Fil d'Ariane
Lorsque Camille Sarret a rencontré Martha Diolandé, elle menait déjà son combat, en France, par la danse et la chorégraphie, son métier. Elle le poursuit aujourd'hui en Côte d'Ivoire avec cette approche nouvelle : resocialiser les exciseuses, les convaincre d'abandonner leur métier pour un autre, doté d'un statut social équivalent, leur permettre de donner la vie, elles qui sont vecteurs d'une mort symbolique (et parfois réelle en cas de complication). Elle a entrepris de faire construire une maison des femmes à Kakabouma, où les anciennes exciseuses seront les nouvelles sages-femmes (formées par Claudie Robert une autre rennaise), et où elles pourront poursuivre leurs cérémonies d'initiation, débarrassées de leur partie invalidante.
Dans le film réalisé par Camille Sarret, images de Sarah Blum, nous entrons avec Martha dans "La forêt sacrée", là où sont accomplies les mutilations. Nous vivons ses espoirs, ses enthousiasmes, mais aussi ses errances, ses doutes, mais jamais de renoncement. Nous l'avons rencontrée à Paris, juste avant une projection organisée le 2 février 2016 par le Centre Hubertine Auclert. Pensées claires formulées dans une langue directe qui fait fi de tous les tabous.
Il faut lutter au cas par cas
Martha Diomandé
Cette démarche "ambiguë" choisie par Martha Diomondé, qui refuse la seule option punitive, c'est justement ce qui a attiré la jeune journaliste Camille Sarret. La condition des femmes et ses multiples ressorts, exécrables ou admirables, sont autant de sujets sur lesquels elle travaille depuis quelques années, en particulier pour Terriennes. Quand elles sont parties en Côte d'Ivoire, Martha voulait que Camille observe avant de tourner, qu'elle s'imprègne des us et coutumes du village. Comprendre avant de juger, un credo auquel la réalisatrice adhère.
Martha incarne une forme de féminisme à l'africaine
Camille Sarret
Depuis cette rencontre fondatrice, Camille Sarret s'est engagée à son tour de façon plus frontale dans lutte contre les mutilations génitales féminines, en accompagnant la création de l'association "Excision parlons-en !". Imaginée par Louis Guinamard, journaliste lui aussi très sensible aux violences faites aux femmes, et après le succès d'un premier colloque en février 2014, la structure poursuit son combat en fédérant les associations qui se battent pour la même cause, en offrant nombre de ressources sur le sujet, et en donnant la parole aux principales intéressées qui ont tant de mal à la prendre.
Les chiffres sont têtus : même si la pratique recule légèrement, les Nations Unies estiment qu'entre 110 millions et 140 millions de filles et de femmes, en 2016, ont été victimes de mutilations sexuelles. L'Unicef est plus alarmiste en annonçant 200 millions d'excisées dans le monde. Si la courbe ne s'inverse pas, il y en aura 15 millions de plus, voire 30 millions, âgées de 15 à 19 ans, en 2030.
Si excision, clitoridectomie, ablation du clitoris, ablation partielle ou totale des petites lèvres, infibulation, percement, incision, scarification, cautérisation, et autres, sont pratiquées surtout en Afrique, en Asie, et au Moyen Orient, les autres continents ne sont pas épargnés. Moïra Sauvage, présidente de "Excision parlons-en !" tient à rappeler qu'en Europe, et singulièrement en France, alors que l'excision est punie sévèrement par la loi, cette pratique survit, dans la clandestinité, ou le temps d'un voyage au pays - elles seraient 53000 résidentes à avoir été excisées.
Les diasporas peuvent jouer un rôle important
Moïra Sauvage
Le maison des femmes imaginée par Martha Diomandé sera inaugurée en avril 2016. Pour cette irréductible optimiste, dans quelques années, moins de dix selon elle, plus personne n'excisera personne à Kakabouma et dans les villages à l'entour. Bien avant 2030, cette année butoir choisie par l'ONU pour parvenir à une "tolérance zéro" vis-à-vis des mutilations sexuelles féminines.
Un livre aussi
Le 2 février 2016, le Centre Hubertine Auclert organisait une soirée dédiée à la lutte contre l'excision, autour du film "La forêt sacrée", et d'un roman, destiné d'abord aux adolescentes, mais vivement recommandé à tous. Dans "La Tête ne sert pas qu’à retenir les cheveux" (éditions Thierry Magnier, 244 pages, 14 euros) Sabine Panet et Pauline Penot reprennent les aventures d'Awa, étudiante en terminale, qui apprend, dans cet opus, au hasard d'une visite chez un gynécologue qu'elle est excisée...
La première de ces deux autrices est journaliste et vit à Bruxelles, la deuxième est médecin hospitalier et exerce aujourd'hui à Paris et en Seine Saint-Denis, au Nord de Paris. Lors de la lecture de quelques pages de ce livre, le 2 février, Pauline Penot a confié que durant ses 12 années d'études de médecine, jamais, elle n'avait entendu l'un de ses enseignants prononcer le mot "excision"... Quand on parle de tabou tenace...