Fil d'Ariane
Sur le campus de l’Université Paris 13, à Villetaneuse (93), rien de particulier ce mercredi après-midi. Dans le bus 156, Calypso, étudiante en deuxième année d’Information et Communication, regarde défiler devant elle les trottoirs en béton brut, les cités HLM culminantes, les quelques maisons postées au milieu des grandes aires industrielles,…
Les moutons font partie du paysage
Calypso, étudiante à Saint Denis
Terminus. La jeune fille descend, suivie par d’autres étudiants, passe le portail de sécurité, puis traverse la grande cour verdoyante, où pâture tranquillement un troupeau de dix-sept moutons, pour rejoindre son bâtiment. Des moutons ? « Je n’y fais même plus attention, glisse Calypso. Ils font partie du paysage. » Un peu comme Simone Schriek, petite brune en bottes de pluie à peine plus âgée que les élèves. La bergère, c’est elle.
Depuis bientôt quatre ans, c’est là, en plein coeur de Seine-Saint-Denis que cette ostéopathe a décidé de développer une activité paysanne à mi-temps. Un pari osé qu’elle n’a pas entrepris seule. A la base de ce projet d’agriculture urbaine, il y a une association, Clinamen fondée en 2012 par cinq amis Pauline, Julie-Lou, Guillaume Valentin et bien entendu, Simone. De purs citadins qui, enorgueillis par Dame Nature, ont voulu démontrer que derrière le béton de la cité, des pâturages sont à prendre.
Aujourd’hui, c’est donc au tour de Simone de s’occuper du troupeau. « Avec les autres, on se réparti les tâches - soins des animaux, nettoyage de la bergerie, transhumance, etc. - chaque début de semaine. Et quand l’un travaille ici, à Villetaneuse, un autre s’occupe du troupeau à Houilles, dans les Yvelines. Sur une base militaire, nous avons aussi quarante moutons », énumère la jeune femme. Là-bas, les bergers urbains sont payés pour entretenir les espaces verts tandis qu’en Seine-Saint-Denis, c’est un échange de bons procédés. « La fac nous a prêté le terrain à titre gracieux. Le vice président Jean-Pierre Astruc voulait donner à son établissement une identité propre et plus de vie à un lieu assez isolé. »
L'été, ça sent la campagne
Matthias, étudiant à Saint Denis
Et les moutons ont rencontré un assez franc succès auprès des étudiants. « L’été ça sent fort la campagne, parfois certains moutons s’échappent et s’immiscent dans les couloirs, en partiels on peut être déconcentré par un « Bêêê ». Mais, au final, c’est plus marrant que dérangeant », sourit Matthias, étudiant en Langues. Quant à Calypso, si elle remarque de moins en moins ces curieux camarades, elle se plaît de temps en temps à observer Simone exercer ce métier qui fait écho à la montagne : « C’est sûr qu’en la regardant, je me dis qu’Heidi a bien changé ! ».
Le look de Simone n’a en effet rien à voir avec celui de la petite bergère suisse, inventée en 1880 par l’autrice Johanna Spiry. « Je ne m’empêche pas de mettre des jupes, mais le pantalon et la parka c’est quand même plus pratique. » L’une des difficultés pour les bergères urbaines est d’allier ergonomie et féminité. « Notre style est hybride c’est-à-dire qu’il faut être à l’aise mais aussi élégantes pour prendre le métro sans que les gens nous regardent trop de travers. Parfois c’est le cas, quand on a de la laine sur la veste et de la boue sur les bottes », s’amuse Pauline Maraninchi, co-fondatrice de Clinamen.
Les bergères urbaines trouveront-elles leur bonheur grâce à la laine de leurs moutons ? Peut-être bien. En ce moment, elles développent avec une designeuse textile de Saint-Denis une collection d’objets et de vêtements. « On va pouvoir s’habiller avec notre propre production », se réjouit Pauline qui a déjà sa petite pochette de transhumance en peau retournée. Quant aux garçons, eux aussi veulent des habits adaptés à leur mode de vie décalé. Pauline en est convaincue : « Au fur et à mesure des années, on va tous trouver notre style. Et un jour, qui sait, on fera peut-être la couverture de Vogue avec nos moutons. »
En vêtements ou en objets, les moutons de Clinamen finissent aussi dans nos assiettes. « Nous faisons de l’élevage et de la reproduction pour la viande, sans pour autant pousser nos brebis à une trop grosse production d’agneaux, explique Simone. Pour le moment, les ventes sont réservées aux soixante-dix adhérents que compte l’association. Mais, à long terme, nous en vendrons à une plus large échelle. L’objectif étant aussi d’en vivre. » C’est pour cette raison qu’en 2014, elle et ses quatre amis ont créé une coopérative, Les Bergers Urbains, grâce à laquelle ils commencent à être payés en tant que paysans de villes.
La pollution ? On ne va pas faire semblant qu’il n’y en a pas
Simone Schriek, bergère à Saint Denis
Et la pollution ? Cette question ces agriculteurs du bitume se la sont aussi posée. « On ne va pas faire semblant qu’il n’y en a pas, concède Simone le regard dirigé vers l’autoroute. Evidemment nous faisons attention à l’emplacement de nos bêtes, nous ne les faisons pas pâturer sur des poches de métaux lourds. Mais pour ce qui est de la pollution inhérente à la ville, nous considérons qu’elle n’est pas pire que celle de la campagne où des pesticides sont déversés chaque jour. »