Sexiste Orelsan ? Le rappeur relaxé au nom de la liberté d'expression

Le rap d'Orelsan constitue-t-il une provocation à la violence envers les femmes? Non, a tranché la justice. Jeudi 18 février 2016 l'artiste était rejugé à Versailles pour les textes de plusieurs chansons. Poursuivi par des associations féministes, il a été relaxé au bénéfice de la "liberté d'expression".
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Orelsan en concert
Orelsan en concert au Festival Les Nuits Secrètes à Aulnoye-Aymeries, Nord-Pas-de-Calais le 4 août 2013.
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"Orelsan est ravi, soulagé, très flatté", a déclaré son avocat, Me Simon Tahar, saluant une "reconnaissance du caractère presque absolu de la liberté de création et de la liberté artistique" et "les termes extrêmement forts" de la cour d'appel de Versailles,"qui ne laissent place à aucune équivoque".

"C'est une très grande déception", a réagi pour sa part Me Alain Weber, avocat des cinq associations féministes qui poursuivaient le rappeur, dénonçant des textes "d'une violence inouïe": huit chansons interprétées par le rappeur de 33 ans, de son vrai nom Aurélien Cotentin, lors d'un concert à Paris en mai 2009.

La cour n'a pas à juger les sources d'inspiration d'un artiste

Les juges estiment dans leur décision que "sanctionner" ces textes "reviendrait à censurer toute forme de création artistique inspirée du mal-être, du désarroi et du sentiment d'abandon d'une génération, en violation du principe de la liberté d'expression. La cour n'a pas à juger les sources d'inspiration d'un artiste", ont-ils ajouté.

L'artiste "n'a jamais revendiqué" publiquement "la légitimité des propos violents, provocateurs ou sexistes tenus par les personnages de ses textes qu'il qualifie lui-même de 'perdus d'avance'", soulignent les magistrats.

En outre, ajoute la cour, "une écoute exhaustive et non tronquée de ses chansons permet de réaliser qu'Orelsan n'incarne pas ses personnages" et que la "distanciation" entre eux est "évidente".

Le rap n'est "pas le seul courant artistique exprimant dans des termes extrêmement brutaux la violence des relations entre garçons et filles", notent encore les magistrats, qui citent le cinéma et préviennent: "Il serait gravement attentatoire à la liberté de création que de vouloir interdire ces formes d'expression."

Deux poids, deux mesures ?


"Nous verrons si nous formons un pourvoi" en cassation, a ajouté l'avocat des associations Chiennes de garde, Collectif féministe contre le viol, Fédération nationale solidarité femmes, Femmes solidaires, Mouvement français pour le planning familial.

Si ces propos avaient été appliqués "à des Noirs, des homosexuels, des juifs, des personnes handicapées, il ne fait aucun doute que nous serions entrés en voie de condamnation", a estimé le défenseur. Une réaction qui rejoint celle du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH), qui estime le droit inadapté à cette explosion de violence verbale contre les femmes.

Communiqué du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, après la relaxe d'Orelsan, 19 février 2016 :
"
En mai 2013, la condamnation du rappeur en première instance à 1000 euros d’amende avec sursis constituait une décision inédite puisqu’il s'agissait de la première condamnation en France pour injures et provocation à la violence à raison du sexe. Depuis 2004 et la création de ce délit dans la Loi, aucune condamnation n'a jamais été prononcée sur le motif de diffamation, d’injures, ou de provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe, par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique. Le Haut Conseil à l’Egalité estime que le non lieu prononcé confirme la nécessité de renforcer le cadre juridique français contre le sexisme.
L’affaire Orelsan illustre une fois de plus que les propos, injures et discriminations sexistes bénéficient d’une tolérance sociale considérable. Pris séparément, ils ne sont pas analysés comme étant constitutifs d’un environnement sexiste - dans l’art, dans le milieu professionnel, au sein de la famille,...- aux conséquences tragiques. Or, ces comportements constituent le terreau des violences machistes à l’égard des femmes. Le droit et son application ne contribuent pas suffisamment à les combattre. Pour contribuer à faire avancer la réflexion, le HCE a entamé une étude juridique sur les rapports entre liberté d’expression, liberté de création et arsenal juridique pour lutter contre le sexisme, en partenariat avec les équipes de juristes du programme REGINE et de la clinique du droit EUCLID de l’Université Paris Ouest Nanterre.
Alors que l’agissement sexiste vient d’être introduit dans le Code du travail par la loi relative au dialogue social et à l’emploi et alors que la Belgique a adopté en 2014 une loi ambitieuse contre le sexisme, le Haut Conseil à l’Egalité souhaite que soit étudiée la possibilité d’une meilleure qualification du sexisme dans notre Code Pénal."

On parle pas la même langue

"Je suis d'accord avec le combat des gens qui ont porté plainte", avait assuré Orelsan à la barre, en décembre. Le président avait complété: "Mais on parle pas la même langue, c'est ça?"

Le rappeur avait défendu des propos "ironiques", certes parfois "d'hyper mauvais goût", placés dans la bouche d'un "personnage fictif". Les associations, elles, avaient fustigé des textes visant "les femmes, comme une catégorie générale" et dit n'y déceler aucune "distanciation" du rappeur. L'avocat général n'avait pas formulé de réquisitions.

En première instance, devant le tribunal correctionnel de Paris, en 2013, l'artiste avait été condamné à 1000 euros d'amende avec sursis pour certains des passages litigieux.

Renseigne-toi sur les pansements et les poussettes, j'peux t'faire un enfant et t'casser le nez sur un coup d'tête

Les juges avaient considéré l'expression "les meufs c'est des putes" comme une injure sexiste. Pour "renseigne-toi sur les pansements et les poussettes, j'peux t'faire un enfant et t'casser le nez sur un coup d'tête", ainsi que "ferme ta gueule ou tu vas t'faire marie-trintigner (...)", Orelsan avait été reconnu coupable de "provocation à la violence à l'égard d'un groupe de personnes en raison de leur sexe".

Il avait fait appel et, en 2014, la cour d'appel de Paris avait jugé les poursuites prescrites. La Cour de cassation avait annulé cette décision en juin et ordonné ce troisième procès.

Poursuivi par l'association "Ni putes ni soumises" pour la chanson "Sale Pute", au cœur d'une vive polémique en 2009, le rappeur avait été relaxé par le tribunal correctionnel de Paris en 2012.

Misogynie de la chanson française

Johanna Luyssen, pour le quotidien Libération, rappelle bien à propos dans une "brève chronologie du sexisme, de Ferré à Orelsan", que la variété française est jalonné de textes misogynes.

« Le comble enfin, misérable salope/Comme il n’restait plus rien dans le garde-manger/T’as couru sans vergogne, et pour une escalope / Te jeter dans le lit du boucher ! » répétait Georges Brassens dans "Putain de toi". Le "doux" Michel Delpech, disparu et tant pleuré en ce début 2016, s'extasiait du vivier de groupies qui l'accompagnait : "Après une longue route/Sous la pluie que l’on redoute/Quand les filles nous écoutent/C’est bon, que c’est bon/De choisir une minette. Dans ces filles à vedette/Qui ne sont venues que pour ça. C’est bon de serrer dans ses bras/Une groupie, une groupie."

« J’ai envie de violer des femmes/De les forcer à m’admirer/Envie de boire toutes leurs larmes/Et de disparaître en fumée », beugle Michel Sardou dans Les villes de solitude (la chanson avait fait polémique aussi à l'époque).

Quant à Leo Ferré, il n'était pas toujours poète quand il proclamait, parce qu'il "avait peur des femmes" que "L'intelligence des femmes c'est dans les ovaires, elles ont tout pris vous comprenez ?".

Orelsan
Orelsan, une gueule d'ange qui profère des gros mots à longueur de texte
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"Sale pute" (2012), les paroles qui firent et font toujours polémique

Attends bouge pas j’ai un mail d’Orel j’te rappelle
Ce soir j’suis rentré du taff plus tôt que d’habitude
Je suis passé chez toi pour te faire une surprise
Quand j’suis arrivé t’étais dans ton hall avec l’autre type qui est en cours
Avec toi
Et je vous ai vu…
Je vous ai vu vous jeter sur l’autre, il passait les mains sous ton pull
Pendant que tu l’embrassais
Putain j’avais envie de vous tuer j’étais choqué j’croyais que tu étais
Différente des autres pétasses
J’te déteste j’te hais

J’déteste les petites putes genre Paris Hilton
Les meufs qui sucent des queues de la taille de celle de Lexington
T’es juste bonne à te faire péter le rectum
Même si tu disais des trucs intelligents t’aurais l’air conne
J’te déteste j’veux que tu crèves lentement
J’veux que tu tombes enceinte et que tu perdes l’enfant
Les histoires d’amour ça commence bien ça fini mal
Avant je t’aimais maintenant j’rêve de te voir imprimée de mes empreintes digitales
Tu es juste une putain d’avaleuse de sabre, une sale catin
Un sale tapin tout ces mots doux c’était que du baratin
On s’tenait par la main on s’enlaçait on s’embrassait
On verra comment tu fais la belle avec une jambe cassée
On verra comment tu suces quand j’te déboiterai la mâchoire
T’es juste une truie tu mérites ta place à l’abattoir
T’es juste un démon déguisé en femme j’veux te voir briser en larme
J’veux te voir rendre l’âme j’veux te voir retourner brûler dans les flammes

Poupée je t’aimais mais tu m’as trompé
T'as rencontré un keum tout peté tu l'as pompé t'es juste une sale pute
Une sale pute, une sale pute, une sale pute, une sale pute

J’déteste les sales trainées comme Marjolaine
Les petites chiennes les chichiteuses les filles à problèmes
J’rêve de la pénétrer pour lui déchirer l’abdomen
Je t’emmènerai à l’hôtel je te ferai tourner dans ma villa romaine
Tu suces pour du liquide tu te casses à marrée basse
Pétasse tu mériterais seulement d’attraper le DAS
Le seul liquide que je t’ai donné c’est mon sperme
Si j’te casse un bras, considère qu’on s’est quitté en bons termes
J’t'aime j’ai la haine j’te souhaite tout les malheurs du monde
J’veux que tu sentes la chaleur d’une bombe j’veux plus jamais que tu me
Trompes
J’étais trop fidèle (sale pute)
J’ai les nerfs en pelote (sale pute)
J’vais te mettre en cloque (sale pute)
Et t’avorter à l’Opinel

[La fille en question]
« Oh mais c est de ta faute t’étais jamais là pour moi »

Oh je m’en bats les couilles c’était de la faute à qui
J’te collerai contre un radiateur en te chantant "Tostaky"’
J’veux que tu pleures tous les soirs quand tu tu t’ endors
Parce que t’es du même acabit que la pute qu’à ouvert la boite de pandore

J'ai la haine j’rêve de te voir souffrir
J'ai la haine j’rêve de te voir souffrir baby
J'ai la haine j’rêve de te voir souffrir
J'ai la haine j’rêve de te voir souffrir baby