par des élu-e-s et militantes féministes, dont la conseillère de Paris Alice Coffin et Raphaëlle Rémy-Leleu, ainsi que par des membres de la société civile, avocat-es, physiciens, historienne, travailleuse sociale, médecin ou encore des acteurs-trices comme Bruno Solo ainsi que par la réalisatrice Céline Sciamma. "Elle est économiste de formation, spécialisée dans l'étude de l'environnement et de la précarité. Elle est féministe, pionnière de la libération de la parole des femmes sur les violences sexuelles et sexistes, ce qui fait aussi d'elle une fervente défenseuse de toutes les personnes qui subissent des dominations. Elle est écologiste car lucide sur l'état de notre planète et la nécessité de remettre la biodiversité, l'humain et notre écosystème au cœur de toutes nos décisions publiques", lit-on encore dans cette tribune.
#PrimaireEcologiste - les résultats du premier tour
— EELV (@EELV) September 19, 2021
122675 participantes et participants
86,91% de participation
0,2% votes blancs pic.twitter.com/NWcKwGFewc
Plus de 120 000 citoyen-ne-s, militant-e-s et sympathisant-e-s écologistes avaient été invité-e-s à voter en ligne pour désigner leur candidat-e pour la course à l'Elysée d'avril 2022. Deux femmes étaient candidates à cette primaire, Sandrine Rousseau (25,14% des suffrages exprimés) et Delphine Batho (22,32%) face à trois hommes : Yannick Jadot (27,7%), Eric Piolle (22,29%) et Jean-Marc Governatori (2,35%).
"J’ai conscience que ça va être très violent", confiait-elle dès le mois de mars à nos confrères-consoeurs de Reporterre dans un entretien intitulé "Sandrine Rousseau, l'écoféministe qui dérange". A l'aune du vote des électeur-trice-s écologistes, il semble bien que celle-ci n'a pas fini ... de déranger. Au lendemain de sa qualification pour le duel final écologiste, elle promet d'aller jusqu'au bout.