Première soudanaise élue au parlement en 1965, Fatima Ahmed Ibrahim, féministe et communiste, a œuvré toute sa vie en faveur des droits des femmes et remporté de nombreuses victoires politiques. Elle s’est éteinte, le 12 août dernier, dans un silence lourd de sens.
Comme trop souvent encore, un écart infini sépare l’immense œuvre accomplie par des femmes et leur niveau de notoriété. La disparition de Fatima Ahmed Ibrahim vient nous le rappeler. Pionnière dans la lutte pour le droit des femmes au Soudan, elle est décédée, le 12 août 2017 à Londres, à l’âge de 88 ans dans un silence assourdissant.
Yves-Gonzales Quijano enseignant-chercheur à l’université Lumière Lyon 2 – GREMMO n’a pas manqué de le souligner sur
son blog. «
Alors qu’en Grande-Bretagne, le Guardian et le Times lui ont chacun consacré une longue nécrologie, écrit-il, o
n ne trouve pas une ligne dans la presse francophone – si j’en crois Google – pour évoquer la Soudanaise Fatima Ahmed Ibrahim (…) » Il n'a pas été « aisé » pour ce chercheur de rédiger une biographie sur cette figure du féminisme, tant le peu de sources existantes sur elle, essentiellement en langues arabe et anglaise, sont ténues. Pour lui « c
ette absence totale d’intérêt pour l’une des plus grandes féministes arabes du XXe siècle en dit long sur le sérieux de ceux et celles qui prétendent si souvent s’intéresser au sort des « malheureuses femmes voilées ».
Activiste précoce, alliant féminisme et foi
Dans son article publié sur le site sudantribune.com, Magdi El Gizouli,
rapporte cette déclaration de Fatima Ahmed Ibrahim qui résume sa vision du féminisme et le combat qui sera le sien :
« L'émancipation ne signifie pas se débarrasser de nos bonnes traditions et valeurs nationales, ou que les femmes soudanaises deviennent une autre copie de la femme occidentale. C'est lutter contre l'analphabétisme, la maladie, le chômage, la pauvreté et la discrimination au sein du foyer et dans la société. L'égalité ne signifie pas que les femmes soudanaises deviennent une autre copie de l'homme. Cela signifie que les femmes soient complètement égales aux hommes dans les droits et dans la prise de décision à tous les niveaux. Les hommes, en tant qu' hommes ne sont pas responsables de la discrimination à l'égard des femmes. La plupart d'entre eux sont également exploités et discriminés. Pour cela, les femmes et les hommes devraient travailler ensemble pour aboutir aux changements sociaux qui préservont la démocratie, fondée sur la justice sociale et les droits de l'homme ». Pour lui,
« elle avait un rêve d'émancipation collective, un rêve communiste.»
Fatima Ahmed Ibrahim est née en 1929 selon ses proches (1934 d'après l'inscription à l'Etat civil) à Omdurman, la plus grande ville du Soudan, située en face de la capitale Karthoum. Elle occupe la quatrième place d’une fratrie de huit enfants. Ses parents étaient instruits, sa mère a en effet suivi une scolarité et son père était enseignant et imam. Son engagement en faveur des femmes survient tôt. Dès le lycée, elle crée un journal intitulé « Elra'edda » (La pionnière) pour se dresser contre le gouvernement colonial britannique de l’époque. Elle signera sa première victoire en menant une grève contre l’annulation des cours de sciences pour les filles. Et à 14 ans tout juste, elle fonde l’Association des femmes intellectuelles toujours dans l’idée de défier la domination coloniale. Elle poursuivra ce travail en écrivant sous pseudonyme dans la presse locale.
On a décidé d'apprendre l'Islam pour montrer aux fondamentalistes que cette religion ne contenait pas l'exploitation de la femme.
Fatima Ahmed Ibrahim
A l'orée de la vingtaine, elle co-fonde l’Union des femmes du Soudan, qu’elle présidera en 1956. «
Notre première revendication a été de demander des droits politiques pour la femme car nous pensions - avec raison - que tout découlerait de là, confie-t-elle dans
l’Humanité.
Au nom du Coran, on nous les refusait. Alors, on a décidé d'apprendre l'Islam pour montrer aux fondamentalistes que cette religion ne contenait pas l'exploitation de la femme.» Elle milite alors pour les droits civiques, l'égalité salariale et le congé maternité, l'éradication de l'analphabétisme chez les femmes, le droit des femmes à intégrer tous les corps de métiers et l'abrogation de la loi obligeant les femmes victimes de violences conjugales à retourner auprès de leur mari.
Cumuler les victoires politiques
Deux ans plus tard, en 1954, elle exerce comme rédactrice en chef de son magazine, Sawt al-Mara (Voix des femmes). Une publication qui favorise l’
empowerment féminin et qui aura un poids dans la révolution. La même année, elle devient membre du parti communiste soudanais.
Après la révolution d'octobre 1964, qui a abattu le régime d'Abbou - arrivé à la suite d’un putsch militaire en 1958 et contre qui la féministe s’était dressée - les femmes gagnent le droit de vote et de se présenter aux élections. En 1965 Fatima Ahmed Ibrahim devient alors la première femme élue députée. Elle accomplira en quelques années ce que d’autres ont accompli en plus d’un demi-siècle.
En 1968, la plupart des droits pour lesquels elle s'était battue ont été adoptés : le droit pour les femmes de travailler dans n'importe quel domaine, l'égalité salariale, l’accès à l'enseignement supérieur pour les filles, le droit à des congés maternité rémunérés. «
Fatima était une figure de premier plan, confirme Ibrahim Elnur, professeur au département de sciences politiques de l'Université américaine du Caire.
Mais toute une génération de femmes instruites s'engageaient dans une lutte anti-coloniale obligeant même la droite conservatrice à faire de l'espace pour les femmes dans leurs organisations, y compris les Frères musulmans. Ce rôle de premier plan des femmes au Soudan explique pourquoi les droits politiques des femmes étaient bien avancés.»
Une partie de la jeunesse lui a rendu un dernier hommage via Twitter où les posts certes émouvants sont bien peu nombreux au regard du long combat qu’elle a mené.
L'une écrit en un jeu de mot, ou un lapsus, son admiration aimante :"Rest in power, - repose au pouvoir - Fatima Ahmed Ibrahim. Tu as construit un nouveau chemin pour les femmes. C'est bon pour nous que ce fut toi." "RIP… Fatima Ahmed Ibrahim… Première femme soudanaise à être entrée au parlement et à nous ouvrir le chemin à tous les niveaux", rappelle une autre.
« Fatima était bien reconnue, assure Ibrahim Elnur. Mais sa disparition de l'espace politique et, en particulier, celle de la gauche, explique peut-être en grande partie la raison pour laquelle les nouvelles générations ne se rappellent guère les antécédents dynamiques des années 1960 et 1970.»
Ces extrémistes islamiques ne sont que des parasites. Ils prétendent gouverner en faveur de Dieu et pourtant ils ne font que s'enrichir eux-mêmes
Fatima Ahmed Ibrahim
En 1969, alors que Jaafar Nimeiri renverse le gouvernement en place et rompt une brève alliance avec les communistes, il ordonne plusieurs exécutions. Parmi, les exécutés, il y aura le syndicaliste Alshafie Ahmed Alshiekh, le mari de Fatima, rencontré au parti communiste et qui avait refusé un poste dans les rangs de Nimeiri. Refus qu'il a payé au prix de sa vie.
Exilée au Royaume-Uni
Comme l'écrit
The Guardian, Fatima Ibrahim passe les années suivantes, en résidence surveillée ou en prison, jusqu’au renversement de Nimeiri en 1985. Mais en 1989, un autre coup d'Etat, d'Omar al-Bashir cette fois, installe une dictature militaire qui a pour effet de démanteler violemment la société civile et de réduire à néant les acquis des femmes. Fatima Ibrahim est encore arrêtée. En 1990, elle finit par obtenir l'asile en Grande-Bretagne. Elle y rejoindra son fils unique, Ahmed, médecin, tout en continuant à militer. Elle emploiera son énergie à fonder une branche londonienne de l'Organisation des femmes soudanaises. La femme pieuse poursuivra sa lutte contre le fondamentalisme. Elle dit, comme le rapporte le Times que «
ces extrémistes islamiques ne sont que des parasites. Ils prétendent gouverner en faveur de Dieu et pourtant ils ne font que s'enrichir eux-mêmes» .
En 1993, l’ONU lui remet le prix des droits de l’Homme. Autrice de plusieurs livres, elle retourne au Soudan en 2005 et est à nouveau élue au parlement. En 2006, elle reçoit une seconde récompense, le prix Ibn Rushd pour la liberté de pensée. Elle abandonnera, un an plus tard, la vie politique. Affaiblie par un grave diabète, elle est décédée dans une petite chambre londonienne, entourée de photographies de son époux et d'ornements soudanais.
Suivez Lynda Zerouk sur Twitter :
@lylyzerouk