«
14 décembre 1974, j'aime Dan, j'aime Dan », répète Claire, 50 ans, en lisant, inspirée, son cahier à spirale. Elle reprend : «
Aujourd'hui, au lycée, nos regards se sont croisés. J'aurais voulu lui dire : Dan, je t'aime. » L'auto-dérision de Claire entraîne le public dans un fou rire général. Nous sommes au premier étage d'un pub au coeur de Londres. Ce soir, la Cringe party ("to cringe" signifie "ne plus savoir où se mettre") fait une nouvelle fois salle comble. Les huit intervenants qui se succèdent sur scène n'ont pas peur d'avoir honte. Au contraire, ils sont là pour ça !
De carnets rescapés à la scène londonienne C'est par accident, en aidant ses parents à déménager que Sarah Brown, une Américaine de 32 ans, tombe sur ses vieux carnets. «
C'était tellement mauvais et exagéré que je me suis dit qu'il fallait que j'en fasse quelques chose... J'ai tout de suite eu envie d'en lire des extraits embarrassants à des amis », raconte Sarah. C'est ainsi que la première Cringe party voit le jour en 2005, dans l'arrière-salle d'un bar de Brooklyn. La mayonnaise prend et Sarah encourage d'autres protagonistes aux carnets honteux à s'emparer du micro. N'importe qui peut participer, le principe est simplissime : «
Les volontaires me font part d'un thème qu'ils veulent aborder et j'arrange l'ordre de passage. Je ne lis pas les extraits avant. J'adore les surprises ! », explique Sarah qui en 2009 décide d'exporter le concept dans les pubs londoniens.
L'humour et la nostalgie : moteurs des cringe parties Mais quelles raisons peuvent pousser des adultes, hommes et femmes de tous âges et milieux à exposer sur scène leurs secrets à des inconnus ? «
Le sens de l'humour, être capable de rire de l'adolescent qu'on a été, de ses sautes d'humeur, de ses émotions exacerbées et des moments de solitude et de détresse... », analyse Sarah. Un avis que partage Sian Lincoln, docteur en sociologie à l'université John Moore de Liverpool. «
C'est la nature collective des expériences vécues à l'adolescence qui fait le succès des Cringe parties, particulièrement dans la société britannique où la nostalgie tient une place importante », analyse-t-elle.
L'effet libérateur Une fois les détails de son premier baiser avec Dan - dans les buissons d'un parc, après quelques cannettes de bière - exposés, Claire laisse le micro à Steve, 27 ans. Des toilettes de la pizzeria à la cabane de jardin, il raconte en détail ses séances de masturbation. Le public est mort de rire. Pourquoi est-il là ce soir ? «
Je dois avoir un petit côté exhibitionniste », avoue-t-il. Comment se sent-il après ? «
Je ne sais plus trop où me mettre... Mais en même temps, je me sens libéré. » L'aspect performance sur scène est en effet primordial selon Sian : «
Il permet de raviver des expériences et des émotions que l'on a tous connues. » C'est d'ailleurs sur une belle touche d'émotion qu'Adam, 60 ans, boucle la soirée en lisant une histoire d'amour platonique avec une jeune fille dont il effleure le genou, sur un ferry, dans les années 60. Les larmes montent aux yeux des spectateurs. Pendant un instant, l'adolescence perd son ridicule.
La prochaine cringe party londonienne se déroulera le 29 novembre prochain.