Scandale d'abus sexuel aux Etats-Unis : les gymnastes obtiennent un accord financier

Les gymnastes victimes de Larry Nassar vont recevoir 380 millions de dollars de dédommagements après un accord conclu avec la Fédération, le Comité olympique et paralympique américain et leurs assureurs. Pendant vingt ans, l'ancien médecin de l'équipe nationale de gymnastique féminine américaine a agressé sexuellement des centaines d'adolescentes. 
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©Saul Loeb/AP

De gauche à droite, Aly Raisman, Simone Biles, McKayla Maroney et Maggie Nichols, les quatre gymnastes sont venues témoigner le 15 septembre 2021 à Washington, devant une commission du Congrès américain qui enquête sur les défaillances de l'enquête du FBI dans le scandale d'abus sexuels commis par Larry Nassar, ex-médecin de l'équipe féminine de gymnastique américaine.

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Simone Biles
©AP Photo/Ashley Landis
Simone Biles, ici lors des JO de Tokyo en juillet 2021. Considérée par beaucoup comme la plus grande gymnaste de tous les temps, Simone Biles avait révélé en janvier 2018 faire partie des victimes de Larry Nassar.
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maggie Nichols
©AP Photo/Sue Ogrocki
Maggie Nichols est l'une des 250 victimes de Larry Nassar, l'ex-médecin de l'équipe féminine de gymnastique américaine, condamné et en prison depuis 2017. 
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"Je m’appelle Simone Biles, et je suis une survivante d’abus sexuels." "On nous a laissé tomber et on nous doit des explications", poursuit, la voix brisée par l'émotion, Simone Biles, 24 ans, devant la commission du Sénat chargée de se pencher sur les "manquements au devoir" du FBI dans la conduite de l'enquête sur les crimes commis par Larry Nassar. Considérée par beaucoup comme la plus grande gymnaste de tous les temps, Simone Biles avait révélé en janvier 2018 faire partie de ses nombreuses victimes.

Avec McKayla Maroney, Maggie Nichols et Aly Raisman, elles sont quatre jeunes femmes aujourd'hui, elles n'étaient encore que des adolescentes à l'époque des faits. Ces jeunes gymnastes, comme des dizaines d'autres, ont été abusées sexuellement par le médecin de l'équipe féminine des Etats-Unis, Larry Nassar. Des années après le scandale, elles sont venues témoigner de ce qu'elles ont vécu devant le Congrès, pour ne pas oublier, mais surtout pour dénoncer et tenter de comprendre les défaillances de l'enquête.

Un accord financier pour dédommager les victimes de Larry Nassar

Lundi 13 décembre 2021, le Wall Street Journal annonçait qu'un accord financier a été conclu avec la Fédération, le Comité olympique et paralympique (USOPC) américain et leurs assureurs, portant sur 380 millions de dollars de dédommagements. Cet accord, confirmé lors d'une audience devant un tribunal fédéral des faillites à Indianapolis, vient mettre fin à une bataille juridique de cinq ans.

L'indemnisation qui sera versée est l'une des plus importantes jamais accordées à des victimes d'agressions sexuelles, après celle de 500 millions de dollars que s'est engagée à régler l'université d'Etat du Michigan en 2018, après avoir conclu un accord de dédommagement avec plus de 300 victimes.
simone et nichols jeunes
Simone Biles et Maggie Nichols lors du championnat de gymnastique américain, le 25 juillet 2015. A l'époque, le médecin Larry Nassar était en poste. 
©AP Photo/Andrew A. Nelles

Larry Nassar est aujourd'hui âgé de 58 ans. Il purge actuellement une peine de prison à vie après avoir été condamné à plusieurs lourdes peines en 2017 et 2018 pour des agressions sexuelles sur plus de 250 gymnastes, la plupart mineures, commises pendant deux décennies au sein de la Fédération de gymnastique ou à l'université d'Etat du Michigan où il travaillait.

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Larry Nassar, l'ancien osthéopathe de l'équipe féminine de gymnastique américaine, face à ses juges, le 25 juillet 2018, à Lansing, dans le Michigan. Au terme de son procès, il a écopé d'une peine allant jusqu’à 175 ans de prison.
©AP Photo/Carlos Osorio

Les enquêteurs du FBI mis en cause

La commission sénatoriale, qui se penchera sur "le manquement au devoir du FBI dans l'affaire Nassar", doit également entendre le directeur du Federal Bureau of Investigation, Christopher Wray, et le chef de l'inspection générale du ministère de la Justice, Michael Horowitz.

Un rapport de l'inspection générale, organisme indépendant au sein du ministère, s'est montré très sévère envers le bureau local du FBI à Indianapolis, où le patron de la Fédération de gymnastique avait le premier signalé les accusations contre l'ostéopathe en juillet 2015. "Malgré la nature extraordinairement sérieuse des accusations et la possibilité que M. Nassar poursuive ses agissements, les hauts responsables du FBI à Indianapolis ont échoué à réagir avec le grand sérieux et l'urgence que (les accusations) méritaient, ont fait des erreurs nombreuses et fondamentales en y répondant et ont violé de multiples règles du FBI", conclut le rapport.

Les policiers ont par exemple attendu plusieurs semaines avant d'interroger une des trois athlètes qui avaient accepté de témoigner, et n'ont jamais entendu les deux autres. Estimant qu'ils n'avaient pas assez d'éléments à charge pour inculper Larry Nassar, ils avaient ensuite clos l'enquête. Elle avait été rouverte en mai 2016 par le bureau du FBI à Los Angeles après un nouveau signalement de la Fédération.

Non seulement le FBI n'a pas fait d'enquête, mais quand (les agents fédéraux) ont finalement fait un rapport 17 mois plus tard, ils ont fait de fausses déclarations sur ce que j'avais dit.
McKayla Maroney

Lors de son audition, McKayla Maroney a mis en cause l'agent du bureau local du FBI qui avait recueilli son témoignage, contenant des détails très précis sur les agressions, et qui avait réagi par "le silence et le mépris". "Non seulement le FBI n'a pas fait d'enquête, mais quand (les agents fédéraux) ont finalement fait un rapport 17 mois plus tard, ils ont fait de fausses déclarations sur ce que j'avais dit", a accusé l'ancienne gymnaste de 25 ans, qui avait été agressée dès ses 13 ans. En falsifiant son témoignage, "ces agents du FBI ont commis un crime", a-t-elle souligné, dénonçant l'absence de sanctions prises par le ministère de la Justice qui a choisi de ne pas poursuivre ces policiers.

McKayla Maroney
La championne olympique McKayla Maroney lors d'une réunion pour la prévention des crimes contre les enfants, à New York, en avril 2018. 
©AP Photo/Bebeto Matthews

Les excuses du FBI

"Je blâme Larry Nassar, mais je jette aussi le blâme sur un système tout entier qui a permis ces abus, a ajouté en pleurs Simone Biles devant le Comité judiciaire du Sénat. Ils savaient que j’étais victime d’abus de la part de leur médecin en chef bien avant que je sache qu’ils étaient au courant. "

McKayla Maroney a déclaré aux sénateurs qu’un soir, alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans, elle a trouvé Nassar couché sur elle alors qu’elle était nue, l’une des nombreuses fois où elle a été victime d’abus. Elle dit avoir cru qu’elle allait mourir ce soir-là.

C'était comme servir des enfants innocents à un pédophile sur un plateau d'argent.
Aly Raisman

Aly Raisman, victime de Larry Nassar à partir de 2010, l'avait dénoncé en 2015 à la Fédération. Pourtant, "le FBI a mis 14 mois pour me contacter malgré mes nombreuses demandes de témoigner", a dit la jeune fille de 27 ans. Elle a fustigé le silence des instances sportives après le départ du médecin de la sélection en septembre 2015. Il avait continué à travailler à l'université et au club de gymnastique, faisant une centaine de victimes supplémentaires. "C'était comme servir des enfants innocents à un pédophile sur un plateau d'argent", a-t-elle lancé devant la commission du Congrés.

Maggie Nichols, 24 ans et première à avoir signalé les violences sexuelles, a également dénoncé la Fédération qui l'aurait sanctionnée pour s'être exprimée. "Mon rêve olympique s'est évanoui à l'été 2015 quand mon entraîneur et moi avons dénoncé les agressions de Larry Nassar", a-t-elle affirmé.

Le directeur du FBI, Christopher Wray, a présenté ses excuses aux victimes de Larry Nassar, admettant que "les erreurs fondamentales faites en 2015 et 2016 n'auraient jamais dû l'être". L'agent ayant supervisé l'enquête a été licencié, a-t-il dit, exprimant sa "frustration" que l'agent chargé de l'enquête n'ait pas été sanctionné, ayant pris sa retraite avant les conclusions de l'inspection générale.

"Qu'avez-vous fait ?"

Le scandale, le plus grand de l'histoire sportive américaine, avait éclaté au grand jour à l'été 2016 à la suite d'un article du quotidien Indianapolis Star.

Un documentaire intitulé At The Heart of Gold : Inside the USA gymnastic scandal, produit par la chaine HBO, avait recueilli des entretiens exclusifs avec des victimes. "Qu'avez-vous fait ?" lance l'une d'elles, en larmes, à la face de son agresseur lors du procès. Une autre scène montre la colère et le désespoir du père d'une gymnaste lorsqu'il bondit dans la salle pour tenter d'empoigner "ce démon", comme il le traite en criant, au moment où il est retenu par le service d'ordre. 


Dans un autre film documentaire choc, Team Usa : scandale dans le monde de la gymnastique, cette fois diffusé sur la plate-forme Netflix, on retrouve aussi des témoignages bouleversants de victimes, "pas des victimes, des survivantes", comme préfère le dire Maggie Nichols.

On y apprend que sous prétexte de soins, Larry Nassar imposait notamment des pénétrations digitales aux jeunes gymnastes.

Le film remonte le fil de l'enquête menée par les journalistes de l'Indianapolis et démonte également tout un système, mettant en lumière l'omerta mise en place par la Fédération nationale, qui a tout fait pour cacher le scandale, au détriment de ses athlètes. Lors d'une audition, on voit Steve Penny, le président de la Fédération répondre à cette question "Si on vous signale des abus sexuels au sein de vos équipes, en faites-vous mention auprès de la police ?" L'homme lâche simplement "Non". Sans plus d'explication. Une première plainte avait été exprimée dès… 1997.

En février 2020, les gymnastes Simone Biles et Aly Raisman avaient officiellement protesté contre le comité olympique, et paralympique, des États-Unis concernant ce scandale sexuel. Celui-ci leur avait proposé 215 millions de dollars de dédommagement, soit la moitié de la somme versée aux victimes, en échange de l’arrêt des poursuites et de l’abandon de nouvelles investigations concernant leur gestion des événements.