Fil d'Ariane
Cheveux ondulés qui lui tombent sur les épaules, Sharren Haskel a le visage doux, presque enfantin. Mais la députée de 32 ans a perdu son innocence depuis longtemps. “En tant qu'israélien, on grandit avec la conscience que d’autres pays, d’autres gens vous détestent pour ce que vous êtes”, confie-t-elle. Cette “conscience”, elle l’a acquise pour la première fois en visite en France, là où s’est réfugiée sa mère marocaine, après avoir fuit les violences faites aux Juifs à Rabat, et où vit encore une partie de sa famille. “Je devais avoir 7 ou 8 ans, je jouais avec d’autres enfants, et un petit garçon a remarqué mon accent. Il m’a demandé d’où je venais. Très fière de moi, j’ai répondu que je venais d’Israël ! Il m’a traitée de ‘sale juive’ et m’a craché dessus”, raconte-t-elle.
Installée en Israël depuis l’âge d’un an, dans la ville de Kfar Saba, au nord de Tel-Aviv, d’où est originaire son père, Sharren Haskel a toutefois grandi dans un “environnement où la coexistence semblait possible”. “Quand j’étais enfant, il n’y avait pas de frontières, mon père avait l’habitude de m’emmener partout. Nous allions dans la ville arabe voisine, Qalqilya, pour faire les courses. Notre dentiste était aussi là-bas. Il y avait des échanges entre juifs et arabes”, souligne-t-elle.
Mais la seconde Intifada change tout. Des murs de séparations sont dressés. C’est chacun chez soi. “Soudainement, il y avait cet autre pays à coté de nous. Malheureusement, cela a créé un immense fossé de haine et de violences entre juifs et arabes”, regrette-t-elle. Oublieuse des facteurs déclenchants de cette révolte, au premier rang desquels, la "visite" d"Ariel Sharon, alors chef de la droite israélienne, sur l'Esplanade des Mosquées.
L’armée est la plus grande expérience d’émancipation qu’une femme puisse connaître
Sharren Haskel, députée israélienne - Likoud
A cette époque, les attentats à la bombe se multiplient à travers le pays. “Quand j'allais à l’école, il m’arrivait de descendre du bus car quelqu’un me semblait suspect”, se souvient Sharren Haskel, qui a échappé de peu à la mort. “Un jour, j’étais en retard et le bus que je devais prendre a explosé”. ”Vivre dans cette réalité, comme dans une roulette russe, ça vous change”, témoigne-t-elle. Alors quand elle est en âge de faire l’armée, la jeune femme décide de s’engager dans une unité combattante. “L’armée est la plus grande expérience d’émancipation qu’une femme puisse connaître, particulièrement à un poste combattant”, affirme-t-elle. “Tout ce que pouvait faire un homme, je pouvais le faire aussi, parfois même mieux. Cela m’a donné l’opportunité de croire vraiment en moi et de me rendre compte que mon physique ne me limitait pas, que je pouvais faire tout ce que je voulais, que mon esprit m’emmènerait partout où je souhaitais aller”.
De cette expérience, Sharren Haskel tire aussi son intransigeance vis-à-vis des Palestiniens. “Ils promeuvent, ils incitent à la violence et à la haine. Ils baptisent des écoles et des rues du nom des gens qui ont tué des victimes innocentes”, dénonce-t-elle, convaincue que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas n’est pas prête à faire la paix. Une réflexion qui semble exclure toute introspection sur le rejet israélien des Palestiniens, à l'oeuvre avec une politique culturelle menée par le gouvernement Netanyahou qui supprime les subventions à des groupes jugés indignes de les recevoir ou qui censure des livres tels ce roman d’amour entre une Israélienne et un Palestinien, de l'écrivaine Dorit Rabinyan, banni des programmes scolaires...
Il y a cinq ans, de retour d’Australie, où elle a passé plusieurs années à s’occuper de la cause animale, Sharren Haskel décide de rejoindre le Likoud, le parti conservateur du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou.
Dans le bureau de Sharren Haskel, à la Knesset (le parlement israélien), à Jérusalem, les portraits de Benjamin Netanyahou et d’autres grandes figures de l’histoire d’Israël tutoient celui… de David Bowie. Non contente d’être la 30ème femme (sur 120 députés) à être entrée au parlement israélien en 2015, l’Israélienne incarne la nouvelle génération. Deux qualités qui ne sont pas toujours faciles à porter dans l’univers très conservateur de la politique. “Om me fait des remarques sur le fait que je suis une femme, mais aussi sur mon âge”, confirme-t-elle.
Certains collègues m’ont même demandé de quel député j’étais l’assistante
Sharren Haskel
La députée a notamment dû jouer des coudes pour faire valoir sa légitimité à siéger dans le très sérieux Comité des affaires étrangères et de la Défense de la Knesset. “Quand je suis entrée pour la première fois, les autres membres affichaient de grands points d’interrogations sur leur visage. Certains m’ont même demandé de quel député j’étais l’assistante”, se rappelle-t-elle.
Mais la jeune élue ne se laisse pas impressionner si facilement. Elle argumente. Elle invoque son “expérience récente du terrain” en tant que combattante. Elle se targue aussi d’avoir “vécu dans un environnement complètement différent, avec la technologie” et donc d’être “capable de penser autrement, d’apporter des idées nouvelles”.
Bien décidée à faire bouger les lignes, Sharren Haskel ne laisse de côté aucun des combats qui lui tiennent à coeur, même ceux qui sont rarement défendus dans son propre parti, comme la protection de l'environnement ou encore la décriminalisation du cannabis. Sur ce dernier sujet, elle vient d'emporter une victoire personnelle avec l'adoption d'une loi sur la dépénalisation de cette substance, au profit de sa "contraventionnalisation". Désormais, et depuis le 6 mars 2017, tout délinquant qui aura été pris une première fois pour consommation de cannabis en public recevra une amende d’environ 250€ (1000 shekels), et ne craindra des poursuites criminelles que s’il enfreint à nouveau la loi trois fois.
Un texte trop mou pour la jeune femme qui n’a pas hésité à le brocarder, le jugeant contre-productif: « La réalité c’est que ce projet ne change pas (les politiques actuelles) et les rend même plus contraignantes », a-t-elle déclaré.
Persuadée que la défiance grandissante du peuple envers les représentants politiques est une “menace pour la démocratie”, la députée a également fait de la transparence un de ses chevaux de bataille. Elle a rendu publique sa rémunération et publie régulièrement son agenda. “Les gens sont impliqués. Ils savent qui je rencontre et quand. Ils peuvent me demander pourquoi. Cela crée un dialogue, un lien de confiance”, se félicite-t-elle.
Mais pour Sharren Haskel, comme pour tous ses collègues députés, le plus grand défi demeure la résolution du conflit israélo-palestinien. Sur ce sujet, la réflexion de la jeune femme rejoint l’opinion dominante au sein de la droite israélienne. “Nous devons arrêter de penser en terme d’accord de paix. Nous avons vu dans le passé, dans l’histoire de l’Europe, des centaines d’années de guerres et d’accords de paix. Mais que valent un accord, une signature quand ils sont trahis le lendemain?”, interroge-t-elle. “Nous devons plutôt construire des ponts entre juifs et arabes”, préconise-t-elle, laissant de côté le mur de séparation qui ne favorise pas spécialement ces passerelles... Et selon l’Israélienne, la “poursuite des implantations israéliennes en Judée-Samarie (Cisjordanie)”, pourtant controversée et régulièrement condamnée par la communauté internationale, y contribuera.
“Le gouvernement israélien investit dans les implantations. Il construit et entretient des routes. Il branche l'électricité. Et toutes les villes palestiniennes aux alentours en profitent”, estime-t-elle. “Le gouvernement israélien construit également des zones industrielles, où Juifs et Palestiniens travaillent côte à côte. Qu’est-ce que c’est, si ce n’est pas de la coexistence ? 30 à 40 000 Palestiniens y travaillent tous les jours et gagnent parfois jusqu’à cinq fois plus que ce qu’ils gagneraient dans une entreprise arabe”. “Cela améliore leur vie”, assure Sharren Haskel. “Et nous savons que si les Palestiniens vivent mieux, nous vivons mieux”.
Pour elle, la loi légalisant les avant-postes israéliens en Cisjordanie adoptée par la Knesset en février 2017 et pourtant controversée, y contribue. Interrogée sur le rôle que le nouveau président américain pourrait tenir dans un futur processus de paix, la jeune femme est catégorique : « aucune pression extérieure n’aidera à avancer vers la paix, bien au contraire ». C’est d’ailleurs « la ligne que semble vouloir suivre Donald Trump », constate-t-elle, avant de conclure : « mais je suis optimiste, la paix viendra un jour ».