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"Ce je propose moi, c'est que Mr Tout le Monde puisse prendre sa part du progrès général !". En 1980, le film La Banquière de Francis Girod racontait l'histoire, de l'ascension à sa chute, de Marthe Hanau, femme d’affaires surnommée "la banquière des années folles". Rare femme -pour ne pas dire unique- patronne de banque, elle fut impliquée dans un important scandale financier, ce qui causa sa perte. Un personnage formidablement incarné à l'écran par Romy Schneider.
Un siècle plus tard, le plafond de verre résiste bien au temps : peu de femmes figurent parmi les heureuses élues aux postes de direction. Et si ce constat peut être dressé dans diverses industries, cela se voit d'autant plus que la banque est un secteur qui compte plus de femmes que d'hommes. Selon la Fédération bancaire française (FBF), 57% des effectifs des quelque 350.000 salarié-e-s sont des femmes. Mais le rapport s'inverse chez les cadres et s'accentue à mesure que grossissent les responsabilités et le salaire. Seuls 32% des plus hauts cadres bancaires sont des femmes, un pourcentage cependant nettement plus élevé qu'en 2012 (24%).
Sur le site histoire BNP-Paribas, un article nous apprend par exemple qu'en 1909, "les femmes, souvent des jeunes filles instruites de classes moyennes, qui se trouvent dans la nécessité de travailler, représentent un dixième du personnel central du Crédit foncier. En 1914, elles comptent pour environ 25 % du total de l’effectif parisien du Comptoir national d’escompte de Paris (CNEP), soit près de 700 sur 3000". Le texte précise que ces chiffres cachent une disparité de statuts : "les femmes ont un salaire inférieur à celui de leurs collègues masculins et ont des conditions de travail très précaires. Au service des coupons par exemple, elles peuvent être engagées la veille des jours des grands paiements et être congédiées aussitôt après". Selon les chiffres de 2020, les femmes représentaient 52% de l’effectif total du Groupe BNP Paribas et 31% d’entre elles occupaient des postes de senior manager.
En 2023, les banques Société Générale et Crédit Agricole comptent chacune une femme, Diony Lebot et Valérie Baudson, parmi leurs 12 directeurs généraux délégués et adjoints. Aucune au sein de BNP Paribas et de Crédit Mutuel Alliance fédérale.
Pour rappel, cette citation de Christine Lagarde prononcée dix ans après la faillite de la banque d'affaires américaine et reprise dans le journal Les Echos, invite à la réflexion. Elle était alors directrice du FMI : "Si Lehman Brothers s'était appelée Lehman Sisters, le monde serait bien différent aujourd'hui". Aujourd'hui à la tête de la Banque centrale européenne, celle qui milite pour l'instauration des quotas, faisait alors un "lien direct entre l'éclatement de la crise financière et la trop rare présence de femmes à la tête des grands établissements".
Notre article ►Christine Lagarde : "Sans quotas, il faudrait 140 ans pour arriver à la parité !"
Les banquiers sont-ils donc d'irréductibles machistes ? Non, répond le professeur de management à l'université de Genève et chercheur affilié à Skema business school Michel Ferrary, qui avance l'argument de la formation, la finance à haut niveau restant très "matheuse" et dépendante d'un vivier d'écoles d'ingénieurs très peu féminisé.
Et "pour arriver au sommet de grands groupes, la mobilité internationale est clé", ajoute-t-il, interrogé par l'AFP, une mobilité souvent freinée par des contraintes familiales plus pesantes pour les femmes, selon lui.
Les banques, comme l'ensemble des entreprises de plus de 1.000 salariés, devront se conformer aux quotas prévus à partir du 1er mars 2026 par la loi Rixain, sous peine de sanctions financières. Ce texte voté fin 2021 impose un minimum de 30% de femmes parmi les "cadres dirigeants" et au sein des "instances dirigeantes" des entreprises (comité exécutif, comité de direction, etc.), puis 40% à partir du 1er mars 2029.
Il s'inscrit dans le sillage de la loi Copé-Zimmermann de 2011, qui impose un minimum de 40% de femmes autour de la table des conseils de surveillance et d'administration.
@LesEchos @Mljr75112 Pragmatiques, les comex s'élargissent pour mieux se féminiser. "Faire de la place" aux femmes dans les comités exécutifs répond à l'urgence d'accélérer l'égalité économique et professionnelle édictée par la loi @RixainMP pic.twitter.com/jAASvUFQh6
— Agnès Bricard (@AgnesBricard) September 29, 2022
La plupart des établissements bancaires sont déjà dans les clous des premières exigences de la loi Rixain. Mais à y regarder de plus près, les femmes qui se hissent aux premières loges sont souvent cantonnées à des directions dites "fonctionnelles" comme les ressources humaines, la RSE, le juridique ou la communication, moins écoutées dans les décisions stratégiques que les grands métiers apporteurs d'affaires.
La banque LCL en est un exemple: un comité exécutif composé de neuf personnes, dont deux femmes en charge des finances et du juridique pour la première, des ressources humaines pour la seconde.
Pour Floriane de Saint Pierre, présidente de la plateforme de données dédiées à la gouvernance d'entreprise Ethics & Boards, la loi Rixain "accélère la féminisation des comités exécutifs", une étape indispensable avant d'avoir un jour une femme directrice générale.
Notre article ►Des quotas pour plus de femmes dans les directions d'entreprises en France
Les nominations récentes ne traduisent pour l'instant qu'un léger frémissement en ce sens. Celles du mois de février 2023 aux directoires de BPCE (pour Banques populaires et Caisses d'épargne), et de la Banque postale permettront à BPCE d'atteindre la parité (deux sur quatre avec l'arrivée le 1er avril d'Hélène Madar, qui rejoint Béatrice Lafaurie) et à la Banque postale les 40%, avec l'arrivée de Perrine Kaltwasser.
Une percée récente est visible au sommet dans les métiers de la banque de détail (Marguerite Bérard chez BNP Paribas, Marie-Christine Ducholet chez Société Générale, Marion Rouso à la Banque postale) ainsi que dans la finance de marchés (Stéphanie Paix chez Natixis, Valérie Baudson chez Amundi).
Mais le plafond de verre demeure solide pour la plus haute fonction, contrairement à l'Espagne (Ana Botin dirige le géant européen Santander) ou au Royaume-Uni (Alison Rose chez NatWest).
BPCE et Société Générale ont choisi l'an dernier de désigner à leur tête des hommes, respectivement Nicolas Namias et Slawomir Krupa. Au rang des finalistes, aucune femme. Si la fédération professionnelle a pour directrice générale Maya Atig, elle reste présidée par le grand patron du Crédit Agricole, Philippe Brassac.
Selon une étude réalisée par Financi’Elles (fédération de réseaux de promotion
de la mixité du secteur de la banque, de la finance et de l’assurance) et Deloitteétude en 2014, seuls 49 % des hommes et 41 % des femmes interrogé-e-s estiment que la politique de leur entreprise en matière de féminisation des effectifs, notamment aux plus hauts niveaux hiérarchiques, est suffisante. Quant à l'égalité, si 87 % des hommes ont le sentiment d’être traités à l’égal des femmes, seules 57 % des femmes partagent cet avis.
Pour rappel, en France, ce n'est que depuis le 13 juillet 1965 qu'une femme peut travailler sans l'accord de son mari et ouvrir un compte en banque à son nom propre.