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Simone Veil : une histoire de France

Rescapée de la Shoah, dont elle incarnait la mémoire, Simone Veil fut l'une des plus grandes figures de la Vème République, jalon de l'Histoire française, européenne et mondiale des femmes. Un parcours qui s'achève au Panthéon le 1er juillet 2018, le jour où cette immense femme entre dans le temple des "grands hommes". 

"Ma mère est morte ce matin à son domicile. Elle allait avoir 90 ans le 13 juillet", C'est par ces mots sobres que l'avocat Jean Veil, l'un de ses fils, avait annoncé le décès de Simone Veil, ce 30 juin 2017. Ce jour-là toute le pays fut en deuil. Les femmes, plus que les hommes sans doute, pleurèrent l'une des plus ardentes défenseure de leurs droits. 

« Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu'il perde ce caractère d'exception, sans que la société paraisse l'encourager ? Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme - Je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. »

Ces mots, quand on a eu la chance de les entendre, on ne peut les oublier.
Elle portait une robe bleue, un collier strict autour du cou, les mains bien calées sur ses notes. J'ai eu ce bonheur là. J'allais avoir 18 ans, je commençais ma première année de Droit, et, depuis les tribunes de l'Assemblée nationale réservées aux corps constitués, j'assistais à ce moment historique, ma première rencontre avec cette femme. C'était le 24 novembre 1974 au moment de ce discours là, qui allait ouvrir le droit à l'avortement pour les Françaises, mettre fin à des siècles d'obscurantisme sur le droit à disposer de son corps pour les femmes en France. 

Nul doute que le respect, l'affection, les éloges couleront en fontaine après l'annonce de la disparition de cette citoyenne exceptionnelle, féministe, éprise de justice, et européenne militante. Simone Veil incarnait une histoire française, européenne, avec le meilleur et le pire du 20ème siècle, celui des génocides mais aussi des conquêtes sociales, politiques, démocratiques, en particulier pour les femmes.

Simone Veil était née dans la lumière de la Méditerranée, le 13 juillet 1927 à Nice, benjamine d'une famille de la bourgeoisie juive, père architecte, prix de Rome, mais peu enclin à l'émancipation des femmes - il demanda à son épouse Yvonne, née Steinmetz, d'abandonner ses études aussitôt l'union prononcée. Cette mère qui compta tant dans sa formation, dans les jours heureux comme dans la tragédie.

Soixante ans plus tard, je suis toujours hantée par les images, les odeurs, les cris, l'humiliation, les coups et le ciel plombé par la fumée des crématoires
Simone Veil

Après 1940 et l'occupation nazie en France, cette famille juive non pratiquante, harmonieuse, loin de Paris, résista plus longtemps que d'autres à la déportation. Simone Veil eut même le temps de passer son bac en mars 1944, un ultime signe de "normalité" pour cette jeune juive en France sous le gouvernement collaborateur de Vichy. Le 30 mars 1944, Simone J comme Jacob ou comme Jacquier son nom d'emprunt francisé pour échapper aux rafles, est arrêtée par des SS en compagnie de sa soeur Milou (Madeleine) et de sa mère, Yvonne. Direction d'abord Drancy puis Auschwitz.

"Soixante ans plus tard, je suis toujours hantée par les images, les odeurs, les cris, l'humiliation, les coups et le ciel plombé par la fumée des crématoires", racontait Simone Veil dans un entretien télévisé diffusé à l'occasion du 60ème anniversaire de la libération des camps. Jeunes et robustes, Simone Veil et sa soeur ne devront leur survie qu'au fait d'avoir été employées pour les usines Siemens à Bobrek, un sous-camp du complexe d'Auschwitz-Birkenau.

Devant l'avancée des troupes soviétiques en janvier 1945, elles seront évacuées vers Bergen-Belsen, lors de l'une de ces marches de la mort durant lesquelles périrent les reclus des camps d'extermination, corps décharnés, incapables de résister. Yvonne Jacob, épuisée et atteinte du typhus, décèdera le 15 mars 1945, un mois à peine avant la libération de ce camp par les Anglais. Et pour sa fille Simone, une culpabilité, celle des revenants, jamais altérée... 
Au retour, elle découvre que son père et son frère sont morts eux aussi. Simone et ses deux soeurs sont les seules survivantes.

Simone Veil comme d'autres, avait constaté que leur histoire n'était pas bienvenue à raconter en France : trop d'horreurs et trop d'implication de la "République française" dans cette inhumanité, la France qui ne voulait se souvenir que de la belle face de la Résistance... "Beaucoup de nos compatriotes voulaient à tout prix oublier ce à quoi nous ne pouvions nous arracher... Nous souhaitions parler mais on ne voulait pas nous écouter", écrira-t-elle. "En revanche Denise (sa soeur, ndlr), rentrée un peu avant nous avec l'auréole de la Résistance, était invitée à faire des conférences".

Elle même pourtant n'était pas exempte de contradictions : dans ses mémoires, elle raconte qu'elle fut membre du conseil d'administration de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF)17. C'est à ce titre qu'elle s'oppose à la diffusion télévisuelle du documentaire, longtemps interdit sur la collaboration, "Le Chagrin et la Pitié" de Marcel Ophuls, qu'elle juge injuste et partisan, parce qu'elle pensait aussi qu'en France il s'était trouvé beaucoup de personnes pour aider les juifs à échapper au génocide.

A Auschwitz, elle noua des amitiés indéfectibles, de celles dont parle l'historienne de la Shoah Annette Wieviorka, des rencontres qui résisteront au temps et aux désaccords. Ainsi de celle avec Marceline Loridan Ivens, cinéaste, engagée très à gauche, tandis que Simone Jacob, devenue Veil après son mariage en 1946, se tenait sur une ligne centriste. Mais aussi européenne résolument, et féministe absolument.

Et puis il y eut aussi cet épisode plus méconnu : pendant la Guerre d'Algérie, en poste à l'administration pénitentiaire, elle réussit, discrètement, à faire transférer en France des prisonnières algériennes qu'elle estimait exposées aux tortures et aux viols.

Cette modernité (limitée, puisqu'elle s'opposa plus tard au mariage homosexuel et à l'homoparentalité), elle l'incarna avec l'écrivaine et journaliste Françoise Giroud sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing, élu président de la République française au printemps 1974. Comme ministre de la Santé aussi, avec cette loi qui portera toujours son nom, la Loi Veil qui dépénalisa l'avortement, aussi bien pour celles qui y avaient recours que pour celles et ceux qui le pratiquaient clandestinement. Durant les débats, il y eut des insultes, des élus pour comparer le droit à l'avortement aux camps de la mort nazis, foetus conservés dans des bouteilles de formol et biens en vue sur leurs pupitres.
Le texte fut ratifié en janvier 1975. Et il s'en trouve certain-es pour vouloir le défaire aujourd'hui.

Elle ne cilla pas, ne chancela pas. Elle avançait, aidée par un caractère bien trempé (c'est un euphémisme) et savait que pour ne plus vivre les chaos du 20ème siècle, il fallait être Européen, résolument, absolument. Elle conduisit la liste Union pour la démocratie française et devint la première femme présidente du Parlement européen, une consécration évidente.

Elle occupa ensuite des portefeuilles ministériels, fut nommée au Conseil constitutionnel et entra à l'Académie française en 2007 après avoir écrit ses mémoires "Une vie" tout simplement. Sur l'épée d'académicienne qui allait la rendre "immortelle" (nom que se donne les académiciens), elle avait fait graver ce qui la résumait : 78 651, le numéro tatoué sur son poignet par les gardiens d'Auschwitz, et "In varietate concordia" (Unie dans la diversité), la devise de l'Union européenne.
Et puis elle se consacra à ce qui lui semblait nécessaire encore et toujours : rappeler la mémoire de la Shoah, pour que plus jamais n'arrive "ça".

Simone Veil avait eu trois fils avec son mari Antoine Veil.

Le kaddish sera dit sur ma tombe
Simone Veil

Elle avait écrit aussi : "Je suis juive. (.../...) De cet héritage, il ne m’est pas possible de dissocier le souvenir sans cesse présent, obsédant même, des six millions de juifs exterminés pour la seule raison qu’ils étaient juifs. Six millions dont furent mes parents, mon frère et nombre de mes proches. Je ne peux me séparer d’eux.
Cela suffit pour que jusqu’à ma mort, ma judéité soit imprescriptible.
Le kaddish sera dit sur ma tombe."


Au revoir Madame Simone Veil et chapeau bas.

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter @braibant1