Fil d'Ariane
Dans la presse francophone, les articles se suivent sans toujours se ressembler. Les journalistes québécois, de la presse populaire ou plus sérieuse, se montrent les plus acides au moment des révélations faites autour des coûts de travaux effectués dans son appartement parisien de fonction.
C’est davantage l’attitude quasi monarchique de la « petite reine » qui n’écoute personne qui est en cause.
Denis Lessard, La Presse
"Les carottes sont cuites pour Michaelle Jean" lit-on dans La Presse, sous la plume de Denis Lessard. Pour le journaliste, le choix "de Michaëlle Jean au sommet de Dakar, en 2014, n’avait pas soulevé l’enthousiasme. Dans l’immense salle de la plénière, à la conférence de presse de clôture, les délégués et journalistes africains dans les gradins maugréaient ouvertement devant le choix de la Canadienne, résultat, à leur avis, du manque de fermeté du président François Hollande." Selon lui, "ce ne sont pas les 500 000 $ pour les rénovations d'un appartement de fonction à Paris ni le piano à 20 000 $ qui ont causé le plus de tort. La décision de consacrer 1 million au financement de l’aventure de la frégate Hermione-Lafayette a fait davantage grincer les dents." Et de poursuivre : "C’est davantage l’attitude quasi monarchique de la « petite reine » qui n’écoute personne qui est en cause".
"Il faut dire que les Africains étaient arrivés dans le désordre à Dakar, incapables de se rassembler autour d’une candidature unique", ajoute l'éditorialiste du quotidien québécois.
L'Afrique, à elle seule pèse lourd sur la scène francophone, sur les 84 pays de l'OIF, 29 sont africains. Opinion publique, dirigeants, décideurs et presse du continent, chacun.e l'attendait au tournant. Son parcours à la tête de l'OIF divise et laisse parfois un gout de trop peu. "Le problème de Michaëlle Jean, c’est que certaines portes lui restent fermées et que les chefs d’État africains ne se bousculent pas avenue Bosquet, au siège de l’organisation, comme c’était le cas du temps d’Abdou Diouf", lit-on sur Jeuneafrique.com, citant un cadre de l'OIF, resté anonyme. Le journaliste évoque même une sorte de "pêché originel" : "Canadienne d’origine haïtienne, elle a été imposée à la tête de l’OIF lors du sommet de Dakar par François Hollande. Elle ne serait donc pas légitime." Selon lui, "Bien qu’elle ait fait campagne sur le thème « l’africanité globale » et qu’elle y ait multiplié les déplacements, Michaëlle Jean connaît mal le continent". D'autres lui reprochent au contraire de n'être pas allée assez souvent au contact des Africain.e.s.
Ce qu'ils voulaient, c'était aussi qu'il y ait la possibilité qu'il y ait une femme à ce poste là !
Michaëlle Jean, dans Internationales sur TV5monde
Pas assez légitime ? Dans l'émission Internationales sur Tv5monde de janvier 2018, elle répond à cette attaque, récurrente depuis le début de son mandat : "Quand j'ai été élue en 2014, l'Afrique n'a rien perdu ! Je ne serai pas à la tête de la francophonie sans la volonté de pays africains. Certains ont pu dire qu'il y aurait une règle non écrite qui dirait qu'il faut que ce soit un Africain à la tête de la francophonie, beaucoup de dirigeants africains ont été choqués que l'on dise cela ! Ce qu'ils voulaient, c'était aussi qu'il y ait la possibilité qu'il y ait une femme à ce poste là !"
C’est une brave fille, dit l’un de ses détracteurs avec une bonne dose de machisme.
Jeuneafrique.com
Pas assez africaine pour certains, un peu trop femme pour d'autres ... "C’est une brave fille, dit l’un de ses détracteurs avec une bonne dose de machisme. Une femme de combat, rétorque l’un de ses admirateurs, des étoiles dans les yeux… Depuis qu’elle a été nommée secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), fin 2014, Michaëlle Jean ne laisse personne indifférent. Des médisants, il n’en manque pas", peut-on lire encore sur Jeuneafrique.com dans un autre article publié peu après son arrivée à l'OIF.
Contrecarrant les médisants, le même article attribue pourtant quelques bonnes notes au tableau de Michaëlle Jean. Parmi elles, la mise en place d'un site internet baptisé libresensemble.com destiné à lutter contre la radicalisation, sur lequel les jeunes francophones peuvent poster une vidéo ou suivre des ateliers d'information ou de formation. "Or en mai dernier, (novembre 2016) lors d’un débat au Conseil de sécurité sur la lutte contre les idéologies du terrorisme, l’un de ses adjoints, le Canadien d’origine camerounaise Georges Nakseu-Nguefang, a présenté avec brio la nouvelle initiative libresensemble.com (...) Deux millions d’internautes ont déjà posté un message. Avec ce site, Michaëlle Jean marque des points".
C'est un bilan qui est jugé globalement positif, notamment s’agissant des questions de l’égalité femmes-hommes.
Radio France Internationale
Le site de Radio France Internationale, rapporte les témoignages de plusieurs proches collaborateurs qui dressent un bilan plus positif. Selon eux, les critiques des médias sont "partisanes" et cherchent à viser à travers elle le fédéralisme canadien, mais "C'est un bilan qui est jugé globalement positif, notamment s’agissant des questions de l’égalité femmes-hommes, l’éducation et l’entrepreneuriat chez les jeunes". Certains lui décernent même une mention très bien en matière de défense de la langue française lors de ses passages aux tribunes de l’ONU, de l’Unesco et de l’OCDE. "De l’aveu des diplomates qui siègent dans ces enceintes, une des principales victoires de la secrétaire générale de l’OIF a été d’avoir imposé le français dans ces tribunes où l’unilinguisme anglophone était devenu la règle". "En conformité avec la tradition de l’OIF, langue et valeur ont été les deux grands axes de l’action de Mme Jean", confie son porte-parole Bertin Leblanc cité sur RFI.
Nous avons avec la langue française, langue internationale, le puissant levier de toute notre action, un trait d’union pour coopérer et il est normal que nous ayons à cœur de la faire rayonner. Merci à vous pour ce combat quotidien ici à @ONU_fr #groupedesambassadeursfrancophones pic.twitter.com/DPt5XRy70s
— Michaëlle Jean (@MichaelleJeanF) September 17, 2018
Nous allons arriver à Erevan avec une stratégie, la plus solide que la francophonie ait connue, sur l'égalité entre les femmes et les hommes.
Michaëlle Jean
Entrée en campagne depuis des mois, la cheffe de la Francophonie multiplie les entretiens à la presse, et défend son parcours bec et ongles, comme lors d'un entretien avec la journaliste Alexandra Szacka d'Ici Radio canada. Concernant ses dépenses personnelles, elle précise une nouvelle fois que le-dit appartement parisien avait besoin d'un rafraîchissement car inhabitable en l'état, puis recentre très vite la discussion vers un discours bien rodé : "Nous allons arriver à Erevan avec une stratégie, la plus solide que la francophonie ait connue, sur l'égalité entre les femmes et les hommes, l'autonomisation des femmes et des filles".
"Cette Francophonie, ne serait-elle pas devenue trop marginalisée, comme le dénoncent vos détracteurs", rétorque alors notre consoeur. "Voilà une appréciation qui est totalement en dehors de la réalité ! La Francophonie est désormais appelée au Conseil de sécurité pour témoigner de l'état du monde, j'ai eu moi-même à porter un plaidoyer ", insiste l'interrogée .
La Francophonie reconnue et considérée comme véritable entité sur la scène internationale, voilà une des réussites que la secrétaire générale a tenu à mettre à avant dans une lettre ouverte publiée dans les médias canadiens au printemps 2018 : "L'OIF est désormais fréquemment appelée à intervenir au sein de forums internationaux, là où des décisions cruciales et des plus urgentes se prennent, y compris au Conseil de sécurité de l’ONU". Une réussite ? Pas vraiment selon cet article au titre évocateur "Le bilan calamiteux de Michaelle Jean" du site Mondafrique : " Depuis sa prise de fonction, l’OIF a complètement disparu des radars. Cette organisation tentaculaire, qui se voulait politique, est absente des grands débats mondiaux et évidemment de toutes les crises secouant le monde francophone, notamment au Sahel, en RDC et en Centrafrique. Ses visites de terrain sont sans lendemains, mais sont fort couteuses pour l’OIF".
La France, tout comme l'UA, a déjà porté son choix sur l'autre candidate, Louise Mushikiwabo (Lire notre article ici). Un choix dénoncé par plusieurs anciens ministres de la francophonie français, qui l'ont publiquement fait savoir lors d'une tribune publiée dans Le Monde, le 9 août 2018. Charles Josselin, Pierre-André Wiltzer, Hélène Conway-Mouret et André Vallini y expliquent clairement pourquoi le choix de la ministre rwandaise des affaires étrangères, proche de Paul Kagame, président du Rwanda, "porte atteinte à l’image même de notre pays", sans pour autant dire si leur préférence penchait pour une reconduction de Michaelle Jean à ce poste.
Jusqu'à la veille de l'ouverture officielle du sommet à Erevan, le principal atout restant dans la manche de Michaëlle Jean semblait provenir d'une unique région : celle où Michaëlle Jean a réalisé ses premiers faits d'armes, le bloc québéco-canadien. Sur le plateau de Tv5monde, Marie-Claude Bibeau, ministre du Développement international et de la Francophonie à Ottawa ne s'en cachait pas, il y a encore quelques mois : "L’Union africaine est le lieu où l’on peut convenir d’une candidature africaine, mais est-ce que ça veut dire qu’ils seront solidaires envers la candidate africaine. Ou, au contraire, pencheront-ils pour Michaëlle Jean, qui a déjà bien réalisé son mandat et qui incarne bien les valeurs de la Francophonie. Entre autres, la promotion de la langue française, mais aussi les valeurs de la défense de la personne et de l’égalité entre hommes et femmes". On racontait même que le Premier ministre canadien Justin Trudeau avait même pris son stylo pour faire part de son soutien dans une lettre au président malgache, président en exercice du Sommet de la Francophonie.
Francophonie : l’insistance de Michaëlle Jean crée un malaise https://t.co/5iCHuonHNL pic.twitter.com/XuvfqflDzy
— Radio-Canada Info (@RadioCanadaInfo) 4 octobre 2018
Pour Jeuneafrique.com, cette passe d'armes s'annonçait sans pitié car "aucun de ses prédécesseurs n’a jamais échoué à se faire réélire. Si les États membres de l’OIF devaient ne pas lui renouveler leur confiance, ce serait une première – et un véritable camouflet". Le risque pour elle serait donc d'accrocher une nouvelle première fois à son tableau de chasse, mais bien moins glorieuse cette fois.
Et les femmes dans tout ça ?
Il y a aujourd’hui 120 millions de femmes francophones dans le monde. Elles seront plus de 350 millions en 2050. Le 1er et 2 novembre 2017, le sommet des femmes francophones se tenait à Bucarest, évènement organisé conjointement par l'OIF et la Roumanie. Au terme de ces deux journées de rencontres et de conférences, Michaëlle Jean est venue clore avec Terriennes ce rendez-vous.
Terriennes : c'était un sacré défi, 450 participantes prévues au début à Bucarest, finalement elles étaient bien plus nombreuses !
Michaëlle Jean : Oui, elles étaient près de 700, et au total ce sont 800 personnes qui ont nourri cette conférence de leurs réflexions, et de leur dynamise. Et ces femmes sont venues de tout l'espace francophone. J'y tenais beaucoup. Surtout les femmes du Sud. Elles sont extrêmement dynamiques et organisées. Et je remercie la Roumanie d'avoir pu faciliter leur venue. C'était vraiment important. Les femmes (les hommes et les jeunes) entrepreneures du Nord n'ont aucun problème pour circuler à travers le monde, dès lors qu'elles viennent du Sud, c'est la galère, elles sont quasi-obligées d'arracher des visas !
Qu'ont-elles en commun toutes ces femmes entrepreneures?
MJ : Qu'elles soient du Nord, du Sud, de l'Ouest ou l'Est, elles ont les mêmes difficultés pour trouver les fonds afin de péreniser leur affaire, alors que toutes les études économiques le disent, investir dans les entreprises de femmes ou de jeunes, c'est gagnant !
S'il y avait une recette miracle pour accompagner les femmes sur la voie de l'empowerment, ou empouvoirement, quelle serait-elle ?
MJ : Ce n'est pas pour rien que nous avons choisi comme slogan #ellessimposent ! L'empowerment c'est ça, c'est prendre sa place. Elles le font, mais elles sont souvent cantonnées dans le domaine informel. Ce qu'elles veulent c'est un passage qualitatif vers une autre échelle, sortir de l'informel. Que ce soit dans le domaine de la création, de l'innovation, de la croissance, du développement, dans toutes les filières imaginables, elles sont là ! "Sans nous, rien n'est possible", voilà ce qu'elles ont à dire !
Le prochain sommet des femmes francophones se tiendra en 2019 à Luxembourg.