Fil d'Ariane
Ex-socialiste, militante de la première heure du mouvement macroniste En Marche et jusqu’alors chargée de presse à l’Élysée, la Franco-Sénégalaise Sibeth Ndiaye devient porte-parole du gouvernement français. Elle y remplace un autre fidèle, Benjamin Griveaux, qui espère conquérir Paris aux prochaines municipales. Une promotion controversée, dans un contexte délicat.
« Une marche ». C’est l’image que l’ex-cheffe du service de presse d’Emmanuel Macron Sibeth Ndiaye a employée à plusieurs reprises pour décrire sa nomination comme porte-parole du gouvernement français, lors de la passation de pouvoir avec son prédécesseur Benjamin Griveaux ce 1er avril. Ajoutant : « je n’ignore pas qu’elle est haute ».
En ascension vers les sommets de l’État trois ans après l’obtention de sa nationalité française, mère de trois enfants, la nouvelle ministre reconnaît au passage ses « doutes ». À son « pays de naissance », dont elle demeure citoyenne, le Sénégal, elle adresse sa juste part de gratitude : elle y a « puisé le courage de gravir cette marche en toute humilité ». « C'est dans mon enfance que j'ai été chercher ces paroles souvent prononcées par nos parents pour nous aider, mes sœurs et moi, à briser les plafonds de verre : 'là où tu es, tu es à ta place' ».
À son pays d’adoption, elle dit sa « fierté » de le servir « parce qu'avant même d'être française, j'ai compté parmi les engagés de ce pays ». « La France m’a beaucoup donné. C’est à mon tour de lui rendre ». Copie, consciente ou non, des derniers mots de l’ultime discours de campagne en 2007 d’un certain Nicolas Sarkozy (« cette France fraternelle, c’est celle qui m’a tout donné. Je lui dois tout. Et à mon tour je veux tout lui rendre »).
Née il y a 39 ans à Dakar, dans une famille de la haute élite sénégalaise, Sibeth Ndiaye n’a en réalité rien d’une déshéritée. Homme politique, député, son père sera un dirigeant du Parti démocratique d’Abdoulaye Wade ; sa mère, magistrate d’origine allemande et togolaise, présidente du Conseil constitutionnel, la plus haute cour du pays. Trois soeurs. La jeune fille fréquente l’institution privée Jeanne d’Arc de Dakar avant d’être envoyée à Paris au lycée Montaigne. Études supérieures d’économie de la santé, adhésion à l’UNEF et au Parti socialiste en 2002.
DESS accompli (diplôme universitaire, master 2 d’aujourd’hui), elle entre au service de presse de Claude Bartolone, alors président socialiste du Conseil général de Seine-Saint-Denis. Liée à la mouvance de Dominique Strauss Kahn avant son atterrissage forcé de 2011, elle rejoint en 2013 le Ministère de l’Économie, alors dirigé par Arnaud Montebourg. Elle y croise un jeune homme prometteur, Secrétaire général adjoint de l’Élysée : Emmanuel Macron. « Il était d’un abord agréable, avec beaucoup d’humour », dira-t-elle à Jeune Afrique.
Lorsque ce dernier devient lui-même ministre de l’Économie, Sibeth Ndiaye est membre du service de communication. Ils s’apprécient. Lorsque le futur candidat reprend sa liberté en 2016 et lance sa formation « En Marche », elle le suit pour devenir sa conseillère de presse, oubliant le PS.
Une année plus tard, au terme d’une campagne où elle s’est beaucoup donnée, la victoire la fait à nouveau « conseillère de presse » mais cette fois à l’Élysée, auprès de Sylvain Fort. Elle y fait partie des « Mormons », ainsi que se désignent les premiers compagnons du nouveau président, aujourd’hui dispersés. Elle en est la seule femme.
Son style y détonne. À un journaliste qui lui demande, le 13 juin 2017, si la nouvelle du décès de Simone Veil – grande figure française et européenne, ancienne déportée d’Auschwitz - est officiellement confirmée, elle aurait répondu, selon le Canard enchaîné, par un texto qu’elle niera ultérieurement : « Yes, la meuf est dead ».
Aux antipodes de François Hollande, pourtant, le style d’Emmanuel Macron, alors surnommé « le sphinx », est d’abord au mutisme et le service de sa communication consiste en grande partie à la verrouiller.
De nombreux journalistes peu suspects d’insolences anti-macroniennes se plaignent alors, comme à l’Express, de ses interventions, qu’elle ne nie pas : « Nous appelons les médias quotidiennement quand on a des divergences d'interprétation », confirme-t-elle à l’hebdomadaire. Dans une scène révélée par un documentaire de TF1, un journaliste s’était vu avant l’élection qualifier son article de « travail de sagouin ».
En juillet 2017 elle réplique, selon son témoignage, à un journaliste de l’Express : « J’assume parfaitement de mentir pour protéger le président ». L’image du dit président est plus contrôlée que jamais. Les journalistes « embeded » (admis à accompagner de près le chef de l’État en déplacement) soigneusement choisis.
Partisane d'une communication de combat, voire provocatrice, adepte des réseaux sociaux plutôt que des médias traditionnels, c'est elle qui poste avec fierté en juin dernier sur son compte Twitter la vidéo sur le « pognon de dingue » que, selon Emmanuel Macron, coûtent les aides sociales.
Le Président ? Toujours exigeant. Pas encore satisfait du discours qu’il prononcera demain au congrès de la Mutualité, il nous précise donc le brief ! Au boulot ! pic.twitter.com/2mjy1JmOVv
— Sibeth Ndiaye (@SibNdiaye) 12 juin 2018
Lorsqu’éclate le mois suivant l’affaire Benalla, elle participe, selon le Monde, à la propagation des différents contre-feux, incluant des vidéos truquées. C’est cependant un autre communiquant plus éminent et plus médiatisé, Bruno Roger-Petit, qui sera sacrifié.
Succédant à l’affaire et sur fond de chute dans les sondages, la crise des gilets jaunes apporte sur l’Élysée un autre vent mauvais peu propice à la vraie ou fausse communication. Des conseillers de la première heure partent. Sebeth Ndiaye reste l’un des derniers rescapés « mormons ». L’une des ultimes réformes de son service, en février dernier : la fermeture de la salle de presse de l’Élysée, ouverte quarante ans plus tôt dans un effort de transparence.
C’est en tout cas – et en dépit des pronostics - « par le haut » qu’elle quitte finalement le château, un peu moins de deux ans après y être entrée. Désormais porte-parole, elle laisse l’ombre de la soute pour la lumière des projecteurs. Une « marche », certes, récompense de sa fidélité autant que de son oeuvre, mais encore bien plus exposée que la précédente. Son premier tweet annonçant son nouveau "job" suscite déjà bien des commentaires.
Vous informer et expliquer ce que fait le gouvernement pour votre quotidien : c’est mon nouveau job (merci @EmmanuelMacron et @EPhilippePM pour leur confiance !), et ça commence tout de suite. Je vous dis à demain pour mon premier compte-rendu du Conseil des Ministres.
— Sibeth Ndiaye (@SibNdiaye) 31 mars 2019