Shirley Souagnon est une humoriste unique en son genre, et c'est précisément là-dessus qu'elle joue. A 32 ans, l'artiste se livre dans des stand-ups à son image - simples, directs et puissamment drôles. Homosexualité, racisme, sexisme, la jeune femme parle d'elle, pour mieux en rire, dans une totale quête de liberté.
Qu'on l'appelle Monsieur ou Madame dans la rue, elle s'en fiche. Et c'est bien ce qui fait d'elle une artiste au genre inclassable.
Shirley Souagnon affiche son homosexualité comme elle respire, naturellement et sans en faire un plat, même si on sent bien que, plus jeune, elle n'a pas toujours eu la vie forcément facile. Lesbienne assumée, aujourd'hui, elle se revendique comme "double-genrée".
Sur scène, elle se confie. Dès le plus jeune âge, elle a su, que, quoiqu'il arrive, pour elle, ce sera toujours les filles. Bon, elle avoue un peu honteusement avoir tenté le sexe avec un homme, une seule et unique fois. Une expérience qu'elle raconte dans un sketch irrésistible, à ne pas faire écouter à toutes les oreilles, peut-être, et tant pis si les hommes en prennent pour leur grade.
Sur scène, l'humoriste se livre, sans détour, sur le ton de la confidence, dans le plus pur style du
stand-up à l'américaine. Nous voilà donc avec elle, en pleine conversation, tranquillement et confortablement installé.es dans le salon d'un appartement, fumant de la
weed (enfin c'est une scène imaginaire, rappellons-le !) Ah oui, l'herbe, les joints, ça aussi elle en parle librement, sans en faire une affaire, à consommer avec autodérision, bien sûr.
Monsieur Shirley, donc, est le titre de son dernier spectacle. Habillée d'un costume dit masculin, veste et pantalon noirs, les dread locks détachées (non, non assure-t-elle, elle n'a rien d'une vrai rasta), et le sourire désarmant, iel enchaîne ses petites histoires de la vie quotidienne. Lorsqu'elle se fait forcément fouiller à l'aéroport pour "délit de faciès", ou interpeller sur le quai d'une gare par des policières alors qu'elle a caché dans son sac à dos sa petite réserve de marijuana. Sa discussion illuminée avec le chien renifleur est à se passer en boucle les jours de déprime.
Rarissime et tendance
Shirley Souagnon fait rire là où ça fait mal. Découverte par les médias alors qu'elle n'avait pas encore la vingtaine, elle cultive un style qui fait mouche. Ce qui a joué aussi ? Le fait qu'elle soit une femme, noire qui plus est. Un personnage rarissime sur la scène humoristique francophone il y a encore quelques années. Justement, la jeune femme n'est pas de celles qui se contentent de jouer un rôle. Les étiquettes, elle les décolle allègrement, même si elle avoue en avoir aussi profité. Très vite, elle comprend que si les directeurs de festival la programment, c'est pour jouer ce rôle-là, celle de la jeune femme noire et lesbienne. Elle coche toutes les cases de ce qui est devenu à la mode. Une discrimination positive qui la met en colère, et qu'elle a vite considérée comme une entrave à sa liberté d'artiste, mais aussi dans son identité.
Rebondir, ne pas se laisser enfermée
Ne voulant pas rester enfermée dans le carcan imposé par le "showbiz", elle s'attaque à d'autres activités. En bonne basketteuse de talent - lauréate d'une bourse aux Etats-Unis, elle avait été repérée par la ligue de basket américain féminine - elle sait faire rebondir la balle pour mieux atteindre le panier. Très présente sur les réseaux sociaux et sur internet, elle crée
sa chaine Youtube sur laquelle on peut retrouver différents épisodes de ses spectacles, ou ses "définitions" comme #epilation, #chat, ou encore #bide. En 2016, elle signe un documentaire entièrement tourné à l'Iphone, sur son métier, le stand-up. Qui sont ces jeunes gens, issus de tous les milieux, toutes sexualités confondues, de toutes origines, pour qui un jour la scène devient une question de survie ?
Sa réponse à elle, il faut la chercher dans son enfance. A 7 ans, elle écrit son premier sketch avec son frère. C'est en entendant des vendeurs, noirs, crier dans le quartier de la Goutte d'Or à Paris "Marrons chauds ! Marrons chauds !", qu'elle écrit un texte "Blancs froids ! Blancs froids !", imaginant une vendeuse de chocolats blancs. "On faisait payer notre famille pour entrer dans la chambre écouter notre sketch. Pas cher, hein ! On négociait ça contre un goûter!", confie-t-elle.
A trois ans, j'étais amoureuse d'une petite fille, Manon, elle était trop jolie.
Shirley Souagnon
Quant à son attirance pour les filles, elle remonte à encore plus tôt, "A trois ans, j'étais amoureuse d'une petite fille, Manon, elle était trop jolie, on jouait ensemble dans le bac à sable". Evidemment, ce fut une toute autre histoire lorsqu'elle appris la nouvelle à son père, qui s'est mis à pleurer. Sa mère, elle, ne comprenait pas tout à fait de quoi il s'agissait, croyant plutôt à une lubie passagère. Sa famille, il faut bien faire avec, mais il faut aussi la dépasser, nous dit-elle. Ainsi, un jour, alors qu'elle est encore très jeune, elle décide de partir vivre chez une copine.
Le stand-up, une discipline à part entière ?
Depuis son entrée dans la famille des humoristes, la jeune femme trace sa route, enchaînant les succès lors de programmes télévisés à heure de grande écoute, ou les festivals d'humour, soulignant que malgré tout, jamais on ne lui a encore confié un grand spectacle. Qu'à cela ne tienne. Sa tribune, elle la crée elle-même, mais pas que pour elle. En septembre 2019, Shirley Souagnon réalise son plus grand rêve, et ouvre le "Barbès Comedy Club" dans son quartier de coeur, le 18e arrondissement à Paris.
"Ce que j'ai voulu faire, c'est changer le game. Faire du stand-up, une vraie discipline professionnelle", explique la nouvelle cheffe d'entreprise, devenue productrice, elle s'occupe aussi du "Jardin sauvage", sa deuxième maison après le "Barbès Comedy club", un lieu multi-culturel installé sur un bateau sur la Seine.
On l'aura compris, Shirley est un être binaire, circulant sans cesse entre les pôles positifs et négatifs, une hyperactive toujours dans le "demain" et qui fait de ses contradictions des gages de liberté.