Fil d'Ariane
Congrats on an amazing career, @SerenaWilliams!
— Michelle Obama (@MichelleObama) September 3, 2022
How lucky were we to be able to watch a young girl from Compton grow up to become one of the greatest athletes of all time.
I'm proud of you, my friend—and I can't wait to see the lives you continue to transform with your talents. pic.twitter.com/VWONEMAwz3
Et tant pis – et bien fait – pour ceux qui la donnaient perdante dès le premier tour. C'était sans compter sur la détermination immuable de cette athlète hors norme. Elle n'a finalement fait qu'une bouchée, ou presque, de son adversaire, la Monténégrine Danka Kovinic en deux sets (6-3, 6-3). En duo avec sa soeur, le tournoi s'est arrêté dès le premier tour. En individuel, Serena Williams s'est finalement inclinée au troisème tour de l'US Open 2022 face à l'Australienne Ajla Tomljanovic (46e mondiale) 7-5, 6-7 (4/7), 6-1.
Toute étincelante de 400 diamants cousus sur sa tenue noire et dans ses locks, la "queen" fait son entrée dans l'arène dans un fracas de décibels, après la diffusion d'une vidéo florilège de ses six sacres à Flushing Meadows, commentée par une autre queen, Latifah, chanteuse, actrice, productrice, venue spécialement saluer "la reine" qui "ne se laissera jamais abattre sans se battre".
Sous les yeux de son époux, Alexis Ohanian, de sa fille Olympia et d'un parterre de stars – Mike Tyson, Lindsey Vonn, Hugh Jackman, Spike Lee ou Bill Clinton, président quand Williams a commencé à écrire sa légende en 1999, avec un premier titre majeur à l'US Open –, Serena a rugi, crié, serré le poing et l'a même levé sur le chemin d'une victoire qui vaut bien des triomphes.
Une fois la victoire de Serena en poche, tout le monde exultait dans des gradins où la diversité n'a jamais été autant visible pour un sport longtemps réservé à l'élite blanche. Preuve de l'immense impact de Serena Williams sur son sport.
"Issue d'une ville défavorisée de Californie, Compton, où il n'y avait pas de courts de tennis... Elle est devenue une inspiration et a dominé le sport. Pour les minorités, elle est une ambassadrice. Elle a montré que l'on pouvait faire des choses que l'on pensait impossibles.", s'enthousiasme Tia Green, quinquagénaire venue d'Oklahama City.
"Merci de nous avoir montré comment être gracieuse, puissante et sans peur. Merci de nous avoir montré ce que signifie revenir et de n'avoir jamais, jamais reculé. Sache que quoi que tu fasses ensuite, nous te regarderons. Avec amour, nous tous", lui a lancé la star de télévision Oprah Winfrey, autre personnalité afro-américaine majeure.
Sur le court central Arthur Ash était aussi présente une autre légende du tennis, Billie Jean King, vêtue de rose "car c'est ta couleur préférée". "Tu n'as peur de rien. J'adore ça. Et tu détestes perdre. C'est génial. Tu as touché nos coeurs et nos esprits. Merci pour ton leadership et ton engagement pour plus de diversité, d'équité et d'inclusion, en particulier pour les femmes et les femmes de couleur", lui a rendu hommage la militante pour l'égalité des sexes.
Plus qu'une domination, c'est une révolution que Serena Williams a imposée au tennis féminin durant ses vingt ans de règne – quasiment– sans partage, même s'il lui manquera un titre pour égaler le record des 24 victoires en Grand Chelem de Margaret Court.
L'Américaine a "changé le tennis", en a "ouvert les portes", a "inventé l'intimidation", fait venir le "business", relevait pour l'AFP son ancien coach Patrick Mouratoglou en septembre 2021, expliquant en quoi sa championne était la plus grande joueuse de l'histoire, elle qui, à l'approche de ses 41 ans, le 26 septembre, dispute l'US Open pour la dernière fois.
Depuis qu'on lui a mis dans les mains sa première raquette, peu après son quatrième anniversaire, seule sa sœur Venus a, par moments, contesté sa supériorité. Ce fut le cas dans leur enfance, dans le ghetto noir de Compton, près de Los Angeles, car Serena était la cadette de quinze mois et attirait moins les regards que sa sœur à la silhouette longiligne.
Mais leur père Richard ne s'y est jamais trompé. Lorsqu'un entraîneur lui assurait qu'il tenait en Venus, alors âgée de dix ans, "le prochain Michael Jordan au féminin", il avait répondu : "Non, je tiens les deux prochains". Cet ancien gérant d'une société de gardiennage a été le personnage clé de la carrière des sœurs Williams, qu'il a façonnées depuis leur plus jeune âge après avoir appris le métier d'entraîneur dans des livres et des vidéos. L'histoire a été racontée en 2021 dans un film à succès où Will Smith tient le rôle du père.
Repérées rapidement – le New York Times en parlait déjà alors qu'elles n'avaient pas dix ans –, les sœurs Williams ont d'abord écumé le circuit à deux. C'est Serena qui a gagné le premier titre du Grand Chelem de la famille, à l'US Open en 1999, juste avant de fêter ses 18 ans. Puis Venus est devenue numéro 1 mondiale en 2002, peu avant sa sœur. De Roland Garros 2002 à l'Open d'Australie 2003, quatre tournois du Grand Chelem consécutifs se sont terminés par la même affiche : Williams contre Williams. Du jamais vu.
L'argent aussi a rapidement afflué. Des équipementiers sportifs ont fait signer aux deux sœurs, dès leur pré-adolescence, des contrats de plusieurs millions de dollars qui ont bouleversé la vie de cette famille nombreuse, les parents ayant eu cinq autres enfants de précédentes unions.
Puis les trajectoires des sœurs ont divergé. Alors que Venus se spécialise dans le gazon de Wimbledon, Serena étend sa domination sur toutes les surfaces grâce à une tactique simple : profiter de son incomparable puissance. Ses armes ? Le service, frappé parfois à plus de 200 km/h, et le coup droit. La confiance aussi. Elle est persuadée que, quand elle joue son meilleur tennis, personne ne peut la battre. Mais les accidents de la vie ne lui ont pas toujours permis de s'exprimer.
En 2003-2004, elle doit s'absenter huit mois après une opération à un genou. Même si elle n'a alors que 21 ans, on doute qu'elle rejoue au tennis, d'autant qu'elle semble accaparée par d'autres centres d'intérêt, la mode ou la télévision. En 2010, elle se taillade les pieds en marchant sur du verre brisé, puis en mars 2011, une embolie pulmonaire faillit lui coûter la vie. Ses déboires, et surtout la tragédie qui a frappé sa famille en septembre 2003 lorsque sa demi-sœur Yetunde est tuée par balles à Los Angeles, l'ont, au fil des ans, rendue plus humaine aux yeux du public, dont une partie était fatiguée de la voir gagner.
À la tête d'un immense palmarès – 7 Open d'Australie, 3 Roland-Garros, 7 Wimbledon, 6 US Open, mais aussi 14 titres du Grand Chelem en double avec sa sœur et quatre médailles d'or olympiques (une en simple, trois en double) – Serena a remporté son 23e et dernier "Majeur" en Australie en 2017.
Alors que certains auraient pu voir dans la naissance de son premier enfant, en septembre 2017, après une grossesse et un accouchement compliqués, un signe de retraite anticipée, la cadette des Williams a au contraire démontré que sa fille Olympia était pour elle une motivation supplémentaire. Elle revient à la compétition en mars 2018, retrouve son niveau et joue encore quatre finales.
Mais tout au long de son parcours, Serena a aussi dû rendre des coups, pas seulement sur les cours de tennis. Racisme, sexisme : au début de sa carrière, elle s'est vu reprocher – tout comme sa soeur – de n'être pas assez féminine, ou tout simplement d'être "noire" ?
Retour à ce terrible 17 mars 2001, Serena Williams s'impose en finale à Indian Wells contre la Belge Kim Clijsters. La famille Williams est huée par la foule. Au moment de sa victoire, quelques applaudissements tentent de couvrir les sifflets. A l'origine de la polémique, une rumeur selon laquelle le père aurait choisi laquelle de ses deux filles devait gagner lors d'un match précédent. Dans un article de USA Today, Richard Williams déclare des propos racistes ont été tenus envers lui et ses filles ce jour-là. "Quand Venus et moi descendions les marches, plusieurs personnes m'ont appelé 'negro', explique-t-il, Quelqu'un a dit 'J'aimerais qu'on soit 75 ans en arrière, on pourrait te scalper vivant'. Je pense que ce qu'il s'est passé à Indian Wells est une honte pour l'Amérique.", rapporte le site Eurosport.fr.
Après avoir boycotté ce tournoi, Serena y fait son retour quatorze ans plus tard, cette fois sous l'ovation du public.
Face au sexisme, elle présente aussi une défense redoutable et sans filet. Critiquée par des dirigeants du tennis sur sa tenue inspirée du film Black Panther, elle publie ce message : "Vous pouvez lui retirer son costume de super héros mais vous ne pourrez jamais lui retirer ses super pouvoirs", précisant que sa tenue est spécialement conçue pour lutter contre ses problèmes de circulation sanguine, "Je me sens comme une princesse guerrière dedans. J’ai toujours voulu être une super-héroïne".
En 2015, trois jours avant son sacre en finale de Wimbledon au Royaume-Uni, le New York Times consacre un article au physique des joueuses de tennis et donne Serena Williams en exemple : "Williams a de forts biceps et une musculature qui sort du moule, alliant la puissance et l’athlétisme, qui ont dominé le tennis féminin depuis des années. Ses rivales pourraient essayer d’imiter son physique mais la plupart ne le font pas". Sur les réseaux sociaux, des internautes vont réagir en accusant Serena de ressembler un homme. Ce à quoi J. K. Rowling, l'autrice de la saga Harry Potter, fan inconditionnelle des Williams, répondra par un tweet mettant fin à toute discussion.
"C'est incroyable que mon corps ait été capable de me donner la carrière que j'ai eue, et j'en suis vraiment reconnaissante. Je regrette seulement de ne pas l'avoir fait plus tôt. La boucle est bouclée quand je regarde ma fille", confie aujourd'hui dans Vogue celle que l'on a surnommée la "Beyoncé du sport".
Car la championne de tennis a bien plus de cordes que n'en compte sa raquette : elle a créé une marque de vêtements mais dirige aussi un fonds d’investissement qui aide les femmes et les entrepreneur-e-s issus de la diversité.
Alors "peut-on tout avoir ?" l'interroge le magazine Elle. "La notion de 'tout avoir' ne m’évoquait rien jusqu’à ce que je réalise que je pouvais atteindre les objectifs qui comptent d’abord pour moi, c’est très personnel. J’encourage les jeunes filles à tendre vers ce à quoi elles croient et à ne jamais abandonner la poursuite de leurs passions", répond-elle. Elle confie que les femmes de sa famille sont celle qui l'ont inspirée, tout comme les athlètes qu'elle a affrontées, ou encore les entrepreneuses avec lesquelles elle travaille : "Il y a tellement de femmes qui m’inspirent et m’encouragent autour de moi".
Parmi celles qui l'entourent, tout contre, une femme en devenir : Olympia. A voir poser Serena avec sa fille pour la presse ou sur son compte Instagram, on comprend que le tennis n'est plus aujourd'hui sa seule inspiration.