Une organisation pionnière de la défense des droits des personnes LGBTI née tout d’abord en 2014 à Tunis, sur Facebook et ensuite en 2015 comme organisme structuré autour d'une poignée de membres qui dénoncent, au péril de leur vie, les lois discriminatoires criminalisant les homosexuel-les et soutiennent psychologiquement et matériellement ces personnes marginalisées.

Une fois que les invités ont pris place, il est temps de commencer… par une minute de silence. Un hommage est rendu aux victimes de l’attentat homophobe d’Orlando. « C’est la preuve que nous devons continuer à faire valoir les droits des personnes LGBT», s’indigne Geneviève Garrigos, présidente jusqu’il y a peu d’Amnesty International.
Psychologue clinicienne, activiste des droits de l’Homme et féministe, Ibtissame Betty Lachgar pointe du doigt le rôle néfaste du patriarcat dans cette tragédie et aussi celui du traitement médiatique de celle-ci en France. Dans un premier temps, seul un quotidien de la presse régionale a clairement signalé le caractère homophobe de l’attaque : « C’était parfaitement ciblé. Le Pulse est une boîte gay et le père de l’auteur des faits a explicitement dit que son fils avait un problème avec les homosexuels. C’est l’inconscient collectif qui rend invisibles ces victimes. C’est une vision hétéronormée des choses que nous devons combattre».
L'attentat homophobe d'#Orlando est dans les esprits de tous les intervenants #ShamsFrance
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) 14 juin 2016
Yadh Krendel, président co-fondateur de Shams-Tunisie et de Shams-France, avec Yacine Djebelnouar, acquiesce. Les menaces, il connaît par cœur et son ennemi à lui est aussi le patriarcat : « Ce qui s’est passé à Orlando nous donne encore plus envie de nous battre contre l’obscurantisme ». Quand le jeune étudiant a créé avec d’autres camarades la « sulfureuse » association tunisienne en 2015, le gouvernement a tout fait pour leur mettre des bâtons dans les roues, ils ont subi des pressions de la part du pouvoir ainsi que de la part des islamistes.
De nombreux membres de l’association ont dû demander l’asile à l’étranger, notamment en France. C’est le cas de Yadh Krendel, dont le coming-out a été pourtant bien accepté par sa famille : « Je ne m’assumais pas. Mais une fois que j’ai compris qui j’étais, j’ai ressenti un réel besoin de faire profiter aux autres de mon expérience ».
Sans être toujours explicites, les personnes présentes dans la salle évoquent aussi cette pression des extrémistes dans tous les pays du Maghreb où justement Shams France et Shams Tunisie veulent travailler avec d’autres organismes pour venir en aide aux personnes LGBTI.
Les premières victimes de la guerre civile en Algérie ont été les homosexuels et les femmes
Zak Ostmane, militant algérien
Le jeune homme a payé cher sa franchise. Le 4 septembre 2013 il publie un manifeste « pour l’homosexualité » sur sa page Facebook : « En Algérie, chacun a son combat, moi je suis solidaire avec tout le monde, les militants des droits de l’homme, la cause des femmes, le combat pour les libertés démocratiques, etc. En revanche, tout ce beau monde n’a jamais manifesté sa solidarité avec moi, pour mes droits et revendications sur la dépénalisation de l’homosexualité. Le code pénal algérien condamne les homos en Algérie de deux à cinq ans de prison ferme. Les islamistes, quant à eux, nous condamnent à une mort certaine », retranscrit Le Monde.
De Daesh au Qatar, en passant par l'Arabie saoudite, une même haine institutionnelle des homosexuels
A la suite de ce coup de gueule, il a été agressé à l’arme blanche, condamné à mort par un salafiste très connu et finalement poussé à l’exil. En France depuis quelques années, il regrette amèrement de ne pas être dans son pays pour agir directement sur le terrain. Il regrette encore plus l’hypocrisie de certains : « Tout le monde s’émeut quand Daesh balance dans le vide des homosexuels. Mais l’Arabie et le Qatar leur réservent le même sort et personne ne fait rien car des juteux contrats sont en jeu. Moi, je dénonce toutes les barbaries ».
Des pressions familiales, religieuses...
Cet Algérois s’est joint aussi à Shams-France en tant que membre fondateur pour venir en aide aux jeunes LGBTI maghrébins, d’origine maghrébine ou venus du Moyen Orient en France qui subissent également des pressions, à un tout autre niveau bien entendu. « Certains ne peuvent pas s’assumer à cause d’un environnement familial homophobe. Il faut les sortir de là. Et pour ce faire, ils ont besoin d’un soutien matériel. Parfois, il s’agit d’étudiants d’origine maghrébine qu’il faut aider, guider. On peut les guider dans leurs demandes d’asile », rappelle Yadh Krendel qui peut compter sur SOS homophobie et sur l’Alliance de recherche sur les discriminations (Ardis) rompues à ce genre d’exercice.Shams-France a prévu de travailler avec plusieurs organisations dans l’Hexagone et dans le Maghreb, déjà bien implantées, pour aider le plus grand nombre de jeunes et aussi pour se faire le relais médiatique de Shams-Tunisie dont le champ d’action s’est nettement rétréci ces derniers temps : « Nous sommes occupés à lutter contre le terrorisme, nous n’avons pas le temps pour les pédés », peut-on entendre dans les commissariats de police.
Demandeur d’asile à Paris, Hedi Sahly, vice-président de Shams-France raconte les difficultés que l’association rencontre dans son pays d’origine. Et se permet une boutade : « Ici je n’ai pas peur de me prendre des baffes quand je parle. C’est une cause noble et dangereuse celle que nous défendons. On milite contre le test anal en Tunisie. Pour nous c’est de la torture. Dernièrement, l’Etat est en train de nous barrer la route. On n’arrive même plus à ouvrir un compte bancaire pour mener à bien nos projets. Ici on veut aider les gens pour qu’ils puissent vivre libres ».
Alerter les autorités françaises et européennes sur la précarité de la situation LGBT dans le monde maghrébin et moyen-oriental
Hedi Sahly, vice-président de Shams-France
Le but de cette association est aussi « d’alerter les autorités françaises et européennes sur la précarité de la situation LGBT dans le monde maghrébin et moyen-oriental». La population qui va en bénéficier est clairement identifiée. Ce n’est pas pour autant qu’elle est fermée à d’autres origines et encore moins aux femmes.
Sinon, Betty ne ferait pas partie de l’aventure. « Il ne faut pas prioriser les droits humains. La société civile ne prend pas ça au sérieux et veut ‘halaliser’ ces droits en excluant toute une partie de cette même société. Les droits des LGBT et des femmes sont intimement liés. Pour être dans une véritable démocratie il faut une révolution sexuelle qui passe aussi par l’éducation. Pour l’instant nous n’y sommes pas car l’homophobie d’Etat persiste », rappelle-t-elle en faisant référence aux printemps arabes. Soucieuse de ce lien entre les droits des femmes et les droits LGBT, Shams-France se dit clairement féministe dans ses statuts.
Avec ce qui s'est passé à Orlando, il ne faut pas hésiter à demander l’égalité devant la loi
Nadia El Fani, réalisatrice
Cette ligne conductrice a convaincu la cinéaste engagée Nadia El Fani (auteure de Laïcité

Et de poursuivre : « C’est une cause qui me concerne. Je ne me suis jamais cachée, ni dans mon travail, ni dans ma vie de tous les jours. C’est important que des femmes fassent partie d’une organisation comme celle-ci, qu’elles se fassent entendre. Même en France, on se fait insulter, on nous regarde de travers. C’est le résultat d’une société machiste et misogyne. Une misogynie qui existe aussi chez les hommes homosexuels. Il ne faut pas l’oublier ».
« Universaliste », Shams-France souhaite éviter ce travers à tout prix notamment en explorant la culture et l’histoire LGBTI. Zak Ostmane, féministe convaincu, cite le célèbre militant des droits homosexuels américain Harvey Milk et fait référence à son film. « Quand j’ai appris ce que ces personnes venaient de vivre à Orlando, j’ai commencé à poster des photos du film [Gus Van Sant, 2008] sur ma page Facebook et je me suis dit ‘tout ça pour ça’ ».