Scandales, sexisme et culture machiste : la direction de Hockey Canada démissionne

L’affaire a fait grand bruit à l'été 2022 au Canada : en 2018, huit joueurs de hockey sur glace de l’équipe nationale junior auraient participé à un viol collectif. Une affaire à l'époque étouffée par Hockey Canada. Quatre ans plus tard, l’histoire rebondit, les Canadien•nes s'indignent et les têtes tombent.

Image
Jordin Tootoo hockey canada
Jordin Tootoo, des Blackhawks de Chicago, lors d'un match de la LNH à Boston, en septembre 2017. Jordin Tootoo est le troisième joueur de l'équipe canadienne de hockey junior masculin de 2003 à nier toute implication dans un présumé viol collectif.
©AP Photo/Winslow Townson, Dossier
Partager11 minutes de lecture

L’histoire a été révélée en mai 2022 par le réseau TSN, un média canadien spécialisé dans le sport. L’agression serait survenue en juin 2018 dans un hôtel de London, en Ontario, après la tenue d’un gala de la Fondation d’Hockey Canada et un tournoi de golf en l'honneur de l’équipe canadienne de hockey junior, victorieuse au championnat du monde quelques mois auparavant.

La jeune femme, alors âgée de 20 ans, aurait rencontré l’un des joueurs dans un bar et l’aurait suivi dans sa chambre d’hôtel où ils ont eu un rapport sexuel. La plaignante allègue qu’il a par la suite fait entrer sept de ses coéquipiers dans la chambre et qu’ils l’ont agressée sexuellement à répétition. Elle soutient avoir été retenue de force alors qu’elle tentait de sortir de la chambre. La jeune femme dépose une poursuite pour 3,55 millions de dollars contre Hockey Canada en avril 2022. L’entente à l’amiable avec la présumée victime se conclut en mai 2022.

A noter que les enquêtes menées par la police et par Hockey Canada dans les mois qui ont suivi la présumée agression n’ont débouché sur rien. Selon une information diffusée par Hockey Canada, la victime n’avait jamais communiqué avec les autorités. Or dans une première sortie publique depuis que l’affaire a été mise au jour, la jeune femme maintient avoir bel et bien porté plainte à la police de London...

Fonds dédié aux "ententes à l'amiable"

La Presse canadienne révèle également, le 18 juillet 2022, qu’Hockey Canada disposait d’un fonds de plusieurs millions de dollars qui servait justement à régler à l’amiable des poursuites intentées contre la fédération, notamment des accusations de nature sexuelle. Ce fonds était puisé dans les montants d’inscription au hockey mineur, et non dans les subventions que versent le gouvernement canadien, ce qui permettait à l’organisme de ne pas rendre de compte.

Hockey Canada confirme l’existence de ce fonds, qui sert à couvrir "un large éventail de dépenses liées aux initiatives de sécurité, de bien-être et d'équité dans l'ensemble de la fédération. Le fonds est également utilisé pour payer les primes d'assurance de l'organisation et pour couvrir toute réclamation non couverte par les polices d'assurance, y compris celles liées aux blessures physiques, au harcèlement et à l'inconduite sexuelle" est-il précisé dans le communiqué de Hockey Canada.

Hockey Canada sur la sellette

A mesure que les jours passaient, apportant leur lot de révélations, l’étoile de Hockey Canada ne cessait de pâlir et les grandes entreprises retiraient leur commandite soit à la Fédération, soit au championnat du monde de hockey junior. En juin 2022, le gouvernement canadien a aussi suspendu ses subventions à la fédération et a réclamé un audit sur l’organisme. Les fédérations provinciales, elles, demandaient des comptes : 

La Fédération internationale de hockey sur glace, la IIHF, de son côté, ouvrait une enquête sur ces affaires : "L'IIHF a été informée par Hockey Canada du règlement en mai 2022 et a commencé une enquête pour obtenir des informations supplémentaires sur les cas et les mesures prises par Hockey Canada pour y remédier, selon le communiqué. Ce sont des incidents profondément troublants que l'IIHF prend extrêmement au sérieux".

Hockey Canada rétropédalait frénétiquement : l’organisme annonçait qu’il allait rouvrir son enquête sur l’affaire du présumé viol collectif de 2018 et que tous les joueurs devront répondre aux questions des enquêteurs – lors d’une première enquête, ils n’avaient pas d’obligation à répondre. La Fédération annonçait également qu’elle ne se servirait plus de son fonds de réserve pour régler les plaintes d’agression sexuelle.

Enfin précisons que dans la foulée de cette affaire, on a appris qu’une autre histoire d’un présumé viol collectif avaient eu lieu en 2003, impliquant des joueurs qui participaient au Championnat du monde junior à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Devant les Parlementaires canadiens

L'affaire a rebondi fin juillet 2022 devant le Comité permanent du Patrimoine canadien de la Chambre des Communes à Ottawa. Pendant deux jours, des parlementaires canadiens ont passé sur le grill les dirigeants de Hockey Canada et autres organismes liés au hockey au Canada. Parmi la brochette de dirigeants alignés devant eux, certains ont fait remarquer qu’il n’y avait aucune femme...

Les députés n’ont pas caché leur indignation durant ces audiences, remettant notamment en question le leadership du grand patron de Hockey Canada, Scott Smith. Une pétition était lancée, appelant à son départ, entre autres appels à la démission. 

S'il avait présenté ses excuses pour ne pas avoir su "gérer cette affaire de façon adéquate", le patron de Hockey Canada déclarait qu’il n’avait pas l’intention de démissionner. Il disait avoir toutes les compétences et l’expérience pour mener à bien les réformes qui s’imposent dans son organisation. Je veux, déclarait-il, prendre "des actions pour mettre fin à la culture du silence qui permet aux comportements toxiques et au sexisme de s'enraciner dans les recoins de notre sport". Et il disait être là pour "mener ce changement".

Démission du président du conseil d'administration

C'est finalement le président du conseil d'administration de Hockey Canada, Michael Brind'Amour, qui remettait sa démission, tard dans la journée du 5 août 2022. Il l'avait annoncée dans une lettre adressée à Hockey Canada : "J’ai écouté attentivement les commentaires des Canadiennes et des Canadiens concernant la culture de notre sport, celle de notre organisation, nos actions et notre leadership. Je comprends que nos mesures prises dans les dernières semaines font partie de la solution. Mon ultime mandat se termine en novembre 2022 et je sais qu’il est inutile d’attendre avant d’entamer une nouvelle ère."

"Il est temps qu'ils partent"

Près de trois mois plus tard, le vent a tourné. Bousculée sur le plan politique et économique, la Fédération est lâchée de toute part par de nombreux sponsors à l'instar de la chaîne de restauration Tim Hortons, Nike ou encore la Banque Scotia. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau a ouvert la porte à un remaniement au plus haut niveau de l'organisation : "Il est temps qu'ils partent !", a-t-il déclaré il y a quelques jours devant des journalistes.

Le 11 octobre 2022, la Fédération canadienne de hockey annonçait finalement la démission de Scott Smith, et de l'ensemble de son conseil d'administration : "Reconnaissant le besoin urgent d'un nouveau leadership et de nouvelles perspectives, le conseil d'administration a annoncé qu'il se retirait", indique l'organisation dans un communiqué.

Qui savait ?

Les audiences au Parlement ont aussi révélé qu’en fait, Sport Canada a été mis au courant de cette histoire de présumé viol collectif en 2018, mais que l’organisation fédérale n’a pas fait de suivi auprès de Hockey Canada. La ministre canadienne des Sports, Pascale St-Onge, dit de son côté n’avoir été informée de cette affaire qu’en mai dernier. Elle reconnait qu’il y a eu un manque de communication et elle assure qu’elle va faire tout en son possible pour changer la culture au sein de Hockey Canada : "J'ai l'intention d'utiliser tous les outils qui sont à ma disposition pour forcer le changement de culture nécessaire, entre autres chez Hockey Canada," a déclaré la ministre.

Les violences sexuelles et la misogynie sont profondément enracinées dans le hockey masculin.
Lettre ouverte de scientifiques à la ministre des Sports

Pascale St-Onge appelle tous les athlètes, les parents et les responsables de fédérations à dénoncer toute forme de harcèlement, agressions ou autres abus : "Ce sont leurs voix que je cherche à amplifier avec mon travail, et je mets toutes mes énergies à renforcer le système et à appeler au leadership de tous les intervenants du sport canadien pour prendre action et mettre un terme à cette culture dans le sport pour assurer la santé et la sécurité des athlètes".

Justin Trudeau indigné

De son côté, le Premier ministre Trudeau s’est dit outré par la décision de Hockey Canada de se servir de ce fonds de réserve pour régler des poursuites d’agressions sexuelles : "Je pense qu'en ce moment, il est difficile pour quiconque au Canada d'avoir foi ou confiance en qui que ce soit à Hockey Canada. Ce que nous apprenons est absolument inacceptable" a déclaré le Premier ministre canadien, qui réclame un "examen de conscience sincère" de la part d’Hockey Canada afin de regagner la confiance de la population.

Pression machiste

Une population elle aussi choquée. Car le hockey sur glace, au Canada, ce n’est pas un sport, c’est une religion. Pour beaucoup de Canadien-nes, les joueurs sont des dieux vivants – des dieux qui sont en train de dégringoler de leur piédestal.

Un groupe de 28 scientifiques a envoyé une lettre ouverte à la ministre canadienne des Sports. Une lettre au titre sans équivoque : "Les violences sexuelles et la misogynie sont profondément enracinées dans le hockey masculin". La lettre renvoie à des dizaines d’articles récents écrits par des psychologues, sociologues, historiens, kinésithérapeutes, spécialistes de l’enseignement d’éducation physique... Ils disent tirer la sonnette d’alarme depuis des années sur cette culture machiste qui continue de régner dans le monde du hockey masculin : "Les incidents au hockey ne sont pas causés par quelques pommes pourries ; ils témoignent de problèmes systémiques et sont symptomatiques d’une culture enracinée dans le hockey et dans d’autres sports canadiens". Ils dénoncent l’inaction des autorités pour mettre fin à ce fléau : "Les leaders et l’industrie du sport ont accepté que la violence sexuelle soit largement répandue".

Cette culture machiste, d’hyper masculinité et d’hyper sexualité pèse sur les jeunes hommes qui ont beaucoup de pression pour s’y conformer et craignent des conséquences s’ils osent dénoncer des agressions et briser la loi du silence qui règne dans le milieu. "Ces problèmes ne sont pas rares : ils sont endémiques" conclut la lettre.

Un ancien hockeyeur témoigne

Un ex-gardien de but qui a joué dans la ligue de hockey junior en Ontario confirme ces tristes constats : dans une entrevue à la radio anglaise de Radio-Canada, Brock McGillis raconte comment, entre 2001 et 2002, son expérience dans les vestiaires lui a fréquemment donné envie de s’enlever la vie. Le jeune homme, qui a révélé son homosexualité en novembre 2016, dénonce le machisme dans le monde du hockey : "L’impact d’être gay dans cet environnement, en cachant qui j’étais, en voulant être comme les autres gars qui couraient après les filles, et l’effet que cela a eu sur moi... Honnêtement, je rentrais à la maison et j’essayais de me suicider".

Il n’y a pas de place pour être différent.
Brock McGillis, ancien hockeyeur

Brock McGillis dénonce également le manque de diversité dans cet univers, la majorité des joueurs sont des blancs, issus de la classe moyenne ou élevée, et hétérosexuels : "Les gens s’habillent de la même façon, parlent de la même manière, peu importe que cela corresponde à ce qu'ils sont ou pas. Il n’y a pas de place pour être différent. Et si vous l’êtes, vous êtes ostracisé".

Lentement, vous voyez des propos et des comportements qui mènent au racisme, à la misogynie et à des agressions sexuelles.
Brock McGillis, ancien hockeyeur

L’ancien joueur rapporte que les propos misogynes, homophobes, et racistes sont donc régulièrement entendus dans les vestiaires : "Lentement, vous voyez des propos et des comportements qui mènent au racisme, à la misogynie et à des agressions sexuelles". Et selon Brock McGillis, ce ne sont pas les adultes qui entourent ces jeunes qui peuvent intervenir pour les recadrer, car ils sont issus de cette même culture. Il donne l’exemple des entraîneurs : "Typiquement, les gens du hockey génèrent des enfants du hockey. Les parents qui sont issus de la culture du hockey inscrivent leurs enfants au hockey. Ça devient quelque chose d’acquis et une culture normalisée". Brock McGillis milite depuis plusieurs années pour contrer l’homophobie dans le monde du hockey.

Homophobie, racisme, sexisme, machisme, misogynie, hyper masculinité, hyper sexualité, comportements toxiques… Il est temps de faire un grand ménage dans le monde du hockey masculin au Canada !