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"Sept hivers à Téhéran" : Reyhaneh, executée pour avoir tué son violeur

Elle est devenue un symbole de l'injustice en Iran. Le documentaire Sept hivers à Téhéran revient sur l'histoire de Reyhaneh Jabbari, exécutée en 2014 à l'âge de 26 ans, pour le meurtre de son agresseur. Le film, déjà presque terminé lorsque les manifestations ont éclaté en Iran, en septembre 2022, sort ce 29 mars en France.

En Iran, "la nouvelle génération se bat vraiment, contrairement à ma génération", se réjouit Shole Pakravan, la mère de Reyhaneh Jabbari. Sept hivers à Téhéran raconte  l'histoire de sa fille, pendue en 2014 pour avoir tué un homme qui tentait de la violer. "Reyhaneh s’est battue très dur pour les droits des femmes et pour sa liberté, comme tous les hommes et les femmes aujourd’hui qui descendent dans les rues," explique la réalisatrice allemande Steffi Niederzoll.

Reyhaneh Jabbari, exécutée à 26 ans

La jeune femme a été pendue en 2014 pour meurtre après sept ans de détention, pour avoir poignardé à mort un ancien fonctionnaire du ministère du Renseignement, Morteza Abdolali Sarbandi, qui tentait de la violer. "Elle a invoqué la légitime défense, mais les accusations ont été modifiées en cours de procès et, finalement, c’est le gouvernement qui inculpait Riyanneh, car l’homme poignardé en était proche. Impossible pour le régime de reconnaître que l’un des leurs s’était rendu coupable de crime sexuel. Elle n’avait aucune chance," explique la réalisatrice. 

Elle n’a pas abandonné. Elle s’est battue pour sa dignité. Elle aurait pu mentir et sauver sa vie, mais a décidé de s’en tenir à la vérité.
Steffi Niederzoll, réalisatrice 

Reyhaneh Jabbari a refusé le sursis qui lui était proposé si elle revenait sur ses accusations de viol. "Elle n’a pas abandonné. Elle s’est battue pour sa dignité. Elle aurait pu mentir et sauver sa vie, mais a décidé de s’en tenir à la vérité. Et c'est ce qui est si fort chez elle," dit Steffi Niederzoll.

De l'intime à l'universel

L'histoire de Reyhaneh et ses écrits poétiques depuis la prison sont au coeur de Sept hivers à Téhéran, présenté au festival du film de Berlin, en février 2023, où il a reçu le prix du meilleur film dans la sélection Perspective du Cinéma Allemand.

Pour la réalisatrice, "le film parle des femmes, de viol, de violences sexuelles, des problèmes qui concernent le monde entier, et pas seulement l’Iran." Quand elle a rencontré la famille de Reyhaneh, qui lui a proposé de tourner un documentaire avec des extraits filmés en secret, il lui a semblé être de son devoir "de raconter son histoire, de lui donner une voix. Ce qu’elle a fait compte et a été très inspirant pour moi."
 

Quand j'étais jeune, je ne savais rien de la violence et des exécutions dans mon pays. C'était caché. Désormais, grâce à ce film, nous sommes en mesure de parler de ces choses et de les montrer au monde entier.
Shole Pakravan, mère de Reyhaneh

Sept hivers à Téhéran est réalisé à partir d'images filmées clandestinement et d'enregistrements téléphoniques qui documentent le quotidien d'une famile insouciante – les enfants font les fous avec leurs parents, les adolescents font la fête, jouent avec le chien, font des câlins au père et les filles grandissent sans voile et avec assurance...

"La plupart m’ont été donnés par la famille, explique Steffi Niederzoll. Ils aviaent beaucoup de contenus filmés avec des téléphones portables. Puis lorsqu’elle était en prison, Reyhaneh leur faisait savoir ce qu'elle faisait. Mais il manquait des informations, alors j’ai demandé à des réalisateurs iraniens courageux d’aller en prison voir Reyhaneh". Courageux, puisque le simple fait de filmer un bâtiment public, en Iran, est passible de cinq ans de prison. "C’était une position militante de leur part de prendre ce risque. Ils voulaient que l’histoire soit racontée, mais ne pouvaient le faire de l’intérieur, alors ils m’ont aidée," se souvient-elle.

Lettres de prison

Reyhaneh Jabbari
Reyhaneh Jabbari dans un bureau de police à Téhéran, en Iran, le 8 juillet 2007.
©AP Photo/Golara Sajjadian
Sept hivers à Téhéran est ponctué de lettres écrites par Reyhaneh Jabbari depuis sa détention. Elle y parle de la séparation douloureuse d'avec sa famille, des interrogatoires et des maltraitances. Elle vit un cauchemar dont elle ne se réveillera pas. "Elle a beaucoup écrit, témoigne Steffi Niederzoll, dans son journal et de très nombreuses lettres. Elle a aussi écrit pour se défendre, et ce qu’elle écrit est très intense. De sa prison, elle perçoit la société et les droits des femmes très clairement de l’intérieur de la prison. Sa dernière lettre à sa mère est particulièrement touchante."


Récompensée à Cannes en mai 2022 pour un autre film, l'actrice iranienne Zar Amir Ebrahimi, qui vit en exil à Paris, lui prête sa voix dans le documentaire. "Je cherchais une personne qui avait une position et une voix politiques, se souvient Steffi Niederzoll. Il fallait clairement que ce soit une personne qui vive en exil. Quand je lui ai parlé au téléphone, j’ai senti qu’elle était le meilleur choix, puisqu’elle a fait elle-même l’expérience de ce système patriarcal. Elle avait une connexion avec Reyhaneh et lorsqu’elle lisait ses lettres, je ressentais sa douleur."

Une jeunesse forte

"Quand j'étais jeune, je ne savais rien de la violence et des exécutions qui existaient dans mon pays. C'était caché," explique Shole Pakravan, qui vit aujourd'hui en Allemagne avec ses filles et une ancienne jeune femme emprisonnée avec Reyhaneh – le père, lui, n'a pas encore obtenu de passeport pour quitter le pays. "Désormais, grâce à ce film, nous sommes en mesure de parler de ces choses et de les montrer au monde entier", dit-elle.

Aujourd'hui, des jeunes filles vont en prison, y sont violées et pourtant elles ne se taisent pas.
Shole Pakravan, mère de Reyhaneh

La cinéaste se dit profondément inspirée par la force et la jeunesse de Reyhaneh : "Beaucoup de choses m’ont touchée chez elle, mais les plus impressionnantes sont sa jeunesse, la promiscuité dans les prisons iraniennes et ce que cela dit sur la société. J’ai été très impresionnée par la force qu’elle a déployée pour se battre, pour elle-même et pour ses codétenues."

Sa famille aussi s'est "battue pour briser le cercle de la violence en Iran, déclare-t-elle. Reyhaneh a pardonné même aux personnes qui lui ont fait ça. Elle est restée fidèle à sa vérité, à sa dignité et a demandé à sa famille de faire de même. Cela crée une parcelle d'espoir dans cette histoire très triste". 

L'espoir

A propos des manifestations qui ont éclaté en Iran à la suite de la mort en détention, il y a six mois, de Mahsa Amini, arrêtée pour avoir enfreint le strict code vestimentaire iranien, Shole Pakravan confie qu'elle voit renaître l'espoir en constatant la mobilisation de masse qui a suivi la mort de la jeune femme : "Avant, les gens allaient en prison, puis sortaient et restaient silencieux. Aujourd'hui, des jeunes filles vont en prison, y sont violées et pourtant elles ne se taisent pas."

Shole Pakravan, pourtant, craint aussi pour la suite. "Je lutte contre les exécutions et la torture, alors quand je vois des manifestants réclamer la pendaison des mollahs, je m'inquiète... Je ne sais pas quel système succédera à celui-ci mais je ne veux pas qu'il ait recours aux exécutions ou à la torture". La réalisation du film et du livre qui l'accompagne lui a apporté un certain soulagement après tant d'années de souffrance. "J'ai assumé mes responsabilités envers Reyhaneh et cela m'a libérée. Je peux à nouveau voir le monde qui m'entoure."