Louisette-Renée Thobi a été athlète de haut niveau au Cameroun, son pays, dont elle a défendu les couleurs aux Jeux olympiques il y a trente ans. Depuis, sa passion pour le sport ne l'a jamais quittée. C'est au sein de la CONFEJES, la conférence ministérielle de la jeunesse et des sports de la francophonie, qu'elle la poursuit. Elle est la première femme à prendre les rênes de cette organisation. Rencontre dans le cadre du 18e sommet de la francophonie à Djerba en Tunisie.
Née en 1967, au Cameroun, Louisette-Renée Thobi Etame Ndedi a été une athlète de haut niveau. En 1992, elle était au départ de l’épreuve du 100 mètres haies des Jeux olympiques de Barcelone.
En 2021, elle prend un autre départ : elle devient la 7ème secrétaire générale de la CONFEJES, et la première femme à occuper ce poste dans l’histoire de l’institution. Une institution intergouvernementale qui œuvre pour la promotion de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs au sein de l’espace francophone. Regroupant 43 Etats membres, elle a été créée il y a un peu plus de cinquante ans.
Sportive et femme engagée de longue date
Louisette-Renée Thobi a longtemps œuvré au sein de plusieurs structures dans son pays d’origine. En 1998, elle coordonne les activités sportives et culturelles au niveau de l’Institut universitaire de Technologie, des Facultés des Lettres et Sciences humaines, puis des Sciences économiques et de Gestion appliquée (FSEGA). Cheffe de Service de l’Information et des Conférences pendant six ans, elle prend en 2006 la direction du service de la Coopération nationale et intra africaine pour le compte de l’université de Douala. Professeure d’éducation physique et sportive, elle a été entraineure de l’équipe nationale d’athlétisme du Cameroun.
Pendant trois ans, de 2017 à 2020, elle est la directrice adjointe des programmes EPS/Sports au sein de la CONFEJES. Portant à cœur la cause des femmes et des jeunes filles, elle oeuvre pour la promotion du sport féminin. Des thématiques qu'elle a pu défendre lors de plusieurs rencontres internationales.
Entretien avec Louisette-Renée Thobi à Djerba, à l'occasion du 18e sommet de la francophonie :
Terriennes : Si je vous dis francophonie, sport et femmes, ça vous parle ?
Louisette-Renée Thobi : Oui, tout à fait ! Cela rentre dans les missions de la CONFEJES. C'est vraiment notre coeur de métier : la jeunesse, la promotion de l'égalité femmes-hommes. Peut-être qu'on ne l'atteindra pas, mais on essaie de faire attention dans toutes nos activités de nous assurer que la prise des compte des jeunes femmes et des jeunes filles est absolue.
Trouvez-vous que le sport féminin est assez visible aujourd'hui dans l'espace francophone ? Le sport féminin, assez visible ? Bon, au moins il y a des efforts qui sont faits. Quand on regarde par exemple ces deux derniers mois les compétitions féminines, on voit que le football féminin prend de plus en plus de place. On a aussi observé l'engouement suscité par la Coupe du monde de rugby féminin en Nouvelle-Zélande. D'ailleurs, en ce moment, se poursuit dans ce pays la grande conférence internationale du groupe de travail international "Femmes et sport", avec près de 4 000 femmes, et quelques hommes, qui se sont associés pour célébrer les efforts fournis pour la place que l'on devrait accorder aux femmes dans le sport en général, sport de masse, scolaire, de haut niveau, le sport inclusif, etc ...
Vous militez pour une stratégie baptisée "double carrière", afin de lutter contre le décrochage précoce scolaire, cela concerne bien sûr les filles ? Oui, mais pas que les filles dans l'espace francophone. Je suis partie d'un constat simple. J'avais remarqué, quand j'étais encore athlète, que beaucoup de sportifs, quand ils allaient à des compétitions internationales, fuyaient. Une fois la compétition finie, ils disparaissaient dans la nature. En général, c'était des gens qui allaient à l'école, mais ne terminaient pas leurs étude, et se retrouvaient à errer dans la recherche d'un meilleur encadrement pour la pratique de leur passion, la pratique du sport. Je me suis dit qu'il fallait créer des conditions pour que les jeunes ne décrochent pas.
Deuxième problème : la reconversion. Beaucoup de sportifs n'arrivent pas à assurer leur reconversion. Moi, je me suis blessée à 25 ans ; j'ai encore résisté pendant un an, mais après, j'ai été obligée d'arrêter. Je suis là où je suis aujourd'hui parce que j'ai réussi ma reconversion.
En réfléchissant, avec mon équipe, on s'est dit qu'il fallait trouver un moyen d'expliquer aux Etats et gouvernements membres qu'on pouvait éviter le décrochage scolaire et éviter la mauvaise reconversion des sportifs de haut niveau. C'est de là qu'est née l'idée du programme de la "double carrière". On a ancré cela dans un projet qui nous permet de préparer ces jeunes-là pour les jeux olympiques de la jeunesse que le Sénégal accueillera à Dakar en 2026.
Parlez-nous de vous : comment êtes-vous devenue athlète de haut niveau ? Quel a été le facteur déclencheur ? Comment vos parents, par exemple, ont-ils vu votre engagement dans cette carrière ? Ils vous ont encouragée ? La vérité, c'est que je viens d'une zone où l'on encourageait la pratique du sport. Il n'y avait pas de différence. Les petites filles et les petits garçons jouaient ensemble. J'ai eu de la chance. La grosse barrière que j'ai rencontrée était du côté de mes parents. Ils avaient l'impression que le sport me freinerait. Du coup, jusqu'à ce que j'obtienne mon bac, je n'avais pas l'autorisation de pratiquer de sport. D'ailleurs, pour la petite histoire, en classe de seconde, je suis sélectionnée pour les jeux nationaux scolaires. Mon père n'était pas d'accord. Avec la complicité de mes frères, j'ai sauté par la fenêtre ! Ils ont fait mon baluchon. On devait aller au nord du pays en avion. À quatre heures du matin, j'étais à l'aéroport parce qu'il ne fallait pas que mon père m'empêche de m'y rendre. Quand j'ai ramené les médailles et qu'on avait dit mon nom à la radio, cela a diminué la colère de mes parents. Mais jusque-là, je n'avais pas la permission.
Oui, on peut dire qu'il était temps que ce plafond de verre puisse être brisé et qu'une femme puisse prendre les rênes.
Louisette-Renée Thobi, secrétaire générale CONFEJES
La CONFEJES a été créée il y a plus de cinquante ans. Sur 7 secrétaires généraux, vous êtes la première femme. Il était temps ? De toute façon, il faut, à un moment donné, passer à autre chose. Je suis sûre et certaine que par le passé, d'autres femmes ont essayé. Moi, j'ai tenté ma chance et j'ai réussi. Le 5 décembre prochain, la conférence aura 53 ans, ça fait un peu plus d'un an que je suis là. Oui, on peut dire qu'il était temps que ce plafond de verre puisse être brisé et qu'une femme puisse prendre les rênes.
Est-ce que néammoins, vous devez faire face à des réticences voire des résistances ? La plupart des pays bénéficiaires de nos projets sont des pays où l'on note beaucoup de barrières culturelles en ce qui concerne l'autonomisation des femmes et leur indépendance économique. Nous avons le devoir et l'obligation d'apporter et de proposer des réponses pour que ces problématiques soient prises en charge. Ainsi, nous avons mis en place avec certains pays bailleurs, l'appel à projet "Femmes, sport, santé".
Concernant le sport féminin, nous encourageons la formation de femmes entraîneures, pour augmenter le nombre d'officielles techniques dans des disciplines phares de la CONFEJES, telles que l'athlétisme, le judo, la lutte, le volley. Le but est de faire en sorte qu'il y ait plus de femmes qui accèdent à ces métiers afin d'assister à une montée en puissance de compétences féminines dans le domaine technique du sport de haut niveau.
Cela va avec la promotion de l'entrepreneuriat féminin, un domaine qui vous tient à coeur également... Au sein du programme de promotion de l'entrepreneuriat des jeunes, de plus en plus
les femmes sont impliquées. C'est l'occasion pour moi de saluer le soutien d'un pays bailleur, la Fédération Wallonie-Bruxelles qui, en 2021, a accompagné un projet uniquement féminin. C'est encourageant et je leur dis un grand merci. D'ailleurs, dans le cadre de la promotion de l'entrepreneuriat des jeunes, nous allons mettre en place un nouveau projet agriculture et numérique dédié aux filles qu'on aimerait démarrer en 2024.
Je souhaiterais qu'on nous regarde comme des êtres humains, capables d'apporter une petite pierre à l'édifice et à la construction d'une société globale, équilibrée et prospère.
Louisette-Renée Thobi, secrétaire générale CONFEJES
Vous-même, vous avez dû franchir de nombreux obstacles, au propre comme au figuré, c'était plus dur en tant que femme ? Est-ce qu'il y a quelque chose dans la vie où il n'y a pas d'obstacle ?! (sourire) Le plus grand, aujourd'hui, c'est la mobilisation de ressources financières. C'est le plus dur, nous sommes en crise depuis 2020 – crise financière, crise de valeurs, crise inter-générationnelle. Tout cela fait qu'il faut multiplier les subtertuges, les idées pour trouver des fonds pour toutes ces jeunes filles ! De plus, malgré mon haut niveau de responsabilité, malgré toute la volonté de mes collaborateurs, il reste difficile d'accompagner une femme. Et je le dis sans langue de bois. Le milieu des affaires est très très très difficile. Difficile de ne pas être tenté par la corruption, la délation. Nous, les femmes, nous ne savons pas tricher.
Une fois, lors d'un événement que j'organisais, un jeune est venu me dire
"Grande soeur tu es trop dure. De temps en temps, il faut que tu cèdes !" Quand une femme va rencontrer et négocier pour une subvention, ce que l'homme assis en face d'elle voit, c'est d'abord une femme nue. Ce que vous lui dites, il ne l'entend pas. Même mon propre fils me le dit,
"une femme quand nous la voyons c'est la femme dans sa plus simple expression". Nous, les femmes, on se retrouve réduites à des objets qu'on essaie de manipuler. Je souhaiterais qu'on nous regarde comme des êtres humains, capables d'apporter une petite pierre à l'édifice et à la construction d'une société globale, équilibrée et prospère et ça c'est vraiment valable dans notre espace francophone.
Si vous aviez un message à adresser aux jeunes générations, quel serait-il ? Si je devais adresser un message, ce serait tout d'abord aux petits garçons :
"Respectez vos camarades filles. Ce ne sont pas des objets. Respectez-les car elles peuvent faire la même chose que vous". Aux jeunes filles, je dis :
"Restez dignes, soyez fières de vous, n'oubliez pas vos principes, et soyez patientes. Car comme on le dit chez nous, pour un homme, réussir c'est deux fois cinq, pour une femme, c'est quatre fois vingt !"