#SciencesPorcs : de grandes écoles françaises mises en cause suite à des accusations de violences sexuelles

Dénonciations de violences sexuelles dans plusieurs Instituts d'études politiques, enquête pour viol à Sciences Po Toulouse, démission du directeur de Sciences Po Paris, accusations de harcèlement et violences à l'Ecole nationale supérieure d’architecture de Montpellier... Une vague #MeToo déferle sur le monde universitaire en France, avec des mots-dièse comme #SciencesPorcs.
 
Partager9 minutes de lecture

Culture du viol, lâchons le mot, car c'est bien de cela dont il s'agit, et ce sont de prestigieuses institutions qui en sont le théatre. Plusieurs Instituts d'études politiques (IEP)se retrouvent secoués en ce début février par de nombreux témoignages d'étudiantes faisant état de violences sexuelles : une enquête préliminaire a été ouverte pour viol à Toulouse, deux pour agressions sexuelles à Grenoble et un signalement à la justice à Strasbourg.

#SciencesPorcs : le "J'accuse" des étudiantes

Ces étudiantes racontent comment elles ont été victimes ou témoins de violences sexuelles, y compris de viols, à travers des messages sur les réseaux sociaux avec le mot-dièse #SciencesPorcs qui s'inspire de #balancetonporc, lancé en octobre 2017.

A ce jour, la seule enquête préliminaire pour viol est instruite à Toulouse après le dépôt d'une plainte le 6 février. "À ce stade, il est prématuré d'avancer que d'autres faits similaires en lien avec cette affaire auraient pu être portés à la connaissance des enquêteurs, qui vont s'attacher sans délai à finaliser leurs investigations", précise le procureur Dominique Alzeari.

Soirée "d'intégration" à risque ?

Olivier Brossard, directeur de l'IEP de Toulouse, a donné des détails lors d'une conférence de presse: "Les faits remontent à septembre 2018, dans le contexte d’une soirée "d’intégration", censée être festive et bienveillante, où les nouvelles générations sont prises en charge par les plus anciennes... Je ne connais pas le lieu, mais ce n’était pas dans les bâtiments de l’IEP à ma connaissance". 

Dans un premier temps la jeune femme de 20 ans a souhaité rester anonyme. Fin décembre, la victime est venue voir le responsable de Sciences Po Toulouse et a donné son identité. Elle a alors été prise en charge et "nous l’avons incitée à nous donner le nom de l’agresseur et un témoignage écrit", explique Olivier Brossard.

Mais "ce n’est que hier (8 février, ndlr) que j’ai appris l’identité de l’agresseur présumé, poursuit Olivier Brossard. Des mesures de protection, l'interdiction d'accès au bâtiment, ont été déclenchées" dans la foulée. Selon lui, "aucune autre dénonciation, concernant des victimes ou des agresseurs présumés, ne nous a été signalée à ce jour".

Toulouse, Grenoble, Strasbourg...

Le directeur indique toutefois "avoir de sérieuses préoccupations autour des CRIT (rendez-vous sportifs annuels des différents IEP). Il y a déjà eu des débordements -des chants avec des propos inadmissibles, beaucoup d’alcoolisation… L’IEP n’en est pas l’organisateur, on subventionne seulement les associations qui les organisent et cette année j’ai décidé que l’IEP de Toulouse ne le subventionnerait pas", ajoute Olivier Brossard.

A Grenoble, le procureur Eric Vaillant indique, pour sa part, avoir reçu "deux signalements d’agression sexuelle par la direction de Sciences Po Grenoble les 25 janvier et 8 février 2021". Des enquêtes ont été immédiatement ouvertes. "Nous ne nions pas ces agissements, mais bien souvent nous ne les connaissons pas", souligne de son côté Jean Philippe Heurtin, directeur de l’IEP de Strasbourg. Depuis la rentrée, deux cas ont été portés à sa connaissance. Dans le premier, après enquête interne "il s'est avéré qu'il n'y avait pas matière à une qualification de violences sexistes ou sexuelles. Le deuxième cas a occasionné un signalement au procureur pour des faits qui pourraient s'apparenter à un crime"ajoute-t-il.

Cellule de veille et d'écoute pour les victimes

A la suite de la publication de nombreux témoignages dans un groupe Facebook, la direction de l’IEP Bordeaux a "salué le courage" de celles et ceux qui ont témoigné mais relevé qu’une "cellule de veille et d’écoute" mise en place courant 2018 avait reçu sur cette période 20 signalements de tous ordres dont quatre pour violences sexistes et sexuelles. Sur ces quatre cas, un seul a eu lieu dans le cadre même de Sciences Po : un cas de harcèlement par sexto. L’auteur, qui ne faisait pas partie du personnel permanent de l’IEP, a été licencié par son employeur.

Plusieurs responsables politiques ont apporté leur soutien à cette vague de dénonciations sur les réseaux sociaux. La ministre chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa a invité les victimes à "signaler ces crimes" sur la plateforme du gouvernement contre les violences sexistes et sexuelles, arretonslesviolences.gouv.fr.

Par ailleurs,  la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal et Elisabeth Moreno, ministre déléguée  chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, ont échangé ce 9 février avec les directeurs des Instituts d’Études Politiques. "Je vais demander à l'inspection générale de se déplacer dans les différents IEP pour voir quel sont les dispositifs existants" pour lutter contre le phénomène et voir "comment on peut les améliorer concrètement", a dit Frédérique Vidal à la presse à l'issue de cet échange. "Il est essentiel que la parole se libère mais aussi que la justice soit faite", a-t-elle ajouté. "Il est temps que l'omerta soit levée, il est important de dire à cette jeunesse qu'elle n'est pas seule", a aussi déclaré Mme Moreno.

Sciences Po Paris : démission du directeur

Sur la toile de fond des témoignages et accusations qui secouent les IEP de province, le directeur de Sciences Po Paris, Frédéric Mion, a présenté le 9 février sa démission, après une série de révélations qui ont accru la défiance à son encontre au sein de la prestigieuse institution. Les étudiants de l'Institut d'études politiques de la rue Saint-Guillaume (7e, à Paris) reprochaient à leur directeur d'avoir nié être au courant des agissements d'Olivier Duhamel, président démissionnaire de la Fondation nationale des Sciences politiques (FNSP) qui chapeaute Sciences Po. Le  politologue est accusé par sa belle-fille Camille Kouchner d'avoir violé son frère jumeau quand il était adolescent.

Après avoir fait part de sa stupeur au moment de ces révélations, Frédéric Mion avait ensuite admis auprès du journal Le Monde avoir été alerté en 2018 par l'ex-ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, des accusations d'inceste visant Olivier Duhamel, provoquant des appels à démission. Il a néanmoins expliqué qu'un proche d'Olivier Duhamel lui aurait certifié que les rumeurs étaient sans fondement.

Le ministère de l'Enseignement supérieur avait annoncé mi-janvier le lancement d'une inspection pour établir les responsabilités et d'éventuelles failles au sein de l'école sur cette affaire. Si le rapport provisoire "confirme qu’aucun système de silence concerté ou de complaisance n'a existé au sein de notre établissement", il "pointe toutefois de ma part des erreurs de jugement dans le traitement des allégations dont j’avais eu communication en 2018, ainsi que des incohérences dans la manière dont je me suis exprimé sur le déroulement de cette affaire après qu’elle a éclaté", écrit Frédéric Mion dans un message adressé ce 9 février à la communauté éducative et aux étudiants de Sciences Po. 

Les étudiants "soulagés"

Courant janvier 2021, Frédéric Mion faisait comprendre à des journalistes qu'il prendrait la décision de démissionner seulement si le rapport d'enquête le mettait directement en cause. Selon son entourage, il aurait songé à partir dès que les accusations d'inceste sont sorties dans la presse, mais il en aurait été dissuadé par plusieurs membres de son équipe de direction. S'il se sentait plutôt soutenu en interne, depuis le début de l'affaire des centaines d'étudiants, professeurs et salariés de Sciences-Po réclamaient sa démission, après ses différents "mensonges".

"Je ressens beaucoup de soulagement après six semaines de mobilisation et de découverte des dessous de l'affaire Mion-Duhamel", réagit Luka, un membre du collectif "Mion démission". "Sciences Po va pouvoir devenir un espace plus 'safe' pour la libération de la parole des victimes de violence sexuelle".

Bénédicte Durand, directrice par intérim

C'est la directrice de la formation initiale de Sciences Po Paris, Bénédicte Durand, qui est nommée administratrice provisoire de l'école après la démission de Frédéric Mion. Cette nomination, "jusqu’à la désignation d'un nouveau directeur", a été décidée par la ministre Frédérique Vidal après "échange avec le président par intérim de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) Louis Schweitzer", lui-même récemment nommé en remplacement d'Olivier Duhamel.

Harcèlement à l'ENSAM Montpellier

Une enquête préliminaire a été ouverte fin 2020 portant sur des faits de harcèlement moral et de possibles violences sexuelles ou sexistes visant des étudiants, des enseignants ou des personnels administratifs de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Montpellier (ENSAM), comportements dénoncés par une vingtaine de personnes. Un climat délétère au sein de l'école avait déjà été dénoncé en mai par le site local d'information Le D'Oc, se basant sur les conclusions d'un pré-rapport sur les risques psycho-sociaux dans l'établissement. 

"A la suite de l’enquête administrative sur de présumés propos et comportements à connotation de harcèlement moral et de possibles violences sexistes et sexuelles, le ministère de la Culture met en oeuvre l’ensemble des procédures disciplinaires et signalements nécessaires. Une attention particulière sera portée aux dispositifs d’alerte, de soutien psychologique et de prévention", explique dans un communiqué la ministre de la Culture Roselyne Bachelot. Elle a désigné ce 10 février une haute fonctionnaire de la Culture, Anne Matheron, pour gérer durant au moins quatre mois l'ENSAM, secouée par une affaire de harcèlements présumés et y restaurer "un climat d'étude serein".
Anne Matheron a accompli sa carrière au ministère de la Culture et a été administratrice du Centre des monuments nationaux (CMN).