Scandale de harcèlement sexuel chez Ubisoft : une "culture d'entreprise" à revoir

L'industrie du jeu vidéo se retrouve à son tour prise dans la vague #MeToo. Plusieurs têtes sont tombées chez Ubisoft après des accusations d'agression et de harcèlement sexuel. "On savait", comme le dénoncent de nombreux témoignages sur Twitter ou publiés dans la presse. Au-delà du remaniement au sein de sa direction, l'entreprise promet "des changements majeurs dans sa culture d'entreprise".
Image
ubisoft
Le 3 novembre 2017 à la Paris Games Week à Paris. Le géant français du jeu vidéo Ubisoft se sépare de son directeur créatif et de deux autres dirigeants à la suite d'une enquête interne sur des agressions et du harcèlement sexuel.
©AP Photo/Kamil Zihnioglu
Partager 6 minutes de lecture

Alors que depuis des mois, des joueuses prennent la parole pour dénoncer le harcèlement sexuel en ligne dont elles sont victimes, voici qu'au sein même de la "matrice" d'un des plus gros fournisseurs de jeux vidéo, culture sexiste, harcèlement sexuel et loi du silence se retrouvent révélés en pleine lumière. 

Exit le numéro deux, la DRH et le chef de l'unité canadienne. Après plusieurs articles dans la presse et face au scandale grandissant, Ubisoft a donc décidé de procéder à un remaniement spectaculaire au sein de sa direction. Le communiqué officiel précise que ces départs "font suite à un examen rigoureux que la société a mené en réponse aux récentes allégations et accusations de mauvaise conduite et de comportements inappropriés". "Serge Hascoët a choisi de démissionner de son poste de 'Chief creative officer', avec effet immédiat. Ce rôle sera assumé dans l'intérim par Yves Guillemot, PDG d'Ubisoft", précise l'entreprise, qui avait annoncé avoir lancé fin juin une enquête interne sur des allégations de violence et de harcèlement visant certains de ses cadres et cela dans plusieurs pays.

Ubisoft n'a pas été en mesure de garantir à ses collaborateurs un environnement de travail sûr et inclusif.
Yves Guillemot, PDG d'Ubisoft

"Yannis Mallat, dirigeant des studios canadiens d'Ubisoft, quitte ses fonctions et la Société avec effet immédiat. Les récentes allégations apparues au Canada à l'encontre de nombreux salariés ne lui permettent pas de continuer à assurer ses responsabilités", ajoute le communiqué. Autre tête à tomber, celle de la directrice des ressources humaines, "Ubisoft va nommer un nouveau responsable monde des ressources humaines, en remplacement de Cécile Cornet, qui a décidé de démissionner de ce poste et ce dans l'intérêt de l'unité du groupe".


Début août, c'est le vice-président en charge du service éditorial, Tommy François, cité dans plusieurs témoignages comme responsable de harcèlement et tentative d'agression sexuelle, qui quitte l'éditeur :
 


"Ubisoft n'a pas été en mesure de garantir à ses collaborateurs un environnement de travail sûr et inclusif", regrette Yves Guillemot. "Ce n'est pas acceptable. Tout comportement toxique est en opposition totale avec les valeurs avec lesquelles je n'ai jamais transigé et avec lesquelles je ne transigerai pas", poursuit le dirigeant, qui "supervisera personnellement une refonte complète du mode de collaboration des équipes créatives".  

Ubisoft "a également décidé de restructurer et renforcer la fonction" ressources humaines et va faire "auditer et améliorer ses procédures et politiques" en la matière. "Je suis plus que jamais déterminé à mettre en œuvre des changements profonds afin d'améliorer et renforcer notre culture d'entreprise", conclut le PDG d'Ubisoft .

L'entreprise française, numéro 3 mondiale du secteur des jeux vidéos, emploie 18.000 salariés dans le monde, dont 22% de femmes. Parmi ses franchises à succès, elle compte les séries "Assassin's Creed", "Far Cry", "Rayman" ou encore "The Crew".

"On savait" : des témoignages qui s'accumulent

Pour Ubisoft, l'heure est à la remise en question, voire à l'introspection. Comment l'un des plus grands éditeurs de jeux au monde se retrouve-t-il au coeur d'un scandale d'agressions et de harcèlement sexuel ? 

Dès fin juin, des témoignages anonymes d'employés ou d'ex-employés d'Ubisoft étaient apparus sur Twitter, visant des cadres des studios de Toronto et Montréal, mais aussi au Brésil, en Bulgarie et aux Etats-Unis, et concernant parfois des faits remontant à plusieurs années. Une ex-employée expliquait qu'un collègue lui avait demandé une fellation lors d'une soirée alors qu'elle travaillait encore à son bureau, d'autres relataient que tel directeur créatif du studio de Montréal avait "léché le visage" d'une collaboratrice lors d'une fête d'entreprise.

"Tout le monde le sait, le connaît pour ça. Il est même valorisé pour sa toxicité, pour sa misogynie, son homophobie, sa méthode de management d’écrasement des autres. Pour son comportement libidineux permanent.", selon des témoignages d'employés désignant l'ex-numéro 2 d'Ubisoft, des propos recueillis dans le cadre d'une enquête menée par deux journalistes du quotidien français Libération . "En tant que grande cheffe des ressources humaines, Cécile Cornet était au centre de tout un système qui aurait permis à cette toxicité de perdurer, les RH protégeant les personnalités jugées essentielles au bon fonctionnement de l’entreprise au détriment des victimes qui venaient signaler des comportements nocifs", lit-on encore sur le site du quotidien

Remaniement et conséquences financières

Ubisoft a subi une perte nette de 126 millions d'euros lors de son exercice décalé 2019-2020, due notamment à une dépréciation d'actifs dans le jeu mobile, sur un chiffre d'affaires de 1,6 milliard d'euros, en chute de 14% sur un an.

Lundi 13 juillet, son action à la Bourse de Paris chutait de plus de 9% à l'ouverture. 

"On se demandera si, aussi louables que soient les déclarations faites maintenant, la direction ne savait pas, ne voulait pas savoir ou savait, mais acquiesçait à la culture de harcèlement désormais largement répandue" s'interroge un analyste sur BFMbourse.

Une culture du harcèlement que dénonce également la ministre déléguée à la diversité et à l'égalité entre les femmes et les hommes, tout nouvellement nommée, Elisabeth Moreno. Faisant part de son indignation sur son compte Twitter, elle promet la fin de l'impunité. A suivre donc.