Fil d'Ariane
Dans Admirable, son nouveau roman, l’autrice et icône de mode Sophie Fontanel imagine un monde au visage lissé par un médicament miracle, où ne resterait plus qu’une seule femme ridée. Réflexion sur notre peur de vieillir, ce conte moderne décomplexe les corps, en particulier féminins, face aux traces du temps qui passe. Entretien.
Sophie Fontanel est une journaliste et écrivaine française.
"La vieillesse, c’est ce qui arrive aux gens qui deviennent vieux", écrivait Simone de Beauvoir. Les années passent, et laissent des traces. Qu’y a-t-il de mal à ça ? Rien, et pourtant. Les filtres lissants, le boom des injections au Botox et de la chirurgie esthétique reflètent l’obsession de notre société à vouloir se rectifier à tout prix.
"Je veux conjurer la peur de vieillir", affirme Sophie Fontanel. L’héroïne de son nouveau roman, au visage parcheminé, a la spontanéité et le franc-parler de cette influenceuse mode de 60 ans aux 350 000 abonnés sur Instagram. Sophie Fontanel propose dans Admirable un autre modèle de vieillesse, sans filtres, pour toutes les générations. Soyons plus léger vis-à-vis de nos corps. Comme elle l’affirme : "Le vrai antirides, c'est de s'en foutre".
Admirable est le 19e roman de Sophie Fontanel.
Terriennes : Admira, l’héroïne de votre conte, est la dernière femme ridée sur Terre. Comment vous est-elle apparue ?
Sophie Fontanel : Le jour de mes 60 ans, je suis allée me promener sur une plage de Normandie. Face à la mer, je me suis demandé à quoi ressemblerait mon horizon… Le personnage d’Admira m’est alors apparu. Cette femme d’une extrême intelligence ne réside pas dans un EHPAD mais dans une sorte de carrière, près de la mer, en Grèce. Dans son petit village, les gens l’aiment, la respectent et lui attribuent le rôle de sage. Me donner cet horizon de femme vieille m’a donné du baume au coeur. A travers Admira, je me suis dit : il y a quelque chose d’admirable à vieillir et les personnes âgées ont un rôle important à jouer dans notre société.
Pourtant, plus les femmes vieillissent, moins on les voit dans notre société. Sans parler des clichés qui leur collent à la peau…
On a en effet une image de la femme âgée aigrie. Le principal poncif que je voulais aussi déconstruire avec ce livre, c’est que lorsqu’une femme vieillit, elle fait tout pour ralentir le processus. Il faut réinventer notre rapport à l’âge : on peut se laisser vieillir et rester juvénile. Mes copines qui sont entièrement refaites, et qui ont l’air d’avoir 20 ans de moins que moi – allez, disons plutôt 15 ans – tiennent des propos parfois réactionnaires sur les femmes. En plus, elles coincent les hommes dans des cases, persuadées que "pour leur plaire, il faut leur montrer de la peau, se refaire ci ou cela, etc." Arrêtons de penser qu’une femme doit être désirable. Si on a la chance de désirer et d’être vraiment désiré par au moins deux personnes dans notre vie, c’est déjà qu’on a le cul bordé de nouilles !
Sophie Fontanel.
Dans une récente interview à Madame Figaro, Isabelle Adjani est revenue sur cette pression qui incombe aux actrices – et aux femmes, en général – de rester séduisantes malgré le temps qui passe…
C’est aussi pour cette raison que j’ai créé le personnage d’Admira. Car on ne peut pas avoir, comme seul modèle de femmes qui vieillissent, des comédiennes. Même lorsqu’elles sont très intelligentes, elles sont surtout valorisées pour leur beauté. Et lorsque vous ne prenez plus la lumière, le cinéma vous laisse tomber. Alors qu’il ne laisse pas tomber Vincent Cassel, Hugh Grant… Or, on ne peut pas admirer ce qui n’est pas montré.
J’ai revu le film Lost in Translation où la pimpante Scarlett Johansson tombe amoureuse de Bill Murray, d’au moins quinze ans son aîné. Aujourd’hui, la révolution serait de montrer à l’écran une femme qui, comme le personnage de Murray, un peu neurasthénique sur les bords, ne ferait pas d’effort, avec un beau jeune homme, tout frais, à la bouche pulpeuse. Ils vivraient une folle histoire d’amour, puis elle partirait, le laissant en pleurs.
Vous savez, je travaille actuellement sur les vêtements de la réalisatrice Agnès Varda avec sa fille, Rosalie. Elle m’a confié que sa mère ne vieillissait pas comme Greta Garbo. Son corps était comme une boule, et elle était toute tassée. Alors, pour ne pas disparaître, il fallait qu’elle trouve quelque chose. Elle a donc adopté cette fameuse coiffure bicolore pour qu’on la voit. Et ça a marché !
A 53 ans, vous avez arrêté les colorations pour faire apparaître vos cheveux blancs. Pourquoi avoir décidé de partager sur les réseaux sociaux votre "apparition" ?
J’avais remarqué que, dans la rue, les femmes aux cheveux blancs rasaient les murs. Comme si elles ne pouvaient pas imaginer une seule seconde qu’elles étaient absolument sublimes. Un célèbre magazine de mode venait de me licencier sous prétexte que je n’étais plus toute jeune. C’était aberrant !
Comme Agnès Varda, je me suis demandé ce que je pourrais bien faire pour que les gens me suivent… Alors sur mon compte Instagram, j’ai posté une première photo de mes racines, avec en commentaire : "Jusqu’ici tout va bien." Tout le monde a compris et s’est écrié : "Abandonner les teintures. Tu vas pas faire ça ?!» J’avais dîné avec un flirt, avec mes cheveux mi-blancs mi-noirs. Il avait eu honte au restaurant. Mais moi ce que je remarquais, c’est que ce blanc immaculé qui apparaissait sur ma tête, c’était beau !
Au fur et à mesure, ma transformation a libéré les gens. Il y a eu moins de critiques. Aussi parce que j’évolue dans le milieu de la mode et que j’apparaissais dans Vogue ou Vanity Fair. Nous ne pouvons désirer quelque chose que si nous avons des référents. Aujourd’hui, de plus en plus de femmes aux cheveux blancs marchent au milieu de la rue, et c’est en partie grâce à moi. J’en suis très fière !
©capture d'écran
Ces dernières années, des stars internationales dénoncent aussi l’âgisme (la discrimination par l’âge). Parmi elles, l’ambassadrice L’Oréal, Andie Macdowell, qui arbore fièrement son gris naturel. Lors de la Fashion Week de Paris, en septembre 2023, Pamela Anderson a été acclamée pour être venue sans maquillage. Assiste-t-on à une révolution féministe ou tout simplement à l’apparition de la normalité ?
Ce n’est pas une révolution, c’est une rébellion ! D’ailleurs, Pamela Anderson apparaît au naturel à la Fashion Week de Paris et peu de temps après, Madonna au visage tout refait fait le show à l’Accor Hôtel Arena. Ces deux femmes incarnent deux libertés. Avec l’une qui dit : "J’ai pas du tout envie d’avoir la tête d’une vieille femme, et c’est comme ça !" Et l’autre : "J’ai pas envie de rectifier mon visage, je suis comme ça !"
Pamela est sublime au naturel. Tout comme Ángela Molina, célèbre pour avoir joué dans Cet obscur objet du désir, et qui à 68 ans a été choisie comme égérie Zara. Elle a été photographiée sans maquillage, ses cheveux sont poivre et sel, elle est constellée de rides. En novembre dernier, l’actrice Isabella Rossellini faisait la Une du ELLE, affirmant : "Je n’ai pas envie de faire plus jeune". Merci de démontrer que les rides, c’est mieux que beau : c’est sublime ! Nous sommes en train de nous habituer à voir plus de femmes ridées. Alors que l’Intelligence artificielle et les filtres Instagram se sont infiltrés dans nos vies, ces femmes nous rappellent à quoi nous ressemblons et comment nous vieillissons vraiment.
Isabella Rossellini en Une de ELLE, en novembre 2023. Dans un entretien au magazine de mode, l’icône du cinéma franco-italienne déclare : "Quand on me dit : ‘Vous ne faites pas votre âge’, ça peut être blessant."
L’enquête Génération bistouri (éd. JC Lattès, 2023) révèle que, depuis 2019, les 18-34 ans ont plus recours à la chirurgie esthétique que les 50-60 ans, jusqu’ici patientèle historique. Quel influence pouvez-vous avoir sur cette nouvelle génération ?
Les jeunes sont aujourd’hui coincés entre deux choses. D’un côté, le body positive. On peut s’énerver contre Kim Kardashian mais son gros popotin a aidé beaucoup de gens. Et de l’autre, le fait de se faire des contouring, se faire tatouer le contour des lèvres, etc. Autrement dit, correspondre à une sorte de norme. Certains vont forcément s’équilibrer au milieu. Ce qui est terrible, c’est lorsqu’on tombe dans l’excès. Je peux influencer les gens qui, sans le savoir, pensent un tout petit peu comme moi. Et sans leur masquer la vérité : moi-même, je me suis fait recoller les oreilles et j’ai des facettes sur les dents. Je peux être un exemple qui va leur donner du courage.
Votre prénom signifie sagesse en grec. Quelle sagesse, Sophie Fontanel, pouvez-vous nous transmettre ?
Cette sagesse, elle est dans un livre que j’ai écrit, L’amour dans la vie des gens (éd. J’ai Lu, 2003) : "Si on n'aimait que les gens qui nous aiment, qui commencerait ?" Il faut bien commencer par soi, être gentil avec soi. Et puis – même si oui c’est tentant parfois – ne pas juger et critiquer les autres qui ne sont pas de notre avis. Moi, je trouve que porter une chemise bleu ciel, un beau pantalon noir ou beige, tout ça bien propre, se mettre un peu de poudre et un nuage de parfum, c’est déjà se faire beaucoup de bien.