Sans les femmes, pas de solutions à la crise environnementale

Les urgences climatiques ne sont pas neutres d’un point de vue du genre : la dégradation de l’environnement à l’échelle planétaire a un effet disproportionné sur les femmes et les filles. Comment faire face ? Pas sans la présence de femmes dans la gouvernance mondiale. Telle est la conclusion de la Journée internationale des femmes dans le multilatéralisme. Terriennes y était. 

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Femme et multilatéralisme affiche

Détail de l'affiche de la Journée internationales des femmes dans le multilatéralisme.

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"La justice climatique ne peut être atteinte sans justice de genre". Ce sont les mots de Michelle Bachelet, à l'occasion de la Journée internationale des femmes dans le multilatéralisme, qui s'est déroulée le 25 janvier 2024, au siège de l'Unesco, à Paris. Objectif : trouver des solutions pour relever les principaux défis de la triple crise planétaire – changement climatique, pollution et la perte de biodiversité – à travers des échanges axés sur la discrimination de genre entre les Etats.

michelle bachelet

Michelle Bachelet à la Journée internationale des femmes pour le multilatéralisme, le 25 janvier 2024 à Paris.

©Terriennes (PMI)

Dans son allocution, l'ancienne présidente du Chili et première directrice exécutive d'ONU-Femmes, de 2010 à 2013, a tenu à rappeller les contributions des femmes tout au long de l'histoire en faveur de l'égalité des sexes, à commencer par leur rôle essentiel dans la promotion des droits humains, de la paix et du développement durable.

L'ancienne dirigeante a aussi plaidé en faveur d'une plus grande représentation des femmes aux postes de pouvoir et de décision. C’est un enjeu majeur, nous disent les chiffres, car le pourcentage de femmes occupant des postes décisionnaires, est loin d'être paritaire, et à plus forte raison significatif. 

Femmes et gouvernance : le grand écart

Selon ONU Femmes, en 2023, seuls 26 pays sur 195 comptaient des femmes cheffes d'État et/ou de gouvernement, et elles occupent au moins 50 % des ministères régaliens dans seulement 13 pays. Dans les chambres parlementaires, seuls 26,5 % des élus sont des femmes, un chiffre qui a néanmoins augmenté par rapport à 11 % en 1995.

C’est en poussant les femmes vers le haut qu’on pourra les retrouver au sommet des décisions. Nisreen Elsaim

Et si on considère que, lors de la dernière COP 28 à Dubaï, 15 sur 133 dirigeants mondiaux étaient des femmes, la question se pose, plus aigüe que jamais : comment décider de leur avenir si elles sont exclues des sphères du pouvoir ? Au rythme actuel, selon les données des Nations unies, il faudrait environ cent quarante ans pour que les femmes soient également représentées dans les postes de pouvoir et de direction sur le lieu de travail, et quarante-sept ans pour qu'elles soient également représentées dans les parlements.

Or les femmes représentent environ la moitié de la population mondiale et, par conséquent, la moitié du potentiel de changement et de développement de la planète. Aussi est-il impératif qu'elles participent sur un pied d'égalité à la prise de décisions. 2024 est une année clé pour espérer réduire ces écarts :  au moins 83 élections sont prévues dans le monde.

Panneaux cop28 femmes

Panneau projeté à la Journée internationale des femmes pour le multilatéralisme, le 25 janvier 2024 à Paris.

©Terriennes (PMI)

Pour Nisreen Elsaim, militante et négociatrice sur le climat soudanaise, présidente du groupe consultatif des jeunes sur le changement climatique du Secrétaire général des Nations unies, "Tout commence au cœur des communautés, où les femmes sont en première ligne, travaillant d’arrache-pied, mais dès qu’il s’agit de diriger, elles ne sont plus présentes. C’est en les poussant vers le haut qu’on pourra les retrouver au sommet des décisions".

Nisreen Elsaim

Nisreen Elsaim à la Journée internationale des femmes pour le multilatéralisme, le 25 janvier 2024 à Paris

©Terriennes (PMI)

Habituée à participer à des sommets sur l'environnement, Nisreen Elsaim se considère comme un dinosaure malgré son jeune âge. Dès sa première mission, d'abord en tant qu'activiste, elle a vite compris qu'il fallait franchir la barrière et participer aux négociations de l'intérieur pour optimiser les possibilités d'œuvrer efficacement au changement. Elle "coche toutes les casses pour une sorte de quota de la représentation, dit-elle. Jeune, femme, voilée, femme du sud... Mais ce qui est vraiment important, c'est d'être ici puisque nous avons largement les compétences et nous le méritons".

À quand un prisme de genre ?

En cette Journée internationale des femmes dans le multilatéralisme, le bilan fait l'unanimité : des progrès ont été réalisés, mais ils ne sont pas suffisants. Il y a encore des écarts financiers dans le soutien aux actions menées par des femmes qui, souvent, n'aboutissent pas car elles sont écartées des grands décisions. "Les femmes n’ont pas davantage de participation pour pouvoir appliquer leurs idées, et quand bien même l’auraient, les décisions sont prises par les pays dirigés par des hommes et ce sont eux qui ont le dernier mot. Il est impératif d'avoir un prisme de genre pour permettre aux femmes de jouer un rôle de premier plan dans ces décisions", plaide aussi Hemavathi Shekhar, avocate indienne et fondatrice de la fondation Enact Earth

Nadia Massih, Nisreen Elsaim et Hemavathi Shekhar 

Nadia Massih, journaliste, Nisreen Elsaim et Hemavathi Shekhar à la Journée internationale des femmes pour le multilatéralisme, le 25 janvier 2024 à Paris.

©Terriennes (PMI)

"N'oublions pas que les femmes et les filles ne sont pas seulement des victimes, mais aussi des agents du changement. Ce n'est qu'en faisant progresser l'égalité des sexes que nous pourrons faire avancer les solutions pour répondre à l'urgence climatique", souligne Michelle Bachelet. De fait, les femmes occupant une place centrale dans les activités et possédant une connaissance approfondie des problèmes à la source, il est impératif que la perspective de l'égalité des sexes soit au cœur des réponses aux problèmes environnementaux.

Il existe des communautés où les hommes, se tiennent à distance sous un arbre, à l'affût d'une menace potentielle, tandis que les femmes travaillent la terre, cuisinent, gèrent la maison, éduquent les enfants, font tout.Nisreen Elsaim

"Au Soudan, par exemple, il existe des communautés où les hommes, se tiennent à distance sous un arbre, à l'affût d'une menace potentielle. Tandis que les femmes travaillent la terre, cuisinent, gèrent la maison, éduquent les enfants, font tout', raconte Nisreen Elsaim. 

Le changement climatique a déjà entraîné des pénuries d'eau et, dans certaines régions du monde, une aggravation des sécheresses, ce qui accroît la charge des femmes et des jeunes filles qui doivent aller chercher de l'eau, les exposant parfois aux risques d'agression et à d'autres formes de violence. Hier encore, elles allaient chercher l'eau près de chez elles ; aujourd'hui, elles doivent parcourir des distances encore plus grandes. Alors leur implication dans la planification et la mise en œuvre des systèmes d'eau au niveau local est nécessaire pour créer des services mieux adaptés à leurs besoins et à leurs ressources. 

Les femmes encore plus pauvres

Bien que l'enthousiasme et l’expertise des femmes présentes aux échanges de cette Journée internationale des femmes dans le multilatéralisme aient marqué les tables rondes, le constat demeure : il y a encore beaucoup à faire. 

photo de groupe multilatéralisme

Nisreen Elsaim, Hemavathi Shekhar, Raquel Martins, Yolanda Sanchez, Nadia
Massih, Warsha Singh, Daniel Koto Dagnon, Alexia Barrier à la Journée internationale des femmes pour le multilatéralisme, le 25 janvier 2024 à Paris.

©Terriennes (PMI)

Selon les estimations d'ONU Femmes, d'ici à 2050, le changement climatique précipitera 158 millions de femmes et de filles supplémentaires dans la pauvreté, et 236 millions de femmes supplémentaires souffriront de la faim.

Femmes, actrices essentielles du développement durable

Si "la justice climatique ne peut être atteinte sans justice de genre", comme le dit Michelle Bachelet, la réalisation de cette tâche dépend de la contribution des femmes. Or selon un récent examen des plans d'action nationaux sur le climat, seuls 55 pays intègrent des mesures spécifiques d'adaptation au climat faisant référence à l'égalité des sexes. De plus, seuls 23 pays reconnaissent explicitement les femmes comme des agents de changement essentiels pour accélérer les progrès en matière d'engagements climatiques.

En tant que parties prenantes clés dans la lutte contre le changement climatique, elles ont pourtant un rôle central dans la mise en œuvre de solutions durables. Il reste à leur ouvrir un rôle plus significatif dans le processus décisionnel et de renforcer ce type de leadership, tout en garantissant une reconnaissance mondiale de leur contribution. 

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