Sohane Benziane est morte brûlée vive dans un local à poubelle d'une cité, à Vitry-sur-Seine, le 4 octobre 2002. Elle avait 17 ans. Ce premier crime sexiste reconnu par la justice mettait en lumière la condition des filles des quartiers populaires, en proie au machisme, au sexisme et à la violence. Vingt ans plus tard, le combat contre les féminicides continue.
C'était il y a tout juste vingt ans. Le terme féminicide n'était pas encore entré dans le langage commun et n'apparaissait pas sur les bannières féministes.
Sohane Benziane a 17 ans. Enlevée puis enfermée dans un local poubelle d'une tour de la citée Balzac à Vitry-sur-Seine, banlieue populaire du sud de Paris, la voilà prise au piège par son agresseur, son complice faisant la garde. Aspergée d'essence, elle s'écroule, brûlée vive. La jeune fille meurt durant le trajet à bord du camion de pompiers qui la conduit à l'hôpital.
Son meurtrier, Jamal Derrar, a 19 ans au moment des faits. Il est jugé au tribunal de Créteil en avril 2006 et condamné à 25 ans de prison pour "actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Son complice écope d'une peine de 10 ans de prison.
À l'époque, ce meurtre et ses circonstances particulièrement violentes ont un fort retentissement médiatique et choquent fortement l'opinion publique. La mort de Sohane va provoquer une importante vague de protestation. L'adolescente devient le symbole des souffrances que subissent les jeunes filles qui se battent contre la misogynie dont elles sont l’objet.
En février 2003, un groupe de jeunes lance "la marche des femmes des quartiers contre les ghettos et pour l'égalité". Partis de Vitry-sur-Seine, ils traversent la France. L'arrivée se fait un mois plus tard à Paris, à l'occasion du 8 mars, lors d'une manifestation nationale. Près de 30 000 personnes défilent dans les rues de la capitale en soutien à la révolte des femmes des quartiers victimes de la violence machiste, ce qui donnera naissance à l'association
Ni putes ni soumises.
Il faudra attendre trois ans après la mort de la jeune femme pour que soit gravée l'inscription "morte brûlée vive"sur une plaque commémorative installée dans la citée Balzac, ce que refusait jusqu'alors le maire de la ville. Aujourd'hui, une esplanade pour le respect et l'égalité porte son nom.
"Je ne vois pas de différence entre le traitement de ma soeur et les femmes afghanes", déclarait Kahina Benziane, la grande soeur de Sohane,
dans un entretien sur France 2, en 2003. Des paroles qui résonnent encore aujourd'hui.
En souvenir de Sohane
"Un seul appel peut sauver une vie. On ne peut pas s’habituer au compteur que l’on voit défiler tous les jours, celui des féminicides. Il faut des mobilisations plus fortes et un sursaut de la société", estime Assia Benziane, cousine de la victime et élue (FG) de Fontenay, qui regrette une forme de "banalisation", dans un entretien publié dans le quotidien Le Parisien.
Un rassemblement a eu lieu mardi 4 octobre 2022 devant la stèle rendant hommage à Sohane Benziane dans la citée Balzac à Vitry-sur-Seine. "La cérémonie que nous avons organisée avec les sœurs de Sohane sur place à Vitry a été simple et émouvante", témoigne Linda Weil-Curiel, secrétaire générale de la Ligue du droit international des femmes. La ministre Isabelle Rome, Marlène Schiappa et Rachida Dati, ainsi que des élus régionaux étaient présents.
La première ministre Elisabeth Borne a rendu hommage à Sohane à l’Assemblée nationale.
En souvenir de Sohane
À l'occasion de la commémoration du vingtième anniversaire de la mort de Sohane, la Ligue du droit international des femmes avait adressé une lettre ouverte à Isabelle Rome, ministre déléguée à l'égalité femmes-hommes, que nous publions ici dans son intégralité.
Madame la Ministre,
Le 4 octobre prochain sera un triste anniversaire. Cela fera vingt ans que Sohane est morte, brûlée vive dans un local à poubelles de la cité Balzac à Vitry-sur-Seine, par un jeune coq à l'orgueil blessé : il avait été défait lors d'un combat à la loyale par le chevalier servant de Sohane... et s'est vengé sur elle pour ré-affirmer son autorité aux yeux des potes de la cité. Sohane s'est vue interdire la cité Balzac où habitaient toutes ses amies, elle a été régulièrement battue car elle refusait d'obéir à ce diktat.
La tragédie a soulevé une immense émotion dans le public et a été à l'origine de la campagne de Ni Putes Ni Soumises avec Fadela Amara.
Notre association s'était constituée partie civile à la demande de la famille de Sohane et a plaidé le crime sexiste, caractère que l'arrêt civil de la Cour d'assises de Créteil du 18 septembre 1996 reconnaîtra. C'était une première.
Le souvenir de Sohane est encore très présent dans la mémoire populaire, et nous serions très touchées si vous aussi rappeliez la profonde émotion qui a saisi le pays le 4 octobre 2002 en apprenant l'horreur de la mort de Sohane, la veille de ses 18 ans.
Annie Sugier, présidente de la Ligue du droit international des femmes
Linda Weil, secrétaire générale ►
Le témoignage de Kahina Benziane, la soeur de Sohane, sur le plateau de l'émission Tout le monde en Parle de Thierry Ardisson sur France 2 en 2006.