Silhouettes sexistes : villageois contre féministes à Dannemarie, bourgade de l'Est français - suite et fin ?

Dannemarie, en Alsace, et ses silhouettes installées par la mairie, qualifiées de sexistes par des féministes tournicotent au gré de la justice. Condamnées à être enlevées, les villageois en colère avaient décidé d'exposer les objets du litige chez eux. Et voici que, le 1er septembre 2017, le Conseil d'Etat vient de prendre parti : les dames en carton pâte pourront reprendre leur place dans les rues du village !
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dannemarie
Capture d'écran/France3Alsace
La justice a rendu son jugement, ces silhouettes sont sexistes. Le maire a fait appel. Nouveau jugement attendu fin août.
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France 3 grand Est
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Bienvenue à Dannemarie, en Alsace, région située dans l'Est de la France. Petite bourgade de 2 300 habitants, à plus de 500 km de la capitale. Sous des apparences paisibles, il y résonne depuis quelques semaines un air, qui semble tout droit sorti de la lyre du barde Assurancetourix. Et avec dans le rôle du maire, non pas installé sur un bouclier (quoique), Paul Mumbach, élu divers droite en poste depuis 2008.

La potion magique de ce village ? Décréter 2017 l'année de la femme. Comment ? En installant 125 panneaux en contreplaqué, dont 65 représentent des silhouettes de femmes, un peu partout à travers les rues.
 
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Pancartes de femme installées dans les rues de Dannemarie, enlevées depuis le 13 août.
Captureinternet
En voici une, chevauchant une chaise, jambes toutes écartées, ou encore une autre, pin up courtement vêtue, et encore d'autres, bouches entrouvertes, aux lèvres carmin et gourmandes...
 
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La femme "honorée" à la manière de Dannemarie.
Captureinternet
Rien de provocant selon le maire et ses ouailles. Au contraire, scandaleux selon les féministes de la région. Cela aurait pu en rester là, une simple querelle de clochers. C'était sans compter sur la solidarité semble-t-il sans faille des habitants, tous unis derrière leur Abraracourcix local. Ni sur la capacité des réseaux sociaux d'attiser le feu, ni sur la détermination des féministes.

Alertée par le Centre national d'information sur les droits des femmes et des familles du Haut-Rhin, c'est la référente strasbourgeoise de l'association féministe Les Effronté-e-s, Sarah Pyd, qui envoie la première salve, en postant mercredi 19 juillet sur Facebook, un message ironisant sur cette "magnifique campagne" et accusant les autorités locales de dilapider ainsi l'argent public.
 

"Cela donne une très mauvaise image des femmes, ça les met dans un carcan qui ne devrait plus exister depuis des années", regrette Sarah Pyd chez nos confrères de France 3 Alsace. 

"Année de la femme ? On ne doit vraiment pas avoir la même vision de la femme. A quand l'année de l'homme dans ces conditions ? " peut-on lire parmi les centaines de commentaires publiés sur les réseaux sociaux. D'autres évoquent un combat plutôt inutile : " Je me fiche un peu de cette querelle car je trouve qu'il y a des mesures plus importantes à prendre concernant certaines malfaisances faite aux femmes. Par exemple, est ce que ces Effrontées s'indignent à propos de certaines femmes SDF qui dorment dans la rue ?? Est ce que ces Effrontées s'indignent à propos des femmes migrantes qui se meurent ... et je pourrai continuer longtemps, donc excusez moi ..."

Une bonne intention

A l'origine de cette initiative ... une femme. "Nous le faisons tous les ans, confie aux journalistes de France 3 Grand Est, Dominique Stroh, première adjointe au maire. L'année dernière, c'était celle du vélo. Et ça a déplu à certains aussi..." Lorsque la municipalité de Dannemarie a décidé de placer 2017 sous le thème de "l'année de la femme", cela partait d'une "bonne intention".

Ladite bonne intention ne passe pas auprès de l'association Les Effronté-e-s, qui après avoir essuyé le refus du maire de retirer à l'amiable les silhouettes, décident de porter l'affaire en justice en saisissant le Tribunal Administratif par référé-liberté pour obtenir le retrait immédiat des panneaux jugés "sexistes".

Voilà de quoi faire les affaires de la presse locale en cette période estivale, d'ordinaire si pauvre en polémiques. Le maire de Dannemarie y dénonçe les «pseudos féministes, sautant sur leurs chaises en criant "femme-femme-femme", qui  essayent de dénaturer notre action en faisant des déclarations à la presse ». Selon lui, « la population n’a pas été dupe de ces agissements car elle soutient très largement l’initiative de la Municipalité ». Il lance alors « une mobilisation générale afin de défendre "notre" action et surtout la cause de la femme ». Sic.
 
Une conception de la femme, inspirée par des stéréotypes et la réduisant de façon caricaturale, et parfois graveleuse, à une fonction d’objet sexuel
Juge des référés
Début août, la justice tranche. Une première fois. Le juge des référés considère que l'installation des panneaux constitue une atteinte grave au principe d'égalité entre les hommes et les femmes consacré comme une liberté fondamentale. Le tribunal retient que "ces représentations de silhouettes féminines ou d’éléments du corps féminin illustrent une conception de la femme, inspirée par des stéréotypes et la réduisant de façon caricaturale, et parfois graveleuse, à une fonction d’objet sexuel". Cette installation sur voie publique méconnait, par ailleurs, l'obligation imposée aux collectivités territoriales de "mener des actions destinées à prévenir et à lutter contre les stéréotypes sexistes" (loi du 4 août 2014).

L'association espère alors que la décision pourrait faire jurisprudence. "Cela va obliger beaucoup de maires à réfléchir avant d'afficher des choses dégradantes ou sexistes pour l'image des femmes", se réjouit la représentante des Effronté-e-s.

Opération "Adoptez une silhouette"

Mais vous l'aurez deviné, Mr le Maire n'a pas dit son dernier mot. Il dépose aussitôt un recours en justice, devant le Conseil d'Etat, crée un groupe Facebook Même pas peur Les Effrontées et s'inspirant d'un célèbre site de rencontres sur le net, propose "l'adoption" des silhouettes par les habitants.

Dimanche 13 août, se pliant à l'injonction du Tribunal, le recours n'étant pas suspensif, l'élu et ses administrés s'étaient résolus à enlever de la voie publique les silhouettes de la discorde, mais pour mieux les redistribuer aux mêmes administrés, qui ont décidé de les prendre en gardiennage jusqu'à la nouvelle décision de justice.

Des panneaux douteux mais pas d'atteinte au respect la dignité humaine
Conseil d'Etat

Et donc, la voilà qui est tombée le vendredi 1er septembre, alors que la journée s'achevait. Réuni en formation collégiale, le Conseil d'Etat a estimé que l'exposition de silhouettes féminines en contreplaqué dans la commune de Dannemarie ne portait pas une "atteinte grave" à la dignité humaine. "Même si les panneaux peuvent être perçus comme véhiculant des stéréotypes dévalorisants pour les femmes, ou, pour quelques-uns d’entre eux, comme témoignant d’un goût douteux voire comme étant inutilement provocateurs, leur installation ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité humaine". La plus haute juridiction administrative a par conséquent annulé la décision du tribunal de Strasbourg, qui avait ordonné le 9 août le retrait de cette installation controversée. Installation qui va pouvoir à nouveau briller de tous ses clichés sexistes au grand soleil d'Alsace.

A bon entendeu.r.se ... Le feuilleton de l'été, "Dannemarie, des silhouettes pourtant si féminines" est en principe fini. Sauf s'il se poursuit sur la voie publique...  #YaDuBoulot