Sexisme et désinformation : Kamala Harris, plus que jamais dans le viseur

Images truquées, insultes à caractère sexuel, insinuations racistes... La candidate démocrate et vice-présidente Kamala Harris est depuis des années la cible d'attaques sexistes et racistes, et d'un flot de faux contenus sur les réseaux sociaux. Et cela ne s'arrange pas depuis l'annonce de sa candidature à la Maison Blanche.

Image
Harris/Trump

La vice-présidente Kamala Harris le 30 juillet 2024, et l'ancien président Donald Trump, le 3 août, à Atlanta, en Géorgie. Le public de Kamala Harris est majoritairement composé de Noirs et de femmes, celui de Donald Trump, majoritairement blanc. Tous deux sont candidats à l'élection présidentielle qui aura lieu en novembre 2024 aux Etats-Unis.

AP
Partager6 minutes de lecture

Propulsée dans la course à la présidentielle après le retrait de Joe Biden, le 21 juillet, Kamala Harris est la première femme noire et originaire d'Asie du Sud à viser la présidence. 

Tweet URL

Deux semaines après l'annonce de sa candidature, l'actuelle vice-présidente a réussi à s'imposer et représentera les démocrates à l'élection présidentielle du 5 novembre 2024. Si, normalement, l'investiture officielle du candidat a lieu lors d'une grande convention du parti – prévue cette année à Chicago du 19 au 22 août – les démocrates ont décidé d'anticiper ce vote, qui s'est tenu du 1er au 5 août, en ligne, comme pendant la pandémie de Covid-19. 

Avant même la fin du vote, les démocrates annoncent que la vice-présidente a recueilli le soutien de plus de la moitié des délégués pour son investiture. Un couronnement éclair qui fait d'elle la candidate de son parti à l'élection présidentielle de novembre 2024 contre Donald Trump.

Désinformation

L'élection présidentielle américaine donne traditionnellement lieu à de nombreuses campagnes de désinformation. A mesure que l'échéance du 5 novembre 2024 approche, les chercheurs s'attendent à ce Kamala Harris soit particulièrement ciblée. D'autant que les outils d'intelligence artificielle (IA), désormais largement accessibles et capables de produire de fausses images hyper réalistes, menacent de perturber encore davantage la campagne. 

Il est essentiel de nommer ces discours et mensonges pour ce qu'ils sont: : une tentative de dénigrer le travail d'une femme puissante, simplement à cause de son genre, de son milieu et de sa couleur de peau. Nina Jankowicz

Le réseau X, dont le propriétaire, Elon Musk a pris fait et cause pour le concurrent républicain, Donald Trump, a largement réduit sa modération des contenus, permettant à des comptes reconnus pour leur rôle dans la propagation de faux contenus et de contenus dénigrant de reprendre du service. Lui-même a relayé auprès de ses 192 millons d'abonnés un faux clip de campagne de Kamala Harris dans lequel une voix imitant celle de la candidate démocrate y qualifie Joe Biden de sénile et affirme "ne pas du tout savoir gérer le pays".

Tweet URL

L'annonce de la candidature de Kamala Harris a ainsi entraîné un déferlement de contenus sexistes et d'allégations mensongères, dont certaines déjà contredites par le passé – d'aucuns expliquent, par exemple, sa carrière politique par le fait qu'elle serait en réalité un homme... 

Plusieurs personnalités conservatrices assurent que Kamala Harris aurait "atteint le sommet" de la politique américaine grâce à des faveurs sexuelles, pointant sa courte relation avec l'ancien maire de San Francisco, Willie Brown, un homme marié de 30 ans son aîné, à qui elle devrait des avantages et des postes à responsabilité qui l'ont lancée. 

Tweet URL

Une photographie la montrant aux côtés de Jeffrey Epstein – financier américain qui s'est suicidé en prison en 2019 avant de pouvoir être jugé pour crimes et trafic sexuels – a également resurgi. Or il s'agit là d'un photomontage, l'image de Jeffrey Epstein ayant été apposée sur celle du mari de la vice-présidente, Douglas Emhoff.

Tweet URL

"Il est essentiel de nommer ces discours et mensonges pour ce qu'ils sont: : une tentative de dénigrer le travail d'une femme puissante, simplement à cause de son genre, de son milieu et de sa couleur de peau", dénonce Nina Jankowicz, cofondatrice de l'American Sunlight Project, qui lutte contre la désinformation.

Tweet URL

Au-delà du sexisme

Lors des précédentes élections, en 2020, Nina Jankowicz dirigeait une étude révélant que treize femmes politiques avaient été visées par plus de 336 000 contenus relatifs à de la désinformation ou des insultes basées sur le genre. 78% de ces attaques ciblaient déjà Kamala Harris.

Elle coche toutes les cases susceptibles d’exciter les semeurs de haine sur Internet : c’est une femme, de couleur, qui occupe un poste de pouvoir. Los Angeles Times

Lorsque le président américain, Joe Biden a annoncé qu’il allait nommer une femme à la vice-présidence, la députée démocrate Jackie Speier avait tout de suite mis en garde les responsables de Facebook : “Les femmes politiques sont la cible des pires attaques en ligne, expliquait-elle, et les filtres de Facebook sont incapables de les arrêter.” 

"Près d'un an plus tard", pouvait-on lire dans le Los Angeles Times en 2021, la vice-présidente, Kamala Harris, “est sans doute aujourd’hui la personnalité politique américaine la plus attaquée sur les réseaux sociaux, parce qu’elle coche toutes les cases susceptibles d’exciter les semeurs de haine sur Internet : c’est une femme, de couleur, qui occupe un poste de pouvoir”.

Métisse

Ces attaques ne se limitent pas à des allusions sexistes. Certains assurent ainsi que la vice-présidente, née aux Etats-Unis, ne peut pas être candidate puisqu'aucun de ses parents n'était citoyen américain naturel à sa naissance – un message "aimé" par des dizaines de milliers d'internautes. D'autres, en revanche, l'accusent d'"exagérer" ses origines ethniques pour espérer en tirer un avantage politique. A commencer par son rival Donald Trump, qui hérite d'une nouvelle concurrente, une femme noire, de 18 ans sa cadette, face à qui il tente d'affûter de nouveaux arguments. 

Première allusion à son identité raciale, le candidat républicain accuse Kamala Harris de s'exprimer avec un faux accent du Sud des Etats-Unis. Puis le 31 juillet 2024, il l'accuse d'être "devenue noire" pour des raisons électoralistes : "Elle était indienne à fond et, tout d'un coup, elle a changé et elle est devenue une personne noire", lance-t-il lors d'un échange avec des journalistes afro-américaines à Chicago. 

Tweet URL

Kamala Harris, née d'un père jamaïcain et d'une mère indienne, est pourtant bien la première femme noire et originaire d'Asie du Sud à viser la présidence. La quinquagénaire, qui se définit elle-même comme une "femme noire", a balayé le "manque de respect" de Donald Trump d'un revers de main, en assurant simplement que les Etats-Unis "méritaient mieux" que cela.

Tweet URL

Désinformation genrée

La désinformation genrée – narratifs mensongers ou trompeurs fondés sur le genre – est une réalité pour bien des femmes politiques à travers le monde, ces attaques visant à salir leur réputation, détruire leur crédibilité et leur carrière. Une réalité encore plus prégnante pour les femmes noires.

Les femmes de couleur étaient deux fois plus susceptibles que les autres candidats d'être la cible ou le sujet de fausses informations et de désinformation. Centre pour la démocratie et la technologie

Lors des élections locales et nationales de 2020, les candidates issues de minorités ethniques étaient davantage ciblées par les abus sexistes en ligne, deux fois plus exposées aux campagnes de désinformation que d'autres candidats et cinq fois plus à des tweets les attaquant sur leur identité, leur sexe et leur race, selon un rapport du Centre pour la démocratie et la technologie, basé à Washington. Elles étaient également quatre fois plus susceptibles d'être ciblées par des violences que des candidats blancs. "Les femmes de couleur étaient deux fois plus susceptibles que les autres candidats d'être la cible ou le sujet de fausses informations et de désinformation."

Dès sa nomination comme colistière de Joe Biden, Kamala Harris est la cible de mèmes jouant sur des "caractères racistes et sexistes basés sur le stéréotype historique de la femme noire", soulignent les chercheurs. Une étude similaire menée à l'université de San Diego sur le discours autour de Kamala Harris sur Twitter en 2020 révèle la récurrence de clichés de genre "utilisés contre d'autres candidates (artificielle, ambitieuse), mais aussi de stéréotypes raciaux utilisés contre Barack Obama (violent, dangereux, pas assez noir)". Mais ce qui était spécifique à Kamala Harris, c'était la prévalence de "stéréotypes oppressifs et d'images de contrôle liés à son intersectionnalité en tant que femme noire (dure, agressive, aux mœurs sexuelles légères...)"

Tweet URL

Partialité des réseaux sociaux

Selon article récent du New Republic, les utilisateurs de X ont des difficultés à accéder à la page officielle de Kamala Harris. Décision délibérée ou simple problème technique ? Difficile de répondre à cette question. Cependant, il existe de réelles craintes que les plateformes de médias sociaux soient plus favorables à la campagne de Trump, et le fait qu'Elon Musk lui-même ait partagé le post très douteux sur les liens de Kamala Harris avec le rappeur Diddy, accusé de violences sexuelles par plusieurs femmes, montre que ces craintes sont justifiées.

Tweet URL

"Nous devons nous attendre au spectre complet de la désinformation", prévient Ronald Deibert, directeur de recherche à l'Université de Toronto, allant de "productions d'amateurs" à "des opérations d'influence très organisées, parfois soutenues part des puissances étrangères".

Une femme nullipare

Dans une vidéo datant de 2021, J.D. Vance, colistier de Donald Trump, accuse les démocrates au pouvoir d'être une bande de "femmes à chats malheureuses" qui "veulent donc rendre le reste du pays malheureux lui aussi" et n'ayant pas d'"intérêt direct" au bien du pays, puisque dépourvues de progéniture. En anglais, l'expression cat lady n'est autre qu'un cliché misogyne dépeignant des femmes faisant le choix de vivre sans partenaire ni enfant, entourées seulement de chats.

Depuis plus de dix ans, depuis que Cole et Ella sont adolescents, Kamala est coparent avec Doug et moi. J'aime notre famille recomposée et je suis ravie qu'elle en fasse partie. Kerstin Emhoff 

Des propos qui ont déclenché un tollé chez les partisans de Kamala Harris, à laquelle il a fait directement référence. Pourtant, la vice-présidente élève ses deux beaux-enfants avec son conjoint Doug Emhoff. Plusieurs célébrités ont pris sa défense, à commencer par Whoopi Goldberg, devenue animatrice de télévision. Jennifer Aniston a aussi réagi : "Je n'arrive vraiment pas à croire que cela vienne d'un potentiel vice-président des Etats-Unis", écrit sur Instagram l'ex-star de Friends, qui a confié ses problèmes d'infertilité par le passé. Quant à la chanteuse Tyalor Swift, ses fans l'ont élue égérie de la révolte contre les paroles du colistier de Donald Trump.

Tweet URL

Egalement visé par J.D. Vance dans la vidéo, le ministre des Transports Pete Buttigieg, aujourd'hui père de deux enfants, raconte avoir eu des difficultés personnelles à adopter avec son compagnon. "Il ne pouvait pas le savoir, mais c'est peut-être pour cela qu'il ne faut pas parler des enfants des autres", fait valoir sur CNN celui qui a été considéré comme un colistier potentiel pour Kamala Harris.

Cette dernière a aussi trouvé un soutien auprès de la mère biologique de ses deux beaux-enfants. "Depuis plus de dix ans, depuis que Cole et Ella sont adolescents, Kamala est coparent avec Doug et moi", raconte Kerstin Emhoff sur CNN. "J'aime notre famille recomposée et je suis ravie qu'elle en fasse partie". Agée de 25 ans, Ella Emhoff, qui surnomme Kamala Harris "Momala" a également défendu sa belle-mère sur Instagram : "Comment peut-on être 'sans enfant' quand on a des enfants tout mignons comme Cole et moi. J'aime mes trois parents".

Les propos de J.D. Vance touchent les femmes de tous bords, même mes amies les plus conservatrices qui soutiennent Trump. Meghan McCain

Certains partisans de Kamala Harris font remarquer qu'un homme ne subirait pas les mêmes critiques. Une poignée d'anciens présidents n'ont d'ailleurs jamais eu d'enfant. A commencer par George Washington, le premier président des Etats-Unis, qui lui aussi a élevé les enfants de son épouse issus d'un précédent mariage. Pour Meghan McCain, fille du sénateur républicain et ancien candidat à la présidentielle John McCain, aujourd'hui décédé, les propos de J.D. Vance touchent des "femmes de tous bords, même mes amies les plus conservatrices qui soutiennent Trump". 

Soutenu par certains républicains conservateurs, J.D. Vance est allé jusqu'à suggérer, toujours en 2021, que le vote des personnes ayant des enfants devrait compter davantage, selon le journal Washington Post. Les propos de J.D. Vance ressurgissent alors que droit à l'avortement est l'un des chevaux de bataille des démocrates pour la présidentielle, un scrutin au cours duquel le vote de femmes sera crucial.

Pour le droit à l'avortement 

Les mots de Donald Trump sont particulièrement crus à l'égard de la vice-présidente lorsqu'il s'agit de ses positions pour le droit à l'avortement. Lors d'un événement en Caroline du Nord, le 24 juillet 2024, il l'accuse d'être en faveur de l'"exécution de bébés... Elle veut des avortements au huitième et au neuvième mois de la grossesse, jusqu'à la naissance et même après la naissance, l'exécution de bébés", a lancé le candidat républicain.

Ces attaques font écho au positionnement intraitable de Kamala Harris en faveur du droit à l'interruption volontaire de grossesse, un sujet crucial dans la société américaine sur lequel elle dispose de 12 points d'avance sur Donald Trump, selon un sondage YouGov réalisé fin juillet 2024. Ce combat ne date pas d'hier pour Kamala Harris : alors membre du parquet général de Californie, elle avait combattu les pratiques trompeuses des militants anti-avortement. Et en tant que sénatrice, elle s'était montrée très critique du juge Brett Kavanaugh, lors de son audition de confirmation avant sa nomination à la Cour Suprême.

Tweet URL

"Nous mettrons fin à l'extrémisme de Donald Trump pour interdire l'avortement car nous savons que les femmes doivent prendre les décisions qu'elles souhaitent concernant leur corps, sans que le gouvernement n'ait son mot à dire !", affirme lors d'un meeting de campagne la candidate du Parti démocrate. Le groupe pro-avortement "Liberté reproductive pour toutes" estime par la voix de sa dirigeante Mini Timmaraju, que "personne ne s'est autant battu pour garantir le droit et l'accès à l'avortement" que Kamala Harris.

Deux ans après que la majorité conservatrice à la Cour Suprême, issue des nominations de Donald Trump, a mis fin à la protection fédérale du droit à l'avortement, la candidature d'une militante sincère de la cause pourrait mobiliser les électeurs progressistes en faveur des démocrates et faire la différence dans un scrutin qui s'annonce serré.

(Re)lire dans Terriennes  ⇢ Droit à l'avortement aux Etats-Unis : une affaire publique

Sur ce sujet, Kamala Harris se démarque aussi de Joe Biden, qui n'avait que 5 points d'avance sur le candidat conservateur. L'actuel président s'est toujours montré prudent sur ce terrain,  rappelant régulièrement son éducation catholique pour justifier de sa gêne. Lors de son entrée au Sénat, en 1973, Joe Biden avait estimé que la Cour Suprême était "allée trop loin" en statuant en faveur d'une protection fédérale du droit à l'avortement, dans le célèbre arrêt Roe contre Wade. En 2006, encore, il décrivait la procédure médicale comme étant "toujours une tragédie" et "pas nécessairement un choix et un droit". Selon Marc Trussler, chercheur en sciences politiques à l'Université de Pennsylvanie, "le message de Kamala Harris passe clairement mieux" que celui de Joe Biden.

Je ne crois pas que les gens comprennent clairement à quel point les femmes sont en colère... Jessica Valent

"Ce qui rend Kamala Harris dangereuse pour Donald Trump sur la question de l'avortement est que, contrairement à lui, elle sait de quoi elle parle et elle peut canaliser la colère des électrices, estime l'auteure féministe Jessica Valent. Je ne crois pas que les gens comprennent clairement à quel point les femmes sont en colère... Et Kamala Harris a la possibilité de capitaliser là-dessus".

"Cinglée, menteuse, gauchiste radicale" et autres noms d'oiseau

"C'est bizarre, il y a deux semaines , je ne connaissais même pas son nom, à elle", lance Donald Trump lors d'un meeting de campagne en Pennsylvanie. Le fait est que candidat républicain a dû revoir sur le tas sa stratégie électorale avec le retrait inattendu de Joe Biden de la campagne. D'autant que les deux candidats sont désormais au coude à coude dans les intentions de vote.

"Elle va détruire notre pays", lance Donald Trump, avant d'affubler la vice-présidente d'un nouveau sobriquet : "Kamala la menteuse". "C'est une cinglée de la gauche radicale", affirme-t-il face à ses partisans, coiffés de leurs traditionnelles casquettes rouges. "Elle est folle, elle est folle", répète-t-il, surtout lorsque résonne l'un des célèbres éclats de rire de Kamala Harris. Dans une interview à Fox News, iI a aussi suggéré que la candidate n'était pas à la hauteur pour tenir tête à d'autres dirigeants mondiaux, et se montre particulièrement critique du bilan et des positions de la vice-présidente en matière d'immigration, de sécurité et d'environnement. 

Tweet URL

(Re)lire dans Terriennes : 

Kamala Harris, première présidente des Etats-Unis ?

Elections aux Etats-Unis : peu à peu, le Congrès se féminise

Election américaine : où en sont les droits des femmes à l'issue du mandat Trump ?