Fil d'Ariane
C'était le 11 octobre 2016. La députée écologiste Isabelle Attard, l'une de celles qui avaient dénoncé les comportements abusifs à l'Assemblée nationale (et ailleurs) de son collègue Denis Baupin, réitérait ses attaques, publiquement, cette fois à l'encontre d'un ministre (et proche) de François Hollande, celui, peu connu, de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales, mais un homme tout puissant dans son fief du sud ouest où sa famille possède plusieurs médias.
En plein hémicycle (mais presque vide), d'une voix calme, douce, alors que les élus débattaient d'un projet de loi sur les régions montagneuses, Isabelle Attard revenait sur la plainte de l'assistante parlementaire d'alors, Bernadette Bergon qui avait accusé Jean-Michel Baylet de lui avoir donné des coups "au visage" à plusieurs reprises. Une sortie qu'elle justifie par l'engagement non tenu du Premier ministre Manuel Valls, de ne nommer dans son gouvernement que des personnes irréprochables dans leur comportement avec les femmes : "Vous avez choisi le silence face à ces informations qui dérangent. Aucun innocent n'aurait choisi de se taire. Par votre silence, vous reconnaissez être auteur de violences graves commises sur votre collaboratrice. Certes, vous ne serez jamais condamné, vous avez acheté le silence de votre victime..." Le micro de la députée a été coupé à deux reprises. Elle n'a pas pu terminer son discours.
Mais elle s'est rattrapée en s'exprimant longuement par écrit sur ce sujet. Et là personne n'a pu censurer ses propos...
Comment un responsable de violences contre une femme peut-il devenir ministre ? : https://t.co/5LltOgpJaF
— Députée Attard et al (@TeamIsaAttard) 11 octobre 2016
Le temps où l'on baîllonnait les femmes, en particulier celles qui osaient se lancer dans l'arène politique, semble bel et bien révolu. Les Américaines donnent de la voix outre-Atlantique, contre Donald Trump et ses très mauvaises manières. Voici que des attachées parlementaires françaises libèrent la parole de leurs consoeurs malmenées à longueur de temps et de travail.
"L’ambiance générale est mauvaise, disons-le, dans les palais de la République. Pour peu que vous soyez une femme, une collaboratrice qui plus est, vous vous sentirez vite étouffée par les regards lourds, les sous-entendus graveleux et les réflexions humiliantes qui ne font rire que leurs auteurs. Nous entendons chaque jour des anecdotes sur des situations inappropriées. Cela va de la simple (et très courante) remarque « Elle est belle ta robe dis-moi, elle te met bien en valeur, je ne suis pas sûr de pouvoir me concentrer ce matin » aux comportements déplacés, comme celui-ci : « Un midi, dans l’ascenseur avec des collègues. Un député entre. Il me déshabille du regard quinze fois… Une avalanche de coups d’œil salaces pendant les cinq étages qui restent à descendre. Je baisse les yeux, je me sens hypermal, je ne sais plus où me mettre, où poser mon propre regard. Arrivé en bas, un de mes collègues commente : “Ah bah dis donc, tu as plu au monsieur.” Oui, apparemment, pour certains, je ne suis que de la chair fraîche. De façon épisodique, avec notamment l’affaire Baupin, l’affaire Tron, l’affaire DSK, et l’actuel cas Baylet, le monde politique s’insurge contre l’un de ses membres qui aurait simplement 'dérapé'. Ces affaires sont des cas extrêmes de harcèlement ou d’agression sexuelle, mais les propos et agissements sexistes sont le quotidien des femmes en politique, qu’elles soient élues ou collaboratrices", expliquent-elles dans une tribune parue dans Le Monde daté du 18 octobre 2016.
Elle est belle ta robe dis-moi, elle te met bien en valeur, je ne suis pas sûr de pouvoir me concentrer ce matin
Et pour enrayer ces attitudes constantes et harrassantes, relayées parfois par des femmes, pour "libérer une parole trop longtemps étouffée", Mathilde Julié-Viot, Charlotte Lestienne, Julie Rosenkranz et Charlotte Soulary, comme quatre mousquétrices, ont créé un site "chair collaboratrice", jeu de mots, on l'aura compris entre "chair et chère" où chacune pourra témoigner, anonymement et au quotidien, de ce harcèlement.
Elles travaillent pour des députés de gauche, respectivement l'écologiste Noël Mamère, les socialistes Mathieu Hanotin et Laurent Kalinowski, et l'ex-PS Pouria Amirshahi qui soutiennent leur démarche, et ont rallié déjà une dizaine de collaboratrices et fonctionnaires de l'Assemblée.
L'initiative a déjà reçu un bon accueil sur les réseaux sociaux, moins au Parlement, où l'on a pu entendre un député se gausser d'une attaque menée "par des personnes qui typiquement aimeraient être l'objet de plus d'attention". (sic).
Un échange qui ne m'est que trop familier... #ChairCollaboratrice pic.twitter.com/jKaRsBxBBx
— Melanie Ullmo (@melanie_ullmo) 18 octobre 2016
Donc pas de garde fou face au harcèlement. Ca n'explique bien sûr pas tout, mais un peu qd même #ChairCollaboratrice https://t.co/P2YBTEHvTc
— Elsa Fcrt (@elsaaa_f) 17 octobre 2016
Mais parler ne suffira pas pour renverser la donne. Quelques jours avant le lancement de chaircollaboratrice.com, le Sénat rejetait un article additionnel visant à rendre systématique la peine d’inéligibilité en cas de violences ou d’agression sexuelle. Ce qui fait immédiatement réagir une autre élue, régionale, écolo, avec interpellation au président de la Chambre haute, Gérard Larcher.
Hé bien @gerard_larcher Le harcèlement des collaboratrices du #Senat ne semble pas beaucoup vous soucier #ChairCollaboratrice
— Annie lahmer (@annielahmer) 18 octobre 2016
Côté suisse ça bouge aussi l’ancienne conseillère nationale (équivalent helvète d'une parlementaire) Aline Trede, verte également et ce n'est sans doute pas un hasard, a ainsi décrit comment le maire de Berne lui avait posé la main sur le genou, alors qu’ils siégeaient tous les deux dans un jury.
Tout est parti de la vidéo dans laquelle Trump se vante de pouvoir faire tout ce qu’il veut avec les femmes, de les embrasser sans leur accord et les «attraper par la chatte» lors de la préparation d’une émission pour NBC en 2005. En plus de faire perdre de nombreux soutiens au trublion républicain, le scandale a libéré la parole des femmes victimes de harcèlement, ailleurs dans le monde.
Et Aline Trede se réjouit de voir le succès du mot dièse inventé par les suissesses alémaniques #SchweizerAufschrei (un cri suisse), et qu'il fasse la Une des journaux, comme Le Temps francophone.
#SchweizerAufschrei hats auf Front der 4 grossen Sonntagsblätter geschafft. Hoffentlich keine Eintagsfliege... @sonntags_blick @NZZaS
— aline trede (@alinetrede) 16 octobre 2016
#SchweizerAufschrei est apparu notamment en opposition à l’élue UDC Andrea Geissbühler, membre de l'UDC, un parti populiste et raciste. La goutte d'eau de trop versée par une femme donc, qui doit ressembler quelque peu aux membres du teaparty qui rient à chaque turpitude de leur champion Donald Trump. En évoquant la légèreté des peines pour viol, Andrea Geissbühler avait déclaré à TeleBärn que les «femmes naïves» portent une responsabilité lorsqu’elles «amènent à la maison des inconnus, se laissent aller pour décider finalement qu’elles ne veulent pas de rapport sexuel».
Depuis, de nombreuses femmes politiques, surtout de gauche, ont décrit sur Twitter les propos déplacés dont elles ont été victimes. Comme la conseillère nationale socialiste Mattea Meyer qui a évoqué la fois où des collègues politiques lui ont demandé «en riant, à quand la publication de sa photo nue». Et qui depuis signale chaque abus auquel elle assiste, dans la rue ou comme élue.
Die Rats"kollegen", die dich kichernd fragen, wann es Nacktbilder gibt von dir. #SchweizerAufschrei
— Mattea Meyer (@meyer_mattea) 13 octobre 2016
Une culture patriarcale généralisée
La presse alémanique a pris le relais le week end du 15 et 16 octobre 2016 en donnant la parole à des politiciennes. La conseillère nationale verte libérale a évoqué dans «Aargauer Zeitung» une «culture patriarcale» généralisée.
Mais les Romandes aussi témoignent. Dans 24 heures, quatre élues témoignent, elles aussi, du sexisme ambiant. «Il y a parfois des allusions, des gestes, des effleurements ou des attitudes pseudo-affectueuses qui mettent mal à l’aise», explique la Conseillère nationale verte Lisa Mazzone. «Au parlement, c’est une ambiance de caserne», renchérit la PLR (parti libéral radical) Isabelle Moret.
En 2015, l’UDC avait tourné en ridicule, dans une vidéo, l’accusation de viol de la députée Zougoise (canton au centre septentrional de la confédération, ndlr) Jolan Spiess-Hegglin par l’élu UDC Markus Hürlimann. Pas sûr que le parti oserait encore en rire aujourd’hui.