Fil d'Ariane
Après avoir défait son chignon et démêler ses longs cheveux elle aperçoit une autre compétitrice australienne dont la planche est couverte de stickers de sponsors. « C’est démotivant de voir certaines pros qui surfent moins bien que toi et qui reçoivent de l’aide de la part des sponsors. Elles sont logées et mangent bien alors que pour toi c’est nuit au camping et sandwichs toute la journée. »
L’image que les marques de surf veulent transmettre : t’es belle donc je te sponsorise !
Gilvanilta Ferreira
Sans langue de bois Gilvanilta considère que si elle était blonde aux yeux bleues elle n’aurait aucun mal à avoir des sponsors. « C’est l’image que les marques de surf veulent transmettre : t’es belle donc je te sponsorise ! » Une polémique qui a été ouverte par une autre surfeuse brésilienne du nom de Silvana Lima, deux fois vice championne du monde, sans sponsors, et qui finance ses voyages pour participer aux compétitions grâce à son élevage de Bulldogs français.
Pour certains le manque de sponsoring de la plupart des surfeuses s’expliquerait par la crise indéniable que traverse depuis quelques années l’industrie du surf dont les ventes de vêtements se sont écroulées (plus de 224 millions d’euros de pertes pour la marque de vêtements de surf Billabong en 2012), alors que pour la surfeuse Gilvanilta comme pour d’autres il s’agirait simplement de privilégier les surfeuses dont le physique ne laisse pas indifférent.
Pour Cyril Camus un des organisateurs de la compétition du Médoc Océan Lacanau Pro : « Il est vrai que les surfeuses sont aujourd’hui surtout utilisées comme mannequin et pour les autres filles c’est plus difficile de trouver des sponsors. On ne doit pas oublier la crise que traverse l’industrie du surf wear (industrie du vêtement de surf) mais ce manque de sponsor des surfeuses on le retrouve aussi pour l’organisation des compétitions ! Depuis sept ans, nous n’avons pas réussi à trouver un sponsor pour l’épreuve féminine du Lacanau Pro ! Pourtant Le surf féminin a énormément évolué et les filles surfent de mieux en mieux. Le spectacle est assuré et le public répond présent » répond Cyril Camus portant le t-shirt officiel de sa compétition. Avant de repartir il attrape son portable et me dit : « Il faut que tu parles à notre surfeuse (du Lacanau Surf Club) Juliette Brice. C’est une super surfeuse qui fait d’excellents résultats et elle galère, elle aussi, pour trouver plus de sponsors. »
Perchée sur la tour des juges (endroit où les juges observent et donnent des points aux surfeurs en compétition), Juliette Brice âgée de dix-sept ans et déjà bardée de prix – neuvième au championnat du monde de Surf 2016 et championne d’Europe junior en 2015- donne sa version des faits : « C’est vrai que l’image des surfeuses passe avant tout par les photos types mannequins. Les sponsors veulent faire rêver et utilisent des images de belles filles. C’est dommage car il devrait y en avoir pour tout le monde même si je comprends que l’on ait envie de donner une belle image du surf avec des jolies filles -comme Alana Blanchard par exemple- pour montrer que l’on peut être à la fois surfeuse et féminine ». Alana Blanchard est une hawaïenne qui est l’icône de la surfeuse/mannequin pour l’égérie d’une grande marque de surf. Il suffit de taper son nom sur Internet pour se rendre compte qu’il y a plus de photos d’elle en bikini sur la plage dans des poses érotiques que surfant.
« Gooood afternooon Lacanau !!!! » crie le speaker dans son micro pour annoncer le retour à la compétition des femmes. La plage centrale où est organisée la compétition se remplit de monde à vu d’œil, ça sent l’huile solaire et la wax que les surfeurs utilisent sur leur planche pour ne pas glisser. Gilvanilta est sur la plage, elle termine son sandwich jambon beurre en parlant à son frère Giu et à un maître- nageur sauveteur. Elle élabore sous leur conseil sa technique pour réussir à utiliser à bon escient les forts courants. Les vagues mesurent 1m50, elles sont puissantes et c’est du surf très technique. Avant d’aller à l’eau Gilvanilta s’isole sur la plage écouteurs sur les oreilles en touchant sa bague porte bonheur attachée autour du coup : « j’écoute du rap brésilien. Une chanson d’un type qui fait du rap mais qui n’a pas de maison de disque ! C’est un peu mon histoire en fait » dit Gilvanilta en riant.
La sirène de la compétition retentit, c’est le départ ! Gilvanilta rame et cherche une vague, son frère depuis la plage lui donne des indications criant en portugais « t’es trop loin rapproche toi ! ». Gilvanilta attrape une belle vague, la surfe backside (dos à la vague) et place deux superbes manœuvres. Les autres surfeuses assurent aussi et gagnent plus de points. La tension monte pour le frère de Gilvanilta qui commence à désespérer. Il reste moins d’une minute dans ce heat (série). On pense que c’est déjà terminé pour elle quand Gilvanilta décide de ramer plus au sud et de partir sur une dernière vague. Deux beaux rollers radicaux au dernier moment suffiront pour que « Gil » se qualifie in extremis pour le 3ème tour. Son frère casquette visée sur la tête peut souffler. Gilvanilta sort de l’eau heureuse et frappe dans les mains de son frère et de ses amies. « Oui je surfe comme un mec, dit-elle fièrement, et un jour je suis sûre que j’arriverai à les battre même sur les vagues les plus dangereuses comme Pipeline à Hawaii ou Teahupoo à Tahiti. Je vais progresser mais je vais avoir besoin de plus de sponsors pour pouvoir voyager dans le monde entier et pour mieux me préparer. »
Malheureusement c’est au 3ème tour que la compétition du Médoc Océan Lacanau Pro se termine pour « Gil » éliminée par plus fortes qu’elle. La finale opposera la française Justine Dupont à la néo-zélandaise Ella Williams. C’est la surfeuse Kiwi (le kiwi est une espèce d’oiseau endémique de la Nouvelle-Zélande que l’on utilise aussi pour surnommer les habitants de ce pays) qui l’emportera en fine technicienne dans des magnifiques conditions de vagues. Quelques minutes après avoir reçu son trophée je demande à cette surfeuse blonde aux yeux bleus : « Faut-il être belle avant tout pour trouver des sponsors dans le surf ? »
« Non, c’est la façon de surfer qui compte et honnêtement je n’en sais rien. Je te laisse décider ! » répond-elle amicalement les cheveux encore mouillés par le champagne. Une bonne réponse bien placée comme un roller sur une vague, pour une surfeuse -certes blonde aux yeux bleus- mais aussi excellente sur une planche.
Plus loin Gilvanilta enfile de nouveau sa combinaison pour aller surfer avec son frère. Elle est un peu déçue d’avoir été éliminée si vite mais elle reste quand même fière et positive. « J’ai vraiment galéré pour venir jusqu’en Europe et je pense à toutes les surfeuses qui sont dans mon cas. Mon prochain objectif après ma carrière ça sera de créer chez moi au Brésil une académie de surf pour aider les filles qui n’ont pas de sponsors à devenir surfeuse pro. Et peut importe si elles sont belles ou pas ! » Un projet qui sera sans aucun doute une excellente nouvelle pour le surf féminin.