Fil d'Ariane
Les sociétés des journalistes de grands médias français et plusieurs syndicats condamnent des déclarations "inappropriées" et "sexistes" d'Eric Dupond-Moretti. Selon l'entourage du ministre de la Justice, ces propos sont "sortis de leur contexte".
"Je constate que parmi les journalistes femmes qui m’ont interrogé, personne n’était devant moi les seins nus, hein. Il ne faisait pas assez chaud ? » aurait déclaré Eric Dupond-Moretti, lors d'une conférence de presse à Aurillac (centre de la France).
"Je constate que parmi les journalistes femmes qui m'ont interrogé, personne n'était devant moi les seins nus, hein. Il ne faisait pas assez chaud ?". Ces propos prononcés par le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti provoquent un tollé, en premier lieu au sein des rédactions de plusieurs médias français.
La scène a eu lieu lundi 28 août au cours de la visite du ministre de la Justice à Aurillac, dans le centre de la France. Ce dernier était venu dans cette ville du Cantal pour condamner les lourdes dégradations commises au tribunal en marge d'une manifestation qui avait réuni quelques jours plus tôt de nombreuses femmes seins nus. Ce rassemblement avait été organisé en soutien à Marina, poursuivie pour "exhibition sexuelle" après s'être promenée ainsi dans la ville.
La jeune femme avait expliqué à la presse locale avoir eu "hyper chaud" et avoir voulu faire "comme la moitié des hommes" qui se promenaient torses nus dans la ville à l'occasion du festival de théâtre de rue. Interpellée par des policiers qui lui demandaient de remettre son tee-shirt, elle leur a alors répondu : "Vous demanderiez la même chose aux hommes ?". Marina se fait alors interpeller par la police. On lui signifie qu'elle est poursuivie pour délit d'"exhibition sexuelle", un délit passible d'un an de prison et d'une amende de 15 000 euros.
Les propos du Garde des Sceaux, adressés à l'issue d'un point presse "à plusieurs journalistes dont deux consoeurs de la rédaction", sont "inappropriés", s'est indignée la SDJ de BFMTV.
Des "propos sexistes" et "inacceptables", même "sous la forme d'une plaisanterie", qui "plus est, dans la bouche d'un ministre". Communiqué SDJ de TF1
Dans la foulée, la SDJ de TF1 a condamné ces "propos sexistes" tenus devant son "équipe de tournage", les jugeant "inacceptables", même "sous la forme d'une plaisanterie", qui "plus est, dans la bouche d'un ministre".
De son côté, Eric Dupond-Moretti déplore "une polémique qui n'a pas lieu d'être", a indiqué son entourage à l'AFP, invoquant sa détermination "totale" pour "lutter contre tout type de violences sexuelles et sexistes". "Le ministre regrette qu'alors qu'un tribunal a failli brûler du sol au plafond", des "propos soient sortis de leur contexte pour lui prêter des intentions qui ne sont pas les siennes".
Son entourage a tenu à préciser le déroulement de la scène. Le ministre aurait d'abord constaté que les journalistes n'étaient pas "seins nus", "signifiant par-là que le respect de la loi était la norme". Puis une personne dans la salle a lancé : "il ne faisait peut-être pas assez chaud ?" Ce à quoi le ministre aurait répondu: "Il ne faisait pas assez chaud ? Ca vous va bien de dire ça vous, vous êtes un homme".
La condamnation de ces propos partagée par nombre de médias, a suscité de nombreux commentaires, aussi bien du côté des militantes féministes qu'au sein de la sphère politique, largement relayés sur les réseaux sociaux.
La société des journalistes et du personnel du quotidien Libération a fustigé des propos "choquants", témoignant son "soutien aux consoeurs visées", tout comme la SDJ de Mediapart et la société des rédacteurs du Monde. Plusieurs syndicats -SNJ, CGT et CFDT- ont également publié un communiqué commun pour condamner ces propos.
"Propos inappropriés, ministre inapproprié", a tancé le patron du PS, Olivier Faure. "Qu'il gère sa libido ailleurs qu'au gouvernement", a-t-il ajouté.
"Quelle finesse. Quelle éloquence. Quelle galanterie. Quel homme. Quel ministre", a ironisé la militante féministe Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes.
"La loi (condamnant l"exhibition sexuelle, ndlr) en tant que telle, ne différencie pas les femmes des hommes. L'appréciation se fait au cas par cas par le juge", explique l'avocate de Marina, interviewée par le média en ligne Loopsider. "La question qui se pose ensuite, c'est 'est-ce-qu'on considère que le corps d'une femme et le fait qu'elle soit seins nus, a une connotation plus provocante que le fait qu'un homme, lui, soit seins nus".
En 2013, la militante féministe Éloïse Bouton, membre des Femen, avait été reconnue coupable d'"exhibition sexuelle" pour s'être affichée seins nus dans La Madeleine, célèbre église du 8e arrondissement de Paris. Elle avait écopé d'un mois de prison avec sursis. Neuf ans plus tard, la Cour européenne des droits de l'Homme a ordonné à l'État de lui verser 10.000 euros de dommages et intérêts au nom de la liberté d'expression.
Trois autres militantes Femen avaient été condamnées en appel à des peines de prison avec sursis à Paris en 2021 pour "exhibition sexuelle", parce qu'elles avaient dévoilé leurs poitrines au passage du convoi de Donald Trump sur les Champs-Elysées le 11 novembre 2018. Ces militantes féministes se servent régulièrement de leurs torses pour y peindre des slogans en défense des droits des femmes et contre les violences qui leur sont faites.
Une militante Femen manifeste seins nus sur un pont de Paris le jour de la St Valentin, en 2020, pour dénoncer les violences sexuelles et les féminicides avec ce slogan peint sur la poitrine "Je ne t'aime pas à en mourir".
Quatre femmes assassinées en quatre jours, un type en cavale mais on nous parle de nos seins et des abayas... Andréa Bescond, comédienne et réalisatrice
En résonnance avec cette polémique autour des seins nus d'Aurillac, la comédienne Andréa Bescond a décidé de lancer un coup de gueule en vidéo sur son compte Instagram. La réalisatrice du film Les Chatouilles s'insurge contre le silence entourant les récents féminicides qui ont eu lieu en France. Elle dénonce "l’obsession autour de l’abaya et des tétons" tandis que "quatre femmes ont été assassinées en quatre jours par leur conjoint, battues à mort". "Ça me donne chaud là…" , conclut-elle, enlevant son sweat-shirt bleu et dévoilant ses seins.
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