Aujourd'hui, qui connaît son nom ? Et poutant, dans les années de l'entre-deux-guerre, Simone Gouzé fit la Une des journaux : "La première Européenne qui vécut au pays des Lolos (aujourd'hui les Yi, ndlr) est un peintre français", titrait le journaliste suisse Charles Rochat-Cenise - l'Académie française était encore loin de féminiser les métiers... La journaliste Pascale Froment, elle, retient de sa rencontre avec la jeune exploratrice "le sourire extrême-oriental de cette Française de premier rang, chez qui une vertu masculine, le courage, n'est éclipsée que par une autre vertu, féminine, cette fois : la modestie." Simone Gouzé, elle, ne s'arrêtait pas aux stéréotypes et n'écoutait que sa curiosité insatiable.

"C'est en mars 1928, écrit Rochat-Cenise, qu'une jeune femme française, peintre animalière de talent, Mme Simone Gouzé, s'embarqua à bord d'un petit navire en partance pour l'Extrême-Orient." Cap sur Pondichery, Colombo, Madras Singapour... puis Saïgon. Cela aurait pu être le but de son voyage. Ce n'était que le début de l'aventure.
Le Cambodge et les temples d'Angkor, puis les terres sauvages, où Simone Gouzé "vit avec des hommes" et "se lève au petit jour" pour surprendre les fauves en train de chasser dans la forêt vierge. Autant de matières pour ses dessins dont le trait brut reflète la rudesse des contrées qu'elle appréhende avec la sensibilité de son regard d'artiste.

De retour à Saïgon, Simone Gouzé expose ses oeuvres dans le foyer du théâtre. Verdict du journaliste Rochat-Cenise : "J'ai vu ses tableaux, ses sculptures, ensemble magnifique du point de vue 'art pur' que du point de vue documentation".

Besoin d'ailleurs
Simone Gouzé ne va pas en rester là. Ces premiers mois n'ont fait qu'aiguiser sa curiosité de terres et visages inconnus. Elle veut aller plus loin. "Accompagnée d'un chauffeur annamite, elle repart, mais pour le Tonkin, cette fois. Les deux voyageurs se relaient au volant, font 500 à 600 kilomètres par jour," relate Rochat-Cenise.Trahie par son guide et interprète, Simone Gouzé continue seule. Le jour à cheval, la nuit sous la moustiquaire. Jusqu'en Chine, au Yunnan. Là, elle est captivée. Elle veut s'intégrer, elle veut comprendre, à tout prix. Rien ne va l'arrêter. "Pendant huit mois, j'ai tâché de gagner la confiance de la 'Société chinoise'... Ce n'a pas toujours été drôle, mon interprète m'ayant odieusement trompée, j'ai décidé d'apprendre le chinois. J'y suis arrivée," confie-t-elle au journaliste qui l'interroge.
Apprendre la langue, c'est une façon de se prémunir des dangers qui guettent les étrangers, à l'époque en butte aux pirates et aux prises d'otages dans cette région isolée. C'est aussi, et surtout, une façon d'entrer au coeur de la vie des gens, de regarder les enfants jouer, les femmes allaiter leurs bébés et les hommes promener leurs oiseaux, comme les occidentaux promènent leurs chiens.
Sous la pluralité des visages : la Femme, la Mère
Sophie Marcellin, qui expose certains dessins de Simone Gouzé à Paris, est frappée par la façon dont l'artiste s'impose et impose ses sujets féminins : "Dans l'ampleur de ses portraits, dans leur volume magistral, elle traite ses sujets féminins comme autant d'oeuvres majeures. Ce qui est plutôt rare, à l'époque, car souvent les travaux de femmes étaient de petits dessins.

Dans un article qu'elle consacre à Simone Gouzé, Natacha Pope souligne l'esprit de sororité qui incite l'artiste à privilégier les sujets féminins : "Portant un intérêt tout particulier et personnel(...), pour les figures de femmes, filles, mères à l’enfant, ou courtisanes, elle est animée par une considération sincère, une grande compassion et un fort esprit de sororité envers les femmes qu’elle rencontre, et vis à vis de leurs conditions de vie."
De fait, sa dualité de femme et d'artiste l'a probablement aidée à vaincre les difficultés du voyage en terres inconnues. Car partout où elle est passée, c'est avant tout sur les femmes et les enfants que s'est penchée Simone Gouzé. "Son oeuvre en fait foi, et son rêve aussi : parcourir le monde pour retrouver sous la pluralité des visages, partout, et toujours, la Femme... la Mère", relate la presse de l'époque à son retour en France.
L'intérêt profond et sincère que Simone Gouzé vouait aux enfants de Chine profonde et à l'éducation qui leur était donnée s'exprime dans un texte qu'elle leur consacre : "Ces enfants, je ne les ai pas vus à Pékin, à Canton, à Shanghaï, à Hanoï, à Saigon, non ! Je suis partie un jour dans leurs montagnes et leur rizières, dans leurs petits villages de paillottes et de terre sèche. J’ai vécu avec le peuple des campagnes chinoises, le plus pauvre, le plus misérable qui soit au monde… En Chine, l’enfant n’est pas soumis comme le nôtre à une précoce éducation, à une discipline qui contrarie trop souvent les impulsions d’un petit être neuf et vrai, et cependant… Bébés d’Orient, pourquoi souriez-vous si rarement ?…Les êtres monstrueux qui veillent sur votre enfance ne jettent-ils pas trop tôt l’épouvante dans vos âmes ?…"Retour à Saïgon, nouvelle exposition. Un grave accident de voiture la coupe dans son élan. Par la suite, c'est la typhoïde qui mettra un point final à cinq années en Asie. Simone Gouzé doit rentrer en France. Avec dans son bagage une centaine de portraits et de tableaux, et en tête, une seule idée : repartir.
Femmes et filles d'Afrique

Simone Gouzé ne tentera pas de relancer son idylle asiatique. C'est en Afrique que, désormais, la mène sa soif d'inconnu. Là, elle dessine de très jeunes filles, émue par leur désarroi d'être livrée trop jeune au désir des hommes : "Courtisanes enfants, qui n'avez jamais joué à la poupée... Lorsque pour la première fois vous avez été livrées à la mâle et brutale étreinte, vos yeux s'emplirent-ils d'effroi 'ou se cachèrent-ils sous leurs longs cils, déjà soumis et sans émoi ?... Précoces, bien sûr, ils le sont ces beaux brugnons lisses et fermes, développés aux chaudes pluies, pétris de soleil. Mais enfin, ce sont des enfants, vierges de frôlements, du mâle désir, jalousement encloses tout au fond des harems." écrivait-elle en 1937.

Simone Gouzé était mariée à Jules-Gustave Besson, peintre, professeur de dessin et directeur de l’école d’arts appliqués de Gia Dinh, aujourd'hui devenue l'Université des beaux-arts d’Hô-Chi-Minh-Ville. Veuve en 1942, elle vécut jusqu'en 2013.
"Passionnée de théâtre, actrice amateur, elle a laissé le souvenir d'une femme douce, gentille et calme, encore très proche de la nature et des animaux, qui parlait d'une voix douce et veloutée, comme ses pastels", explique Philippe Pope, l'antiquaire qui a "redécouvert" Simone Gouzé à travers les dessins qu'elle avait légués à une amie. Elle vivait dans le sud de la France, chez sa soeur, et à Paris, où elle cotoyait André Malraux et Georges Scott, artiste peintre de scènes orientales. A la fin de sa vie, Simone Gouzé restaurait des oeuvres d’art et travaillait pour quelques musées, dont le Louvre.
Hasard ou lointaine filiation ? Simone Gouzé portait le même patronyme que la pionnière du féminisme Olympe de Gouges, née Marie Gouze...
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