Il fallait être, le 6 et 7 avril 2013, au Forum Anna Lindh à Marseille pour rencontrer une kyrielle de féministes et représentantes d'associations féminines de l'Europe et de la Méditerranée. Ensemble, elles ont établi les bases d'une Fondation pour les femmes en Méditerranée. Objectif de cette organisation réunissant 43 pays : veiller à l'application des mesures pour l'amélioration des droits féminins dans des sociétés en pleine crise économique et sociale.
Saja Elgredly, militante égyptienne qui lutte contre le harcèlement sexuel.
6 minutes de lecture
« Nous ne voulons plus être les reines de la maison ! » La phrase d'Asuncion Miura, représentante de l'Espagne au Réseau méditerranéen contre la traite des femmes, en a fait sourire plus d'une lors de la table ronde sur les stéréotypes liés au sexe du Forum Anna Lindh.
En tout, quatre réunions de ce type ont rassemblé expertes, femmes politiques et féministes autour des problématiques liées au genre dans les sociétés euro-méditerranéennes. Une problématique phare de ce forum organisé par la Fondation Anna Lindh qui a réuni plus de 1000 membres de la société civile de 43 pays durant trois jours.
Esther Fouchier, présidente du Forum Femmes Méditerranée.
Une occasion en or donc pour Forum Femmes Méditerranée, association marseillaise chef de file du réseau français, pour poser les bases d'une future Fondation pour les Femmes en Méditerranée. « Nous avons été choisi par l'Union pour la Méditerranée (UPM) pour relancer cette fondation dont le lancement avait été annoncé fin 2011 mais qui a dû déposer le bilan, explique Esther Fouchier, présidente de l'association. Ce réseau aura des relais dans chaque pays, mettra en place des actions et surveillera l'application des mesures politiques. Nous allons également lancer une plate-forme interactive en trois langues qui mettra en relation les journalistes et blogueuses de la région ».
Enthousiaste, Esther Fouchier assure que cette fondation assurera la continuité du combat pour les droits féminins alors que les Etats européens sont en pleine crise et que les pays arabes se voient succéder des gouvernements islamistes. « J'y crois ! Ça fait 35 ans que je milite et je sais que rien n'est acquis pour les femmes : lorsqu'il y a une crise, elles en sont les premières victimes. »
« Ne plus tolérer le harcèlement »
Saja Elgredly n'a pas attendu cette fondation pour agir dans son pays, en Égypte. Jeune activiste, elle a longuement manifesté contre Moubarak et aujourd'hui contre le gouvernement de Mohamed Morsi. Révoltée par le harcèlement sexuel qui sévit dans sa société, elle participe au « Hypatia Women Debate Club » qui organise des rencontres entre hommes et femmes dans toutes les villes égyptiennes pour discuter des stéréotypes et préjugés genrés.
« Nous parlons de ce que les femmes subissent, nous leur disons qu'elles sont des êtres humains à part entières et qu'elles doivent être respectées. Une fois qu'elles connaissent leurs droits, elles n'acceptent plus de se faire agresser, détaille-t-elle. Pendant la Révolution, nous étions toutes prêtes à mourir pour nos droits. Alors il n'est plus question aujourd'hui de tolérer ce harcèlement. »
Asuncion Miura, féministe espagnole
Asuncion Miura, de son côté, insiste sur l'importance de faire pression sur les politiques pour faire avancer les droits féminins. « Il est inutile de faire des campagnes contre la violence tant qu'on aura pas l'égalité effective », assure-t-elle.
Militante sous Franco, elle raconte : « A l'époque, on ne pouvait pas parler des violences conjugales car si la femme portait plainte, elle perdait tout. Aujourd'hui, il faut faire attention à la régression de nos droits. Car avec la crise, les États en profitent pour baisser les financements sociaux ».
Baisse des subventions aux programmes pour les droits des femmes, baisse des financements pour les crèches et pour l'enseignement : en Espagne comme dans d'autres pays touchés par la crise, les femmes se doivent d'être attentives pour que les droits féminins ne régressent pas.
Mariam El Khoriati Abdo, ex-secrétaire générale de la Ligue de droits des femmes au Liban.
Travailler sur la persistance des stéréotypes
D'autres militantes et expertes insistent sur les leviers économiques pour faire évoluer la place des femmes dans la société. « Dans les pays MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), seules 25% des femmes travaillent contre environ 50% dans le reste du monde », expose Serena Romano, à la tête d'une société de consulting genre en Italie. « Si les femmes travaillaient en Égypte autant que les hommes, le PIB ferait un bond de 37%, et en Italie de 12%. Pour arriver à ce sursaut, il faut faire appliquer des lois sur la parité et montrer aux gouvernements ce qu'ils ont à gagner en termes économiques, si la femme a plus facilement accès au marché du travail. »
Enfin, toutes se rassemblent sur l'importance de l'éducation et des médias dans la persistance des clichés et stéréotypes sur les sexes. Pour Mariam El Khoriati Abdo, ex-secrétaire générale de la Ligue de droits des femmes au Liban et aujourd'hui chargée du Moyen-Orient dans le Réseau méditerranéen contre la traite des femmes, la parole des médias est primordiale : « Il y a une dizaine d'années, personne au Liban ne parlait de la traite des femmes. Aujourd'hui et grâce à notre travail, le sujet n'est plus tabou et les médias relayent nos actions ».
Ce partage d'idées et de bonnes pratiques ne restera pas lettre morte et confiné dans les réunions du Forum Anna Lindh. « Nous allons écrire toutes ces recommandations et les présenter le 3 juillet prochain lors de la réunion ministérielle de l’Union pour la Méditerranée consacrée au droits féminins, explique Esther Fouchier. Cette réunion aura ensuite pour but de mettre en place la Fondation qui veillera à l'application de ces bonnes pratiques. »
L'égalité des genres, un atout pour l'économie
La Banque Mondiale a présenté à Marseille, en relation avec le Forum Anna Lindh, son dernier rapport sur l'égalité des genres dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Depuis 1970, les pays de la région ont enregistré les progrès de développement humain les plus rapides au monde. Mais contrairement aux autres pays du Sud, cela ne s'est pas traduit par une élévation du taux de participation des femmes dans la vie politique et économique. Ainsi, seulement 25% des femmes participent au marché du travail et seulement 15% des entreprises de la région appartiennent à des femmes. Enfin, celles-ci sont largement sous-représentées au niveau politique : elles ne détiennent environ que 7% des sièges parlementaires.
La persistance des normes socioculturelles au sein desquelles la sphère d'influence de la femme est réduite au foyer explique cette situation. Sont également mises en cause les lois freinant les droits de la femme dans son foyer et lui interdisant certains secteurs ou horaires de travail.
Pour améliorer l'égalité des genres et ainsi faire rebondir l'économie de ces pays, le rapport propose d'établir un statut égal devant la loi, de « combler les écarts entre les genres dans les domaines de la santé et de l'enseignement », d'éliminer les obstacles à la participation des femmes au marché du travail et de promouvoir leurs droits civiques ainsi que leur participation au processus politique.
Au final, la Banque Mondiale estime que la région MENA a une « occasion unique d'améliorer la productivité économique et la cohésion sociale en permettant aux femmes de participer pleinement à l'économie et à la société ».