Imaginez une série qui réussirait là où les institutions scolaires pêchent, sur une thématique aussi impactante et déterminante que l'éducation sexuelle ? On y parlerait aussi bien de masturbation, de clitoris, d'homosexualité que d'agression sexuelle, sur un ton moderne et débridé, tout comme informatif. Ajoutez à cela, une bonne dose d'humour et de dérision... Et voilà, vous avez la recette du succès de
Sex Education, qui fait son retour sur les écrans de la plate-forme Netflix, pour une deuxième saison.
La réalisatrice britannique Laurie Nunn campe ses personnages dans un collège. Les étudiant.e.s sont comme tou.te.s les adolescent.e.s du monde, traversant cette période de la vie, faite de bouleversement physiques et hormonaux au gré de leurs questionnements que ces derniers impliquent en matière de sexualité. Au coeur de l'intrigue, Maeve, jeune femme surdouée aux allures un peu punk, qui subvient seule à ses besoins et vit seule dans un mobil-home et Otis, fils unique d'une sexologue quinqua et séparée, devenu lui-même une sorte d'expert en la matière, enfin en théorie car pour la pratique, ce n'est pas gagné. Malgré leur manque d’expérience personnelle, ces deux personnages principaux vont jusqu’à créer leur propre cabinet de consultation en sexologie au sein même de leur établissement scolaire. Leur objectif ? Donner des conseils à leurs camarades afin de pallier au manque d’éducation sexuelle, qui leur fait tant défaut aussi bien à l’école et qu'à domicile.
Avec bienveillance et sans tabou, cette série s'adresse en priorité aux adolescent.e.s, qui souvent par manque de connaissances, de pratique mais surtout par peur d’en parler créent des mythes autour de leur sexualité. Dans cette deuxième saison, les consultations d’Otis prennent des allures de confessionnal pour tout le lycée. L’apprenti sexologue écoute celles et ceux qui viennent à lui, leur prodiguant toute sorte de conseils sur les relations amoureuses, la masturbation féminine, le consentement, l’homosexualité, l’avortement, la pilule du lendemain, les agressions sexuelles, tout en étant lui-même perdu dans sa relation avec une jeune amoureuse et leurs premières tentatives d'ébat. L'injonction à la performance masculine en prend un sérieux coup au passage et c'est tant mieux, de quoi décomplexer toutes celles et ceux qui font leurs premiers pas sur le terrain de leur sexualité, à deux ou en solo.
Plaisir féminin et consentement au coeur de la saison 2
Rares sont les séries qui mettent en avant le plaisir féminin de manière brute et décomplexée comme le fait Laurie Nunn avec des scènes crues où des jeunes filles vont même jusqu'à se masturber à l'écran.
Pour Caroline Le Roux, psychologue et sexologue, les jeunes filles s'interdisent souvent la notion de plaisir car
« C’est bien ancré au niveau de l’inconscience collective, même nos jeunes filles ont du mal à le faire car ça reste pour les garçons dans leurs têtes. » D'après la sexologue, ce phénomène viendrait du fait que l'on
« manque d’information sur la masturbation féminine » d'autant plus que pour les jeunes filles,
« ça ne se voit pas, donc c’est un peu compliqué d’aller explorer son corps quand on ne voit pas ce que l’on fait ». Alors que pour un garçon,
« c’est plus simple il voit, il y a une érection, c’est pour ça que je dis inconscient collectif car on est encore dans une société judéo-chrétienne » .
Cette saison 2 traite tout particulièrement de la notion de consentement et la question des agressions sexuelles. Dans l'un des épisodes, une scène choc montre une jeune fille victime d'un frotteur et d'une agression sexuelle en règle à bord du bus qui la conduit au lycée. Un peu naïve, mais surtout sous-informée sur la nature réelle de l'agression qu'elle vient de subir, la jeune femme n’ose pas en parler à sa mère et minimise l’acte de son agresseur. Pourtant, elle n'arrive plus à prendre le bus par peur de l'y retrouver. Au fur et à mesure des épisodes, le personnage principal Maeve arrive à convaincre son amie de se rendre à la police pour dénoncer l’agression dont elle a été victime et lui fait comprendre qu’un tel acte aura surement des répercussions psychologiques, bien plus graves que ce qu'elle pouvait suspecter.
"Révises tes classiques"
Nombre d'adolescent.e.s éprouvent des difficultées à aborder certains sujets d'ordre sexuel avec leurs parents ou leurs professeurs. Pour cette deuxième saison, Netflix a décidé d'aller plus loin que le simple écran de télé ou de smartphone en proposant, en collaboration avec la photographe Charlotte Abramow un manuel gratuit, destiné aux 16 ans et plus, le
Petit manuel Sex Education.
Découverte du corps, contraception, consentement, règles, diversité sexuelle, plaisir solitaire… En onze chapitres, sous une forme ludique et visuelle, le manuel a pour but de mettre à mal les clichés afin de permettre aux adolescents et en premier lieu les filles de s’approprier leur corps et d’appréhender leur sexualité de façon décomplexée.
Entretien avec Charlotte Abramow, autrice du Petit manuel sex education:
Vous avez fait ce que nombreux nombreuses jeunes femmes auraient aimé avoir, à l'adolescence, un manuel simple, explicite et inclusif, comment vous est venue cette idée ? L’idée m’est venue super naturellement. J’étais à un anniversaire d’une amie où l'on était cinq. L’une de mes amies me dit « je travaille souvent avec Netflix, quelles séries aimes-tu chez eux? » . J’ai nommé plusieurs séries dont
Sex Education. Quelques jours plus tard, je recevais un mail de cette personne me disant « Netflix est très motivé pour que tu leur proposes quelque chose pour la promo de la saison 2 de Sex Ed, ça peut aller plus loin que des photos. »
Instantanément, j’ai pensé à un objet éditorial qui serait un petit manuel d’éducation sexuelle, qui épouserait complèterait les thématiques de la série. Dans la série, ces thématiques sont incorporées aux récits fictifs des personnages, au fil des épisodes. Dans le cas du manuel, on est seul face à un objet, on a un autre rythme de lecture des informations. J’étais très motivée à l’idée de faire un « body of work » d’images, d’illustrations, de textes et de graphisme, dont le thème serait « l’éducation sexuelle » car nous n’avons pas la prétention d’avoir fait un manuel exhaustif qui répond à toutes les questions, mais plutôt des pistes fondamentales abordées et sublimées de façon décomplexante en rendant le tout attractif.
Il y a aussi ce lien malsain entre la sexualité d’une fille et sa « valeur » . Tous ces préjugés néfastes qui empêchent les femmes d’accéder à leur plaisir et qui leur font perdre beaucoup de temps…
Charlotte Abramow, réalisatrice et photographe
La notion de plaisir est souvent taboue chez les jeunes filles, pensez-vous leur permettre de se l'accorder après avoir lu le manuel ? J’espère que les notions de genre s’effaceront face à la masturbation et plus généralement, face au plaisir. Le plaisir des femmes, dans les relations hétérosexuelles, est toujours relatif à celui de l’autre, à tel point que nombreuses femmes mettent leur plaisir au second plan sans même analyser pourquoi. Simplement parce que la société nous a élevées comme cela ! Avoir du plaisir, c’est une chose, mais même parler ouvertement de sexualité, c’est parfois mal vu pour les jeunes filles. Il y a aussi ce lien malsain entre la sexualité d’une fille et sa « valeur ». Tous ces préjugés néfastes qui empêchent les femmes d’accéder à leur plaisir et qui leur font perdre beaucoup de temps… J’espère donc que ces pistes aideront les femmes à se dire que c’est tout à fait normal de se faire plaisir, que c’est une façon de devenir actrice de son plaisir, une forme de prise de pouvoir.
La notion de consentement et la notion de plaisir féminin sont mises en avant parmi tant d'autres sujets, ce sont des sujets dont on parle très rarement à l'école ou en famille, quelle importance leur donnez-vous ? Lorsque nous avons pensé aux différentes thématiques du Petit Manuel (avec Marine alias Métaux Lourds, Ophélie Secq et Lisa Villaret) nous avons assez naturellement décidé que
Le Petit Manuel prendrait l’axe du plaisir, du rapport au corps, du respect, du consentement, devant d’autres thématiques plus scientifiques ou médicales. Premièrement, parce que ce qui concerne la biologie (le système des règles ou de la procréation, fécondation par exemple), ça pour le coup on nous l’apprend à l’école (sauf les anatomies précises qui pourraient pourtant donner des clefs!), mais pas du tout le reste ! La relation à soi-même, la relation à l’autre est pourtant très importante dans la sexualité.
Le consentement est la condition sine qua non au sexe !
Charlotte Abramow, réalisatrice et photographe
C’était important de mettre en avant ces thématiques, pour dépasser les clichés de « performance », et d’autres dicktats hétéro-normés souvent appris par le porno. On devrait tou.te.s avoir des débats et des cours sur le consentement à l’école car la majorité des personnes ne
maîtrisent pas ces notions, et encore moins à l’adolescence, cela pourrait éviter pas mal de drames… Car le consentement est la condition
sine qua non au sexe !
Pensez-vous que ce manuel pourra éveiller les consciences sur l'importance de l'éducation sexuelle ?
Le Petit Manuel a été annoncé un vendredi soir via les réseaux sociaux de Netflix. Un ouvrage qui parle donc de sexualité, promu par une grosse plateforme, et gratuit… Le site internet a complètement buggué dès les premières minutes car il y a eu
10 000 demandes de commandes du Petit Manuel par seconde ! Je pense que cet engouement, au-delà de la gratuité de l’objet, est le témoin le plus véridique que les jeunes, et les gens en général sont vraiment dépourvus face aux questions de sexualité et ne savent pas trop où trouver des réponses. Il y a vraiment un gouffre à combler et une vraie curiosité.
Le Petit Manuel s’inscrit dans cette nouvelle mouvance de libération de la parole autour de la sexualité et du genre. Il y a la série
Sex Education bien-sûr, mais aussi des podcasts, des comptes instagram, qui donnent de manière accessible, plein d’infos très utiles. Cela n’était pas mon cas quand j’étais adolescente, c'était pourtant il n’y a pas si longtemps. Le sexe, ça concerne tout le monde, et c’est mystérieux, excitant, donc forcément, ça intéresse beaucoup de monde !
« Comment est-ce possible que je ne sache presque rien sur le clitoris, même pas à quoi il ressemble? »
Charlotte Abramow, réalisatrice et photographe
En exposant un clitoris en 3D sur des affiches dans le métro Parisien, quel est l'effet attendu ? L’effet attendu était surtout « Comment est-ce possible que je ne sache presque rien sur le clitoris, même pas à quoi il ressemble? » Évidemment, je ne connais pas forcément la forme de ma rate ou de mon larynx, mais j’ai quand même une petite idée vague. Alors que le clitoris, à la rigueur on peut juste savoir que c’est un « bouton », mais sa forme entière est vraiment méconnue et pourtant elle explique plein de choses sur le plaisir féminin. En gardant sous silence des infos sur le clitoris, on éloigne aussi le plaisir…
D’ailleurs, je suis sûre que beaucoup de personnes qui ont vu les affiches ne savent pas que cela représentait un clitoris. Il y a même eu un tweet d’une personne qui était choquée qu’on voit « une espèce de sexe d’homme représenté par chépa quoi » (je cite) dans les rues. Mais ce commentaire relève justement l’importance de mettre en lumière notre méconnaissance, et nous montre qu’on peut apprendre simplement.
Quand on voit des femmes qui nous ressemblent, on se sent moins seule, moins « anormale »
Charlotte Abramow, réalisatrice et photographe
Vous exposez dans votre manuel des vulves de filles de toutes les origines, pensez-vous à travers votre manuel permettre de redonner confiance à certaines jeunes filles qui peuvent se sentir
sous-représentées ? Les standards de beauté occidentaux sont très précis… Pour rentrer dans la case « belle » de la société, il faut être : jeune, blanche, mince, imberbe, féminine, plutôt bourgeoise pour qu’elle puisse prendre soin de son apparence, le package artificiel de la beauté féminine fantasmée. De ce fait, le capitalisme a « nourri » ce mal-être des femmes qui ne sont pas dans ces cases, c'est à dire 90% des femmes, afin de leur faire dépenser de l’argent pour espérer atteindre ces standards en achetant des produits.
D’où l’importance de la représentation. Quand on voit des femmes qui nous ressemblent, on se sent moins seule, moins « anormale », c’est aussi pour ça que les photos du
Petit Manuel ne sont pas retouchées, nous avons juste fait de la colorimétrie. J’ai laissé intacts la peau et le corps des gens, car les petits boutons, les poils, les bourrelets, les plis, les imperfections font partie de la vie, et font donc partie de la sexualité. Beaucoup de complexes gâchent ainsi la voie vers le plaisir et la sexualité car on grandit dans la peur du regard de l’autre, de ne pas être assez « désirable »… Donc oui, j’ose espérer que la représentation change un peu la donne et donne confiance et force!