"Sorcières : de l'ombre à la lumière", une exposition qui déconstruit les clichés

"Incarnations du mal" pour les religieux, elles furent persécutées pendant des siècles. "Sorcières : de l'ombre à la lumière" nous invite à découvrir l'histoire méconnue de ces femmes aussi fascinantes que mystérieuses. Cette exposition, au musée Pointe-à-Callière à Montréal, explore l'évolution de la perception des sorcières à travers les âges. Visite guidée.

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Sorcières

"Sorcières, de l'ombre à la lumière", une exposition à découvrir au musée Pointe-à-Callière de Montréal, jusqu'au 6 avril 2025.

©Catherine François
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Pendant plus de 400 ans, celles que l’on appelait « sorcières » ont été recherchées, chassées, traquées, espionnées, torturées, accusées, jugées, brûlées vive, exécutées ou mises au ban, exilées, isolées de la société. On estime qu’au fil des siècles, plus de 100 000 personnes, des femmes en grande majorité, ont été condamnées pour sorcellerie et environ 50 000 exécutées. Le musée Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, a voulu redonner leurs lettres de noblesse à ces « sorcières » en présentant jusqu’au 6 avril 2025 une exposition qui les fait passer de l’ombre… à la lumière. 

Déboulonner les mythes et les clichés

Quelles sont les images qui surgissent dans votre esprit quand vous pensez au mot « sorcière » ? Celle d’une vieille femme avec des verrues sur son nez crochu, un large chapeau noir sur la tête, en train de s’affairer devant un chaudron bouillonnant ? Celle d’une belle jeune femme dans une grande robe noire en train d’enfourcher un ballet pour s’envoler dans le ciel ? Celle d’une femme avec une boule de cristal dans la main, un chat noir à ses côtés et un crapaud gluant sur l’épaule ? Celle d’une série de potions magiques de toutes les couleurs exposées sur une étagère ou d’amulettes et poupées d’envoûtements qui débordent d’un coffre en bois ? Les clichés ne manquent pas quand on parle de sorcière. 

Musée Pointe à Callière

Le Musée Pointe-à-Callière accueille l'exposition "Sorcières de l'ombre à la lumière", jusqu'à avril 2025 à Montréal.

©CF

Dans le fond, c’est une figure un peu intemporelle qui nous rejoint et qui évolue, au même titre que l'histoire des femmes. Élisabeth Côté

« On dirait que, quand on dit le mot sorcière, tout le monde pense à quelque chose, tout le monde a une image en tête. Et quand on commence à explorer le sujet, on se rend compte à quel point finalement, c'est beaucoup plus que la première image qui nous vient en tête, explique Élisabeth Côté, chargée de projet de Pointe-à-Callière. C'est un sujet très riche sur les plans de l'histoire et de la culture, sur le plan artistique, des pratiques, des croyances, de la science. D'autant plus que ces dernières années, le thème a rebondi sur les réseaux sociaux. Donc, dans le fond, c’est une figure un peu intemporelle qui nous rejoint et qui évolue, au même titre que l'histoire des femmes ».

Les objets de l'exposition

Cette exposition rassemble quelque 400 objets issus de collections privées mais aussi de plus de 30 musées en Europe et en Amérique du Nord.

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C’est donc un univers fascinant que découvre le visiteur en arpentant cette exposition qui rassemble quelque 400 objets issus de collections privées mais aussi de plus de 30 musées en Europe et en Amérique du Nord. « L’un des premiers défis a été d'aller fouiller dans des collections pour raconter cette histoire, souligne Elisabeth Côté. D'autant que certains témoins n'existent plus. On a trouvé le moyen d'explorer cette histoire, en tout respect, en incluant aussi des œuvres d'art, des livres, des objets de science et du quotidien, des objets qui nous racontent un peu quels sont les pouvoirs supposément associés aux sorcières, des objets intrigants comme des pendules ou des poupées d'envoûtement ».

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Le « Marteau des sorcières » : la pierre angulaire de la chasse aux sorcières

Le visiteur découvre aussi, dans cette exposition, l’histoire tragique de ces femmes, avec, notamment, la chasse aux sorcières en Europe aux 16e et 17e siècles, que l'on pourrait qualifier aujourd'hui de premier féminicide de masse de l'histoire. Et c’est un livre qui a été la pierre angulaire de cette traque meurtrière, le « Marteau des sorcières », connu aussi sous son nom latin de « Malleus Maleficarum ». 

Ce livre, c'est, en quelque sorte, un manuel d'élimination des sorcières. (...) On explique qui elles sont, on affirme que les femmes sont plus susceptibles d'être complices du diable parce que ce sont elles qui sont à l'origine du péché originel, et qu’il faut donc éliminer toutes les femmes qui peuvent avoir un lien avec le diable. Élisabeth Côté

« C’est un ouvrage tristement célèbre, édité en 1486, précise Élisabeth Côté. Il faut se replacer dans le contexte, c'étaient surtout des Dominicains qui étaient des inquisiteurs, donc responsables du tribunal de l’Église catholique qui était à la recherche des gens qui étaient hérétiques ou qui ne répondaient pas aux règles de la religion ou qui étaient susceptibles de comploter avec le diable. Et donc c'est un Dominicain, Heinrich Kramer, qui va rédiger, en latin, le « Malleus Maleficarum », le Marteau des sorcières, un ouvrage qui va avoir une légitimation par le cosignataire Jacob Sprenger, qui est un doyen de théologie de l'université de Cologne. C’est ce qui vient donner une sorte de crédibilité universitaire à l'ouvrage. »

« Ce livre, c'est, en quelque sorte, un manuel d'élimination des sorcières. Alors on explique, dans un premier temps que les sorcières existent, qui elles sont, on affirme que les femmes sont plus susceptibles d'être complices du diable parce que ce sont elles qui sont à l'origine du péché originel, et qu’il faut donc éliminer toutes les femmes qui peuvent avoir un lien avec le diable. Ensuite, on cherche à démontrer comment les repérer. On parle des procès aussi, comment on enquête pour leur faire avouer qu'elles sont complices, ce qui peut aller jusqu'à la torture. Et puis, on explique comment les éliminer, comment les exécuter, comment, idéalement, les passer au bûcher pour détruire leurs âmes. C’est ce livre qui va rendre légitimes ces chasses aux sorcières ».

On estime qu’entre 1560 et 1630, environ 100 000 personnes, des femmes en très grande majorité, ont été accusées de sorcellerie et sur ce nombre, 50 000 ont été exécutées ou condamnées à l’exil. Ces femmes ont été, en quelque sorte, des boucs émissaires en ces temps d’obscurantisme et de grande noirceur moyenâgeuse, il fallait trouver des coupables quand les récoltes n’étaient pas bonnes, quand le petit dernier succombait à un mal mystérieux, quand des épidémies arrivaient et ravageaient des villages entiers, quand survenait un événement que les gens n’arrivaient pas à expliquer rationnellement. L’Église catholique s’est engouffrée dans ces brèches de peurs collectives irrationnelles avec ses tribunaux d’Inquisition. En Amérique du Nord, c’est plus entre le 17ème et le 18ème siècle que les sorcières sont traquées, mais toujours en lien avec la religion, la peur du diable, les pratiques maléfiques, etc. On se souvient du fameux procès des sorcières de Salem, en 1692, en Nouvelle-Angleterre, qui va se conclure par la mort de vingt personnes pour sorcellerie.

Torturées

Entre 1560 et 1630, environ 100 000 personnes, des femmes en très grande majorité, ont été accusées de sorcellerie et sur ce nombre, 50 000 ont été exécutées ou condamnées à l’exil.

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En voie de réhabilitation

Il faudra attendre le siècle des Lumières, le 18ème siècle, pour que ces persécutions de présumées sorcières cessent progressivement. « On entre dans une nouvelle ère de pensée, si je peux dire, qui favorise davantage la raison, la science, la philosophie, fait remarquer Elisabeth Côté. On devient critique des persécutions. On assiste aussi à des réformes juridiques. On remet en question les positions sur la sorcellerie, plusieurs penseurs vont dénoncer les méthodes de torture pour éliminer des gens. Donc on se rend compte que c'est dépassé ».

Elisabeth Côté

Elisabeth Côté, commissaire de l'exposition "Sorcières de l'ombre à la lumière" pose derrière la sculpture Woman on Pyre de l'artiste Kiki Smith.

Dans les siècles qui suivent, à partir du 19ème, la sorcière est réhabilitée, en quelque sorte, en devenant une source d’inspiration en littérature, dans les arts de la scène, le théâtre, les séries télévisées, le cinéma – le succès de la série Harry Potter en est un parfait exemple.

Au Canada, il a fallu attendre à 2018 pour retirer du code criminel les mots magie et sorcellerie

Le mot sorcière est dérivé du latin, SORS, ce qui veut dire « destin » et « objet de divination ». Il apparaît au 8ème siècle

Misogynie et féminisme

Derrière cette traque des sorcières, qui a sévi pendant plusieurs siècles, se cache une misogynie affirmée, comme le précise Élisabeth Côté : « Si on revient au « Malleus malifecarum », c'est clair qu'il y avait un biais misogyne. Oui, il y a eu des hommes qui ont été accusés de sorcellerie, mais clairement, à l'époque, on estimait que la femme était susceptible d'être plus tentée et tentatrice parce que, selon les croyances, elle était à l'origine du péché originel. Elle était considérée plus faible moralement. C’était écrit noir sur blanc dans plusieurs livres. D'autant plus quand elle se retrouvait veuve, sans son mari, elle devenait alors libre de penser, elle pouvait aussi être propriétaire de terre et ça, ce n'était pas accepté. »

Encore aujourd’hui, il y a des femmes qui se font traiter de sorcières, pour qualifier une femme qui dérange, qui parle trop fort, ou qui démontre une certaine indépendance ou une manière de vivre qui cadre moins avec les attentes qu'on pourrait avoir d'elle. Élisabeth Côté

« Encore aujourd’hui, il y a des femmes qui se font traiter de sorcières, pour qualifier une femme qui dérange, qui parle trop fort, ou qui démontre une certaine indépendance ou une manière de vivre qui cadre moins avec les attentes qu'on pourrait avoir d'elle. Donc ça reste, encore aujourd’hui, une figure qui n’est pas toujours positive », ajoute-t-elle. 

D'ailleurs, combien de fois Donald Trump a-t-il traité sa rivale démocrate Kamala Harris de « sorcière » ? Et l’insulte de « sorcière » est encore servie à toutes les sauces, aussi nauséabondes les unes que les autres, sur nos réseaux sociaux.

Costumes de sorcières

Les clichés ne manquent pas quand on parle de sorcière. C’est justement pour les déboulonner que le musée Pointe-à-Callière, Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, a monté cette exposition, la première du genre au Canada.

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Mais il y a aussi des mouvements féministes qui ont récupéré l’image de la sorcière pour l’associer au pouvoir féminin. « Certaines de ces femmes n'étaient pas des femmes super puissantes, elles étaient simplement au mauvais endroit au mauvais moment, précise Élisabeth Côté. Mais d'autres avaient des savoir-faire, elles étaient guérisseuses, sages-femmes, herboristes donc elles étaient détentrices d'un savoir et d'une autonomie de pensée. Et je crois que le mouvement féministe se réclame de cette figure de la femme, d'un certain pouvoir au féminin, qui concerne la pensée, mais qui concerne aussi le pouvoir sur le corps, donc être maître de son corps, de son monde, de son destin ». Il existe par exemple, aux États-Unis, un mouvement féministe qui s’appelle W.I.T.C.H. soit Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell, l’acronyme de WITCH, sorcière en anglais.

« C'est une exposition qui, je l'espère, va communiquer l'importance d'aborder l'histoire avec un esprit ouvert et inclusif, de reconnaître aussi que les événements historiques, nos croyances sont façonnées par des contextes, conclut Élisabeth Côté. Je crois aussi que les visiteurs vont être surpris par la richesse du sujet, qu’ils vont découvrir des choses qu'ils n’avaient pas soupçonnées, qu'ils vont se questionner sur le sens d'accuser quelqu'un sans preuve, qu'est-ce que ça veut dire, la justice, la solidarité ? ».

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