Simone Schriek, bergère urbaine, dans la banlieue de Paris

Avez-vous déjà vu des moutons pâturer entre deux tours HLM ou sur un campus universitaire, à la périphérie de Paris ? Insolite, n’est-ce pas… Pourtant, c’est là, en territoire bétonné que Simone Schriek élève ces animaux rustiques. Avec quatre copains, bergers urbains eux aussi, elle entend démontrer que l’agriculture en ville n’est ni un mythe ni une mode mais bel et bien une promesse d’avenir qui a droit de cité.
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Simone Schriek, sur le campus de l’Université Paris 13. Ostéopathe spécialiste de la bio-énergétique et bergère urbaine, elle s’intéresse au lien entre Homme et Animal comme un moyen de se ressourcer, dans le rythme frénétique de la ville
©Louise Pluyaud
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Sur le campus de l’Université Paris 13, à Villetaneuse (93), rien de particulier ce mercredi après-midi. Dans le bus 156, Calypso, étudiante en deuxième année d’Information et Communication, regarde défiler devant elle les trottoirs en béton brut, les cités HLM culminantes, les quelques maisons postées au milieu des grandes aires industrielles,…

Les moutons font partie du paysage
Calypso, étudiante à Saint Denis

Terminus. La jeune fille descend, suivie par d’autres étudiants, passe le portail de sécurité, puis traverse la grande cour verdoyante, où pâture tranquillement un troupeau de dix-sept moutons, pour rejoindre son bâtiment. Des moutons ? « Je n’y fais même plus attention, glisse Calypso. Ils font partie du paysage. » Un peu comme Simone Schriek, petite brune en bottes de pluie à peine plus âgée que les élèves. La bergère, c’est elle.
 

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Simone Schriek n’a que 27 ans, mais elle s’est déjà investie dans de nombreux projets d’agriculture urbaine, notamment à l’association La Ferme du Bonheur à Nanterre (92) dont elle fut la présidente en 2009, et à l’association Tema la Vache.
©Louise Pluyaud


Depuis bientôt quatre ans, c’est là, en plein coeur de Seine-Saint-Denis que cette ostéopathe a décidé de développer une activité paysanne à mi-temps. Un pari osé qu’elle n’a pas entrepris seule. A la base de ce projet d’agriculture urbaine, il y a une association, Clinamen fondée en 2012 par cinq amis Pauline, Julie-Lou, Guillaume Valentin et bien entendu, Simone. De purs citadins qui, enorgueillis par Dame Nature, ont voulu démontrer que derrière le béton de la cité, des pâturages sont à prendre.
 

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Julie-Lou, Valentin, Pauline, Guillaume, Simone : les cinq membres co-fondateurs de Clinamen.
©Mathieu Rondel

Aujourd’hui, c’est donc au tour de Simone de s’occuper du troupeau. « Avec les autres, on se réparti les tâches - soins des animaux, nettoyage de la bergerie, transhumance, etc. - chaque début de semaine. Et quand l’un travaille ici, à Villetaneuse, un autre s’occupe du troupeau à Houilles, dans les Yvelines. Sur une base militaire, nous avons aussi quarante moutons », énumère la jeune femme. Là-bas, les bergers urbains sont payés pour entretenir les espaces verts tandis qu’en Seine-Saint-Denis, c’est un échange de bons procédés. « La fac nous a prêté le terrain à titre gracieux. Le vice président Jean-Pierre Astruc voulait donner à son établissement une identité propre et plus de vie à un lieu assez isolé. »

L'été, ça sent la campagne
Matthias, étudiant à Saint Denis

Et les moutons ont rencontré un assez franc succès auprès des étudiants. « L’été ça sent fort la campagne, parfois certains moutons s’échappent et s’immiscent dans les couloirs, en partiels on peut être déconcentré par un « Bêêê ». Mais, au final, c’est plus marrant que dérangeant », sourit Matthias, étudiant en Langues. Quant à Calypso, si elle remarque de moins en moins ces curieux camarades, elle se plaît de temps en temps à observer Simone exercer ce métier qui fait écho à la montagne : « C’est sûr qu’en la regardant, je me dis qu’Heidi a bien changé ! ».
 

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De jour comme de nuit, le site est surveillé par caméras et gardé. Clinamen s'est déjà fait dérober deux brebis à Villetaneuse. La présence humaine a toutefois permis de déjouer une tentative de vol de tout le troupeau.
©Louise Pluyaud

Fashion sheep


Le look de Simone n’a en effet rien à voir avec celui de la petite bergère suisse, inventée en 1880 par l’autrice Johanna Spiry. « Je ne m’empêche pas de mettre des jupes, mais le pantalon et la parka c’est quand même plus pratique. » L’une des difficultés pour les bergères urbaines est d’allier ergonomie et féminité. « Notre style est hybride c’est-à-dire qu’il faut être à l’aise mais aussi élégantes pour prendre le métro sans que les gens nous regardent trop de travers. Parfois c’est le cas, quand on a de la laine sur la veste et de la boue sur les bottes », s’amuse Pauline Maraninchi, co-fondatrice de Clinamen.

Les bergères urbaines trouveront-elles leur bonheur grâce à la laine de leurs moutons ? Peut-être bien. En ce moment, elles développent avec une designeuse textile de Saint-Denis une collection d’objets et de vêtements. « On va pouvoir s’habiller avec notre propre production », se réjouit Pauline qui a déjà sa petite pochette de transhumance en peau retournée. Quant aux garçons, eux aussi veulent des habits adaptés à leur mode de vie décalé. Pauline en est convaincue  : « Au fur et à mesure des années, on va tous trouver notre style. Et un jour, qui sait, on fera peut-être la couverture de Vogue avec nos moutons. »
 

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Wiebke Aumann, designeuse textile spécialiste du feutrage, en pleine séance d’échantillonage de la laine des moutons Clinamen. L’atelier textile de Wiebke est installé à Saint-Denis, au sein du collectif d’artisans La Briche.
©Clinamen!

Tout est bon dans le mouton


En vêtements ou en objets, les moutons de Clinamen finissent aussi dans nos assiettes. « Nous faisons de l’élevage et de la reproduction pour la viande, sans pour autant pousser nos brebis à une trop grosse production d’agneaux, explique Simone. Pour le moment, les ventes sont réservées aux soixante-dix adhérents que compte l’association. Mais, à long terme, nous en vendrons à une plus large échelle. L’objectif étant aussi d’en vivre. » C’est pour cette raison qu’en 2014, elle et ses quatre amis ont créé une coopérative, Les Bergers Urbains, grâce à laquelle ils commencent à être payés en tant que paysans de villes.

La pollution ? On ne va pas faire semblant qu’il n’y en a pas
Simone Schriek, bergère à Saint Denis

Et la pollution ? Cette question ces agriculteurs du bitume se la sont aussi posée. « On ne va pas faire semblant qu’il n’y en a pas, concède Simone le regard dirigé vers l’autoroute. Evidemment nous faisons attention à l’emplacement de nos bêtes, nous ne les faisons pas pâturer sur des poches de métaux lourds. Mais pour ce qui est de la pollution inhérente à la ville, nous considérons qu’elle n’est pas pire que celle de la campagne où des pesticides sont déversés chaque jour. »
 

Travailler avec un abattoir à taille et à geste humains


Respecter la nature et les animaux, tel est le credo des bergers urbains. « Même si on part avec un postulat de production, cela ne nous empêche pas de tisser des liens avec nos bêtes », affirme Simone au milieu du troupeau HD « Hautement Domestiqué » et mené tambour battant par La Castafiore.
Un nom donné par l’équipe car pour appeler les autres brebis, c’est elle qui bêle le plus fort. Destinée à la reproduction, cette cantatrice frisée n’ira pas à l’abattoir contrairement aux brebis d’Houilles. « Nous travaillons pour le moment avec l’abattoir de Jossigny (77), qui nous convient très bien par sa petite taille et son ambiance familiale. Nous emmenons nous-mêmes nos animaux pour qu’ils ne soient pas stressés. Là bas, contrairement aux autre abattoirs, l’éleveur, s’il le désire, peut voir comment se passe l’abattage. »

Un discours qui épouvanterait la défenseure des animaux et ex star Brigitte Bardot, mais qui a ce mérite d’éclairer chaque maillon de la production de viande. Car, en plus d’éveiller et d’informer les citadins sur leur propre consommation, l’agriculture urbaine pointe les projecteurs sur un monde paysan qui semble, lui, crier à l’agonie.

L’avenir de la paysannerie en France ?


C’est un fait, en France, le secteur agricole en milieu rural est en crise. Face à des cours qui s’effondrent, des contraintes administratives et environnementales pesantes, un sentiment d’abandon de la part des pouvoirs publics, beaucoup de petits paysans jettent la clé sous la porte. Personne ne peut ignorer non plus le taux de suicides alarmant lié à la profession. On compte un suicide tous les deux jours, selon le dernier rapport de l’Observatoire du Suicide, publié en novembre 2014.

Document : Monde agricole, les raisons de la colère.
Document : Monde agricole, les raisons de la colère. 
AFP

Malgré cela, le métier fait encore rêver. En ville, beaucoup s’improvisent agriculteurs grâce aux toits et murs végétaux ou aux jardins partagés. Les initiatives écolos-bobos essaiment, mais pour les jeunes Clinamen il s’agit surtout d’un effet de mode. « Nous ne sommes pas des éleveurs du dimanche, martèle Simone droite dans ses bottes pleines de gadoue. Notre action quotidienne est menée dans un but productif en milieu dense afin de sortir de l’anecdotique et du spectacle. Nous pensons être les seuls aujourd’hui en Ile-de-France à avoir cette ambition. »

Cette jeunesse citadine et prompte à mettre la main à la pâte serait-elle la relève de la paysannerie rurale française ? Sachant qu’aujourd’hui les trois-quart de la population vivent désormais en ville. « Oui et non, selon la bergère urbaine. Nous n’entendons pas concurrencer l’agriculture rurale. Les deux se complètent. Seulement nous, nous le faisons au milieu des gens. Un avantage qui nous permet de créer plus facilement du lien et de sensibiliser les habitants sur l’avenir de l’agriculture, en général. »

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Les Bergers urbains font aussi des transhumances avec leur troupeau. Une bonne façon d’aller directement à la rencontre des habitants. Forcément, ils n’ont d’yeux que pour cet adorable agneau nourri au biberon par sa bergère Simone.
©Ita Malka Says

Ainsi, revenons à nos moutons, et à la jeune Calypso… A force d’observer la mine réjouissante de Simone en train de s’occuper de ses animaux, l’étudiante se demande si elle aussi ne pourrait pas devenir bergère… Après tout, la campagne est à sa portée. Mais n’est-ce pas trop dur de concilier ses études, les sorties entre amis, la famille, Paris, RER et brebis ? «  A ton âge, je n’aurais jamais pensé devenir paysanne, encore moins en ville, lui confie Simone. C’est un métier extrêmement physique, qui demande quelques sacrifices, du temps et de la volonté. Mais on peut y arriver. Il suffit d’avoir un petit grain de folie, et surtout les pieds sur terre. » De quoi faire naître une nouvelle vocation.