Scandale du Mediator : le combat d'Irène Frachon

En ce début 2023 se tient le procès en appel du groupe pharmaceutique Servier dans l'affaire du Mediator, médicament antidiabétique tenu responsable de centaines de décès en France. Il y a quinze ans, c'est une femme qui permettait de révéler au grand jour cet immense scandale sanitaire : Irène Frachon. Le combat de la pneumologue brestoise nous rappelle celui de bien d'autres lanceuses d'alerte qui, comme elle, n'ont pas hésité à monter à l'assaut de multinationales ou de gouvernements.

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Irène Frachon, lors d'une audition du procès du Médiator au tribunal de Paris. Les laboratoires Servier ont été condamnés le lundi 29 mars 2021, 11 ans après que la médecin a alerté sur les dangers de ce médicament.
©Photo AP / Michel Euler
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Comment un médicament potentiellement mortel a-t-il pu être diffusé pendant trente ans sans alerter les autorités sanitaires ? La lanceuse d'alerte, Irène Frachon,  décrit son combat contre les laboratoires Servier dans Mediator, un crime chimiquement pur, aux Editions Delcourt.
©Editions Delcourt

"Est-ce qu'il va y avoir un sursaut de cette justice ? C'est évidemment ce que j'appelle de mes souhaits", s'exclame sur France Inter Irène Frachon, le jour du lancement du procès en appel du Mediator devant la cour d’appel de Paris. 

Le Mediator "n'est pas un accident", estime la pneumologue brestoise, celle-là même que certains surnomment"l’Erin Brockovich" à la française pour avoir permis de faire éclater cet immense scandale sanitaire il y a déjà 15 ans.
Et justement quinze après, "Servier a toujours pignon sur rue. Servier est toujours le sponsor majeur de manifestations scientifiques", s'indigne-t-elle. 

"Je vous supplie de faire justice", a lancé la médecin lors de son témoignage à la barre, appelant la cour d'appel de Paris à "poser les bornes" face au "cynisme" des laboratoires Servier, "au nom des victimes du monde entier". "Je n’ai pas fait ce métier pour me retrouver dans cette salle avec derrière moi, probablement, un cortège de milliers de victimes et de morts", ajoute-t-elle.

La lanceuse d'alerte vient de publier Mediator, un crime chimiquement pur avec Eric Giacometti et François Duprat aux éditions Delcourt.

Un premier procès fleuve

Le 29 mars 2021, les laboratoires Servier ont été reconnus coupables de "tromperie aggravée" et d'"homicides et blessures involontaires". Le groupe pharmaceutique est condamné à payer 2,7 millions d'euros d'amende, mais a été relaxé du délit d'"escroquerie". Jean-Philippe Seta, l'ex-numéro 2, est condamné à quatre ans d'emprisonnement avec sursis. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM, ex-Afssaps), qui a "gravement failli dans sa mission de police sanitaire", a elle été condamnée à 303.000 euros d'amende. 

Les laboratoires qui fabriquaient le Mediator, mis sur le marché en 1976 pour le traitement du diabète, mais largement prescrit comme coupe-faim ensuite, devront verser en outre des dizaines de millions d’euros aux parties civiles en réparation des préjudices subis. 

Médecin, justicière, mère, épouse

Les représentants de ce géant multinational de la pharmacie devaient bien rire lorsqu'ils ont vu débarquer, des confins occidentaux de l'Europe cette "fille de Brest" ainsi qu'ils l'appelaient avec le mépris des Parisiens pour la province, des hommes pour les femmes. 

Sorti sur les écrans français le 23 novembre 2016, le documentaire intitulé La fille de Brest est une affaire de femmes : Irène Frachon, héroïne du biopic ; Emmanuelle Bercot, réalisatrice ; et Sidse Babett Knudsen, actrice. La réalisatrice nous invite à revivre ce combat au féminin pluriel. Irène Frachon, drôle, énergique, surgit dès les premières images, de dos, masquée, tendue vers une mission qu'elle ne lâchera plus, incarnée au cinéma par l'actrice danoise Sidse Babett Knudsen, qui interpréta une Première ministre dans la série culte Borgen (cette effraction à la réalité n'est sans doute pas hasardeuse, au delà du talent de l'interprète : Irène Frachon est issue d'une famille protestante, religion dominante au Danemark, où l'on ne badine pas avec la morale)... "Un extraordinaire cadeau dira Irène Frachon" de ce choix, fan de Borgen elle-même.

Dans "La Fille de Brest", Irène Frachon est aussi une mère de famille enthousiaste, une épouse aimante, une amie attentive. Une battante qui ne rechigne pas à fleurir son langage de jurons empruntés à la gente masculine. La comédienne déborde d'admiration pour son modèle : "Là je suis devant une vraie héroïne" a-t-elle confié à France Télévision...
Une héroïne, dans la fiction cinématographique, peut-être juste un peu trop parfaite dans sa vie privée comme professionnelle....
 

La fille de Brest
Sidse Babett Knudsen est Irène Frachon : pneumologue, justicière, mère de famille, épouse...
(c) Jean-Claude Lother, Haut et Court

Sur sa route, elle croise bien sûr des confrères, mais surtout d'autres femmes : une chercheuse du même hôpital, celui de Brest ; une cardiologue membre du conseil de l'Agence nationale de la sécurité du médicament chargé d'évaluer les problèmes ; une journaliste, aussi têtue que la pneumologue du centre hospitalier de Brest ; et surtout une malade qui accepte de l'accompagne, malgré sa faiblesse et ce poison médical qui aura raison d'elle. Ces femmes-là se ressemblent dans leur spontanéité, leur humour et la vitalité qu'elles dégagent. Et, oh miracle, aucune d'entre elles n'est hystérique, ce qui change considérablement des clichés habituels. "J’étais cheffe de bande, raconte Irène Frachon. Derrière moi, il y avait des gens qui ont pris des risques incroyables."

Alors nous pensons immanquablement à Erin Brockovich (anagramme d'Irène tiens tiens), cette juriste américaine partie en guerre contre des industries qui avaient pollué l'eau potable d'une petite ville de Californie. Et dont l'histoire avait été adaptée, elle  aussi au cinéma Steven Soderbergh avec Julia Roberts dans le rôle titre. L'Américaine continue son con combat pour la sécurité environnementale... #yaduboulot

Le film est raconté du point de vue d'Irène Frachon
Emmanuelle Bercot, cinéaste

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Face à ces femmes de caractère, Emmanuelle Bercot a placé des compagnons de route, des hommes bienveillants, doux, discrets, hésitants, parfois effrayés de leur propre audace, autant de traits de caractère habituellement accolés aux femmes : un mari aux petits soins, prenant en charge le travail domestique pour laisser sa femme aller au bout de sa bataille ; un chef de service taraudé par ses contradictions, faisant deux pas en avant et un en arrière, mais finalement toujours là ; un fonctionnaire de l'ombre qui donnera le coup de pouce final avec ses statistiques froides à la véracité des hypothèses d'Irène Frachon.

Il faut que les téléspectateurs se rendent compte dans leur chair de ce que cela implique
Emmanuelle Bercot, cinéaste

Emmanuelle Bercot a choisi aussi de ne rien cacher de l'horreur des effets de ce poison légal. Les opérations chirurgicales sur des victimes atteintes de valvulopathie sont hyper-réalistes. Nous sommes dans les yeux des acteurs : chirurgiens, infirmières, assistants... Interrogée sur France Inter, la cinéaste explique ce parti pris : "Ma volonté est de rendre justice aux victimes et que cela ne soit pas abstrait pour les téléspectateurs. De visualiser ce médicament qui détruit des valves. Il faut que les téléspectateurs se rendent compte dans leur chair de ce que cela implique."

Le médiator aurait tué entre 1500 et 2000 personnes, un médicament dont la base s'apparente aux anphétamines et qui fut utilisé utilisé près de 20 ans durant dans le traitement du diabète dit "gras", associé à une surcharge pondérale excessive. Un coupe faim, en fait.

L'affaire du Mediator à retrouver sur TV5MONDEINFO.com 
> Mediator : le procès des lobbies pharmaceutiques

Aujourd'hui toujours sur la brèche, depuis Brest où elle a repris ce métier de pneumologue qu'elle aime tant, et où elle cultive l'empathie avec ses patiens, Irène Frachon s'est mise à la disposition des victimes ou de leurs proches qui demandent réparations aux laboratoires Servier d'avoir continué à mener à la mort ou à de graves handicaps des malades "soignés" par leurs enzymes tueurs en dépit des mises en garde des lanceurs d'alertes.

Ce que j’ai éprouvé ce n’est pas l’empathie habituelle du médecin pour ses patients mais l’effroi face au crime
Irène Frachon, pneumologue  

Toujours sur France Inter, de sa voix posée, Irène Frachon lâche cette accusation toujours d'actualité :  "L’affaire du Médiator ce ne sont pas des malades ce sont des gens empoisonnés. Ce que j’ai éprouvé ce n’est pas l’empathie habituelle du médecin pour ses patients mais l’effroi face au crime. Les Laboratoires Servier se comportent encore aujourd’hui comme des gangsters face avec les victimes du Mediator, en les manipulant, en les humiliant. Ces personnes ont absolument besoin de ces indemnités pour survivre."