Fil d'Ariane
En Iran, "la nouvelle génération se bat vraiment, contrairement à ma génération", se réjouit Shole Pakravan, la mère de Reyhaneh Jabbari. Sept hivers à Téhéran raconte l'histoire de sa fille, pendue en 2014 pour avoir tué un homme qui tentait de la violer. "Reyhaneh s’est battue très dur pour les droits des femmes et pour sa liberté, comme tous les hommes et les femmes aujourd’hui qui descendent dans les rues," explique la réalisatrice allemande Steffi Niederzoll.
La jeune femme a été pendue en 2014 pour meurtre après sept ans de détention, pour avoir poignardé à mort un ancien fonctionnaire du ministère du Renseignement, Morteza Abdolali Sarbandi, qui tentait de la violer. "Elle a invoqué la légitime défense, mais les accusations ont été modifiées en cours de procès et, finalement, c’est le gouvernement qui inculpait Riyanneh, car l’homme poignardé en était proche. Impossible pour le régime de reconnaître que l’un des leurs s’était rendu coupable de crime sexuel. Elle n’avait aucune chance," explique la réalisatrice.
Elle n’a pas abandonné. Elle s’est battue pour sa dignité. Elle aurait pu mentir et sauver sa vie, mais a décidé de s’en tenir à la vérité.
Steffi Niederzoll, réalisatrice
Reyhaneh Jabbari a refusé le sursis qui lui était proposé si elle revenait sur ses accusations de viol. "Elle n’a pas abandonné. Elle s’est battue pour sa dignité. Elle aurait pu mentir et sauver sa vie, mais a décidé de s’en tenir à la vérité. Et c'est ce qui est si fort chez elle," dit Steffi Niederzoll.
L'histoire de Reyhaneh et ses écrits poétiques depuis la prison sont au coeur de Sept hivers à Téhéran, présenté au festival du film de Berlin, en février 2023, où il a reçu le prix du meilleur film dans la sélection Perspective du Cinéma Allemand.
Steffi Niederzolls #Doku|film „Sieben Winter in Teheran“ wurde bei der Berlinale 2023 als bester Film in der Sektion Perspektive Deutsches Kino ausgezeichnet und erhielt den Friedenspreis der @BoellStiftung. Hier geht’s zum Nachbericht https://t.co/wmuSHc5ojp pic.twitter.com/UZSkd0qjK0
— Dokumentarfilm.info (@Dokfilminfo) March 14, 2023
Quand j'étais jeune, je ne savais rien de la violence et des exécutions dans mon pays. C'était caché. Désormais, grâce à ce film, nous sommes en mesure de parler de ces choses et de les montrer au monde entier.
Shole Pakravan, mère de Reyhaneh
Récompensée à Cannes en mai 2022 pour un autre film, l'actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi, qui vit en exil à Paris, lui prête sa voix dans le documentaire. "Je cherchais une personne qui avait une position et une voix politiques, se souvient Steffi Niederzoll. Il fallait clairement que ce soit une personne qui vive en exil. Quand je lui ai parlé au téléphone, j’ai senti qu’elle était le meilleur choix, puisqu’elle a fait elle-même l’expérience de ce système patriarcal. Elle avait une connexion avec Reyhaneh et lorsqu’elle lisait ses lettres, je ressentais sa douleur."
Documentaire effarant qui suit une victime d'une tentative de viol, condamnée à mort pour avoir tué son agresseur. Ses lettres sont lues par Zar Amir Ebrahimi, comme si le film prolongeait les Nuits de Mashhad. Cela retourne le bide mais la sororité transmet un message d'espoir. pic.twitter.com/RuiY2qmKUj
— Yannick Vély (@yannickvely) March 22, 2023
"Quand j'étais jeune, je ne savais rien de la violence et des exécutions qui existaient dans mon pays. C'était caché," explique Shole Pakravan, qui vit aujourd'hui en Allemagne avec ses filles et une ancienne jeune femme emprisonnée avec Reyhaneh – le père, lui, n'a pas encore obtenu de passeport pour quitter le pays. "Désormais, grâce à ce film, nous sommes en mesure de parler de ces choses et de les montrer au monde entier", dit-elle.
Aujourd'hui, des jeunes filles vont en prison, y sont violées et pourtant elles ne se taisent pas.
Shole Pakravan, mère de Reyhaneh
La cinéaste se dit profondément inspirée par la force et la jeunesse de Reyhaneh : "Beaucoup de choses m’ont touchée chez elle, mais les plus impressionnantes sont sa jeunesse, la promiscuité dans les prisons iraniennes et ce que cela dit sur la société. J’ai été très impresionnée par la force qu’elle a déployée pour se battre, pour elle-même et pour ses codétenues."
Sa famille aussi s'est "battue pour briser le cercle de la violence en Iran, déclare-t-elle. Reyhaneh a pardonné même aux personnes qui lui ont fait ça. Elle est restée fidèle à sa vérité, à sa dignité et a demandé à sa famille de faire de même. Cela crée une parcelle d'espoir dans cette histoire très triste".
A propos des manifestations qui ont éclaté en Iran à la suite de la mort en détention, il y a six mois, de Mahsa Amini, arrêtée pour avoir enfreint le strict code vestimentaire iranien, Shole Pakravan confie qu'elle voit renaître l'espoir en constatant la mobilisation de masse qui a suivi la mort de la jeune femme : "Avant, les gens allaient en prison, puis sortaient et restaient silencieux. Aujourd'hui, des jeunes filles vont en prison, y sont violées et pourtant elles ne se taisent pas."
Shole Pakravan, pourtant, craint aussi pour la suite. "Je lutte contre les exécutions et la torture, alors quand je vois des manifestants réclamer la pendaison des mollahs, je m'inquiète... Je ne sais pas quel système succédera à celui-ci mais je ne veux pas qu'il ait recours aux exécutions ou à la torture". La réalisation du film et du livre qui l'accompagne lui a apporté un certain soulagement après tant d'années de souffrance. "J'ai assumé mes responsabilités envers Reyhaneh et cela m'a libérée. Je peux à nouveau voir le monde qui m'entoure."
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