S'appuyer sur les matrones, le combat singulier de Martha Diomandé contre l'excision

Chaque 6 février, journée internationale de lutte contre les MGF, mutilations génitales féminines, on s'interroge : comment ces violences, au premier rang desquelles l'excision, sont-elles encore possibles ? Pour Martha Diomandé, excisée, fille et petite fille d'exciseuse, et pour Camille Sarret réalisatrice de "La forêt sacrée", documentaire consacrée à la première, le combat sera long et empathique ou ne sera pas.
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Martha Diomandé parmi les matronnes
Martha Diomandé (assise en robe rose) au milieu des matrones qu'elle flatte pour mieux les inciter à abandonner la pratique de l'excision dans son village natal de Kabakouma, tout à l'Ouest de la Côte d'Ivoire
(©) Camille Sarret
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Martha Diomandé et Camille Sarret avaient quelque chose en commun avant de se rencontrer : elles sont toutes deux bretonnes et trentenaires. Elles viennent de réaliser ensemble, l'une devant et l'autre derrière la caméra, l'un des plus beaux films sur la longue lutte contre l'excision, mutilation génitale féminine aux conséquences lourdes : douleurs, infections, grossesses à risque, et abolition du plaisir sexuel. Violences contre les femmes, souvent ignorées, souvent encore méconnues, survivances de traditions patriarcales ancestrales, fléau que les Nations unies tentent d'enrayer chaque 6 février à l'occasion d'une journée internationale.

Dans "La forêt sacrée", la journaliste Camille Sarret a suivi la danseuse et chorégraphe rennaise Martha Diomandé jusqu'en Côte d'Ivoire, dans le village de Kakabouma, tout à l'Ouest du pays, là où Martha est née, là où elle a grandi, là où sont ancrées ses racines et les fondations de sa vie. Petite fille, fille d'exciseuse, excisée elle-même, Martha s'est formée à l'ombre de ces matrones, qui lui ont apporté le meilleur et le pire. Le pire : cette amputation d'un morceau d'elle-même, cette coupure du clitoris, cette douleur jamais partie, qui se réveille avec force, lors de ses deux accouchements, qui l'accompagne dans ses relations amoureuses. Le meilleur, une force de vie exceptionnelle, une attention aux autres, une joie communicative, une générosité constante, une capacité de conviction illimitée.

Martha Diomandé n'a jamais voulu se faire "réparer", comme la chirurgie le permet aujourd'hui, parce qu'elle "ne veut pas revivre cette opération, à l'envers, même si cela me permettrait de trouver du plaisir". Et aussi parce que c'est de cette histoire qu'est sortie cette  artiste, femme, militante qu'elle est devenue.

Dans ce village animiste où 100% des femmes et jeunes filles sont excisées, Martha Diomandé sait que l'éradication de cette pratique, qui est d'abord un rituel de passage des adolescentes vers l'âge adulte, ne pourra pas se faire sans les exciseuses, ces matrones respectées, rémunérées, qui sont aussi le ciment de l'organisation sociale.
 

Lorsque Camille Sarret a rencontré Martha Diolandé, elle menait déjà son combat, en France, par la danse et la chorégraphie, son métier. Elle le poursuit aujourd'hui en Côte d'Ivoire avec cette approche nouvelle : resocialiser les exciseuses, les convaincre d'abandonner leur métier pour un autre, doté d'un statut social équivalent, leur permettre de donner la vie, elles qui sont vecteurs d'une mort symbolique (et parfois réelle en cas de complication). Elle a entrepris de faire construire une maison des femmes à Kakabouma, où les anciennes exciseuses seront les nouvelles sages-femmes (formées par Claudie Robert une autre rennaise), et où elles pourront poursuivre leurs cérémonies d'initiation, débarrassées de leur partie invalidante.

Dans le film réalisé par Camille Sarret, images de Sarah Blum, nous entrons avec Martha dans "La forêt sacrée", là où sont accomplies les mutilations. Nous vivons ses espoirs, ses enthousiasmes, mais aussi ses errances, ses doutes, mais jamais de renoncement. Nous l'avons rencontrée à Paris, juste avant une projection organisée le 2 février 2016 par le Centre Hubertine Auclert. Pensées claires formulées dans une langue directe qui fait fi de tous les tabous.

Il faut lutter au cas par cas
Martha Diomandé

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Cette démarche "ambiguë" choisie par Martha Diomondé, qui refuse la seule option punitive, c'est justement ce qui a attiré la jeune journaliste Camille Sarret. La condition des femmes et ses multiples ressorts, exécrables ou admirables, sont autant de sujets sur lesquels elle travaille depuis quelques années, en particulier pour Terriennes. Quand elles sont parties en Côte d'Ivoire, Martha voulait que Camille observe avant de tourner, qu'elle s'imprègne des us et coutumes du village. Comprendre avant de juger, un credo auquel la réalisatrice adhère.

Martha incarne une forme de féminisme à l'africaine
Camille Sarret

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Depuis cette rencontre fondatrice, Camille Sarret s'est engagée à son tour de façon plus frontale dans lutte contre les mutilations génitales féminines, en accompagnant la création de l'association "Excision parlons-en !". Imaginée par Louis Guinamard, journaliste lui aussi très sensible aux violences faites aux femmes, et après le succès  d'un premier colloque en février 2014, la structure poursuit son combat en fédérant les associations qui se battent pour la même cause, en offrant nombre de ressources sur le sujet, et en donnant la parole aux principales intéressées qui ont tant de mal à la prendre.

Les chiffres sont têtus : même si la pratique recule légèrement, les Nations Unies estiment qu'entre 110 millions et 140 millions de filles et de femmes, en 2016, ont été victimes de mutilations sexuelles. L'Unicef est plus alarmiste en annonçant 200 millions d'excisées dans le monde. Si la courbe ne s'inverse pas, il y en aura 15 millions de plus, voire 30 millions, âgées de 15 à 19 ans, en 2030.

Si excision, clitoridectomie, ablation du clitoris, ablation partielle ou totale des petites lèvres, infibulation, percement, incision, scarification, cautérisation, et autres, sont pratiquées surtout en Afrique, en Asie, et au Moyen Orient, les autres continents ne sont pas épargnés. Moïra Sauvage, présidente de "Excision parlons-en !" tient à rappeler qu'en Europe, et singulièrement en France, alors que l'excision est punie sévèrement par la loi, cette pratique survit, dans la clandestinité, ou le temps d'un voyage au pays - elles seraient 53000 résidentes à avoir été excisées.

Les diasporas peuvent jouer un rôle important
Moïra Sauvage

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Le maison des femmes imaginée par Martha Diomandé sera inaugurée en avril 2016. Pour cette irréductible optimiste, dans quelques années, moins de dix selon elle, plus personne n'excisera personne à Kakabouma et dans les villages à l'entour. Bien avant 2030, cette année butoir choisie par l'ONU pour parvenir à une "tolérance zéro" vis-à-vis des mutilations sexuelles féminines.
 

Un livre aussi
 

La Tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux

Le 2 février 2016, le Centre Hubertine Auclert organisait une soirée dédiée à la lutte contre l'excision, autour du film "La forêt sacrée", et d'un roman, destiné d'abord aux adolescentes, mais vivement recommandé à tous. Dans "La Tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux" (éditions Thierry Magnier, 244 pages, 14 euros) Sabine Panet et Pauline Penot reprennent les aventures d'Awa, étudiante en terminale, qui apprend, dans cet opus, au hasard d'une visite chez un gynécologue qu'elle est excisée... 

La première de ces deux autrices est journaliste et vit à Bruxelles, la deuxième est médecin hospitalier et exerce aujourd'hui à Paris et en Seine Saint-Denis, au Nord de Paris. Lors de la lecture de quelques pages de ce livre, le 2 février, Pauline Penot a confié que durant ses 12 années d'études de médecine, jamais, elle n'avait entendu l'un de ses enseignants prononcer le mot "excision"... Quand on parle de tabou tenace...