Fil d'Ariane
Une main sur les fesses, les deux sur les seins, des regards insistants sur des décolletés, ou encore un classement improvisé de l’attractivité des collègues. Voici quelques-uns des témoignages publiés sur le compte Instagram @payetonUNIL. En seulement quarante-huit heures, il a rassemblé plus de 1200 abonnés et partagé une vingtaine de posts anonymisés et traduits en anglais pour "visibiliser et condamner la culture sexiste et toutes les discriminations et violences liées à l’orientation sexuelle et aux identités de genre à l’université de Lausanne".
Après les mouvements #Metoo et #BalanceTonPorc, les réseaux sociaux sont devenus des outils essentiels pour dénoncer les abus, discriminations et violences de notre époque. Cette libération de la parole s’infiltre dans le monde universitaire romand. Dans la droite lignée de @payetonEPFL, lancé en décembre 2020, @payetonUNIL ouvre son compte à toutes les victimes de sexisme et de violences sexistes ou discriminantes.
L’Unil dispose pourtant d’un Bureau de l’égalité et d’une commission consultative spécialisée sur ces thématiques. "Nous invitons toutes les personnes témoins ou victimes à venir nous voir et leur offrons une écoute bienveillante", déclare Carine Carvalho, cheffe du Bureau de l’égalité. Cynthia Illi, membre du collectif de la grève féministe, rétorque : "Le temps de l’écoute est passé, place à celui de l’action et des sanctions pour que chacune et chacun puisse se sentir en sécurité." Les membres ont formulé une série de revendications lors de la grève des femmes de 2019. Ils les réitèrent.
L’Unil rappelle que des dispositifs ont été déployés pour sensibiliser cadres, professeurs, personnels et étudiants. Parmi eux, des ateliers sur les stéréotypes et l’écriture inclusive, des conférences sur le harcèlement dans le monde de la recherche, des vidéos explicatives, des ressources sur l’égalité des chances et l’accès à une formation en ligne sur les règles de conduite à adopter. Mais s’ils sont ouverts à tous et toutes, ils reposent sur le volontariat. Le collectif revendique donc la mise en place d’une formation obligatoire pour l’ensemble de la communauté, soit presque 20 000 personnes. "Il n’y a jamais eu de cours obligatoire", répond Carine Carvalho.
Une autre revendication est "la prise systématique de sanctions disciplinaires dans les cas de harcèlement ou de violences commis entre étudiant.e.s ou à leur encontre, que les faits aient lieu sur le campus ou à l’extérieur". Qu’en est-il des violences commises entre étudiants, d’autant plus qu’avec le télétravail ces actes n’ont plus lieu sur le campus ? "La réflexion a déjà été menée sur ce point", affirme-t-elle, et édictée dans la directive 0.4 de 2019. Depuis 2016, 25 cas ont été suivis dans le cadre d’une enquête indépendante - neuf relevaient du harcèlement sexuel, une seule a entraîné une sanction.
En décembre dernier, une commission associative de l’école polytechnique a recueilli plusieurs témoignages qu’elle publie dans une vidéo de prévention. Elle espérait ainsi attirer l’attention des dirigeants de l’institution sur des actes discriminatoires.
Dans cette vidéo diffusée sur le compte Instagram de Polyquity – une commission de l’association étudiante AGEpoly qui promeut l’égalité sur le campus – cinq étudiant.es de l’EPFL témoignent d’expériences vécues dans le cadre de l’institution lausannoise. "Je suis venue là pour étudier, mais je suis une proie", dit l’une, après avoir décrit une fessée reçue en classe et les remarques sexistes d’un assistant. L’un relate son effarement à la première écoute d’un chant homophobe qu’il faut entonner dans diverses soirées étudiantes. Une autre encore conte l’agression sexuelle dont elle a été victime. Mais ces histoires ne représentent qu’une poignée de celles recueillies, depuis plusieurs mois, par les membres de Polyquity.
Les écoles Sciences Po couvrent les violeurs, font taire les victimes, et apprennent à tous les autres la loi du silence.
— Anna Toumazoff (@AnnaToumazoff) February 8, 2021
Ne nous étonnons pas de l’état de notre classe politique au vu de ce qu’on leur enseigne. Tous les témoignages ici https://t.co/NtE5ter0fi#SCIENCESPORCS pic.twitter.com/411Fj4Hygs
Au cours de ses études, 1 femme sur 10 est victime d’agression sexuelle #sciencesporcs @Sciences_Po_Aix @SciencesPo_Tlse @ScPoBx @ScPo_Strasbourg @SciencesPo38 @sciencespo @ScPoLille @ScPoLyon @Sc_Po_Rennes pic.twitter.com/GK5frrVVUM
— ScPoauFeminin (@ScPoauFeminin) February 9, 2021
Sur @payetonepfl, un autre compte Instagram dédié, une trentaine d’étudiant.es de tous niveaux et filières d’études font le récit d’un climat peu engageant. Il y a cet intervenant, dans un cours de master, qui lâche en regardant son homologue féminine : "même les femmes peuvent être leaders", ou cet assistant en mathématiques lançant à l’assemblée "c’est un fait, les filles sont moins fortes que les garçons en maths". Plus loin, l’énonciation de remarques incessantes sur les poitrines, les insultes sexistes, homophobes, transphobes, les menaces – "tu devrais mettre un pantalon, il faut pas se plaindre de ce qui va t’arriver" – succèdent aux récits de gestes à caractère sexuel non désirés, voire aux tentatives d’agressions sexuelles lors de soirées estudiantines.
Pour Eleonore Lépinard, sociologue et professeure associée en études de genre à l’Unil, les conditions structurelles sont réunies pour que ces comportements se développent : "Les filles sont en minorité, et toute la hiérarchie est masculine. Dès qu’une organisation est aussi déséquilibrée dans la manière d’occuper les places, les postes de pouvoir, le climat est extrêmement propice à ce type de dérives. Ensuite, le contexte est celui d’une institution qui enseigne des disciplines considérées comme prestigieuses et donc masculines. Ajoutez à cela le fait qu’il s’agit d’un univers extrêmement compétitif avec beaucoup de pression à la sélection, cela engendre aussi un certain nombre de formes d’agressivité, en particulier envers les personnes identifiées comme vulnérables : les filles ou les personnes LGBTQI."